Friday, October 5, 2018

"Où sont-ils?" par J.G (Le Meschacebe - 03 septembre 2018

Où sont-ils?
A St. Jean-Baptiste

Dans ma derniere rime,
Où sont-ils? -- ai-je omis
Les meilleurs, et mon crime
Peut-il etre remis?

Je sais qu'il en fut d'autres
Aussi bons dans ces jours,
Aimes comme les notres
Et qu'on pleure toujours.

Et, certes, dans le nombre
Sans cesse decroissant
De ceux que la mort sombre
Touche et frappe en passant,

Il en est dont en garde,
Voyant les ans venir
Et la mort qui regarde,
Un touchant souvenir.

Et lorsque je vous nomme
Le docteur Hart, je dis
Le nom d'un vaillant homme
Qui fit le bien jadis.

Si Chabaud, son confrere,
Fut brave et respecte,
Hart, noble ami, vrai frere,
Ne l'a-t-il pas ete?

Et cet excellent homme
Bon comme du bon pain,
Tres honnete, econome
Et droit comme un Alpin?

Ce n'etait pas un maitre,
Un savant, un vainqueur,
Un medecin, un pretre;
Mais Caire avait grand coeur.

En tant d'autres? ... Le nombre,
Depuis pres de trente ans,
Fait tristesse et fait ombre
Sur mes vieux cheveux blancs.

Wednesday, March 22, 2017

"L'abbé Mina" par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 Février 1868)

Les bouteilles alors se vendaient deux sous pièce,
Et c'était bon marché,
Car le dollar craintif devant Butler en liesse
Ne s'était point cache.

Nul ne parlait encore de guerre, de batailles,
D'impudents détrousseurs,
De généreaux à jeun, d'abondantes ripailles
Au foyer des planteurs.

Et moi je connaissais au voisin presbytère,
Pas bien loin de ce lieu,
Un apôtre italien qui vous offrait son verre,
Son pain blanc et son Dieu.

C'était un vieux chrétien, la générosité même,
Un prêtre séculier
Vidant sa maison pleine au malheureux qu'il aime,
De la cave au grenier.

Il se nommait Mina. Quoique bon catholique
Et romain, comme il faut,
Il lisait volontiers Horace le lyrique
Qu'il citait à propos.

Lorsque son gai docteur lui soufflait à l'oreille:
"Je connais un patient
Qui guérirait bien vite avec une bouteille
De Bordeaux excellent".....

Le prêtre du Seigneur, prenant un air maussade,
Commençant à pester,
Envoyait la douzaine en cachette au malade
Pour le ressuciter.

Et plus tard on vendait au vénérable prêtre,
Qui souriait tout bas,
Les bouteilles sans âme et creuses comme un hêtre
Du temps de Barrabas.

Et le malin curé les payait vingt centimes,
Bien plus cher qu'à Limoux,
Disant à son docteur ces paroles sublimes;
"J'y gagne encor deux sous."

Tuesday, March 21, 2017

"Ma Maitresse" par Jean Gentil (Le Louisianais - 15 Février 1868)

Je sais plus d'un bardon, vieillard sexagénaire,
Cadet Roussel à trois cheveux,
Qui se donne des airs de jeunesse et veut plaire
Ainsi qu'un galant amoureux.

Il a maitresse brune
De dix-huit à vingt ans,
Et croit que la fortune
Vous fait pousser les dents.

Il achète à la belle
Cachemire et bijoux,
Pensant que la dentelle
Fait aimer les vieux fous.

La brune est ravissante
Avec ses deux grands yeux,
Et le prouve à Dorante...
A la barbe du vieux.

Et souvent le Géroute
Lègue par testament,
En crainte de mort prompte,
Sa fortune à l'amant.

Telle est la destinée
Des bonshommes du jour:
Ils ornent Dulcinée
Pour un fripon d'Amour

Mais moi je la veux vieille ainsi que ma grand-mère,
Sans cachemire et sans bijou,
Pas trop courte, un peu maigre, et portant pour me plaire
La toile d'araignée au cou.

C'est la dive bouteille
Au corset gracieux,
Qui fait l'âme vermeille
Dans les splendeurs des cieux.

"La pluie, II." par J. Gentil (Le Louisianais - 8 Février 1868)

La pluie, encore la pluie,
De l'eau, toujours de l'eau!
Et mon gros chat s'essuie
Tristement le museau.

En vérité, que faire?
---Mais laisser tomber l'eau
Et verser dans son verre
Quatre doigts de Porto;

Se souvenir encore
Du vingtième printemps,
Bel âge où l'on adore
Par n'importe quell temps;

Quand t'asseyant près "d'elle,"
Au foyer réjouissant,
Elle était rose et belle
Toi jeune et rougissant;

Que la tendre coquette
Entrouvant un Recueil,
Lisait, baissait la tête
Pour s'endormir d'un oeil.

Alors tu pouvais voir rayonner à la flame
--Le bas, bien entendu--
Une jambe arrondie et qui parlait à l'âme
Du doux fruit défendu.

Oui, mais ni ni ...
Tout est fini ...
L'heure est passé, et bien passé;
L'âme est lassée, et bien lassée.
J'ai quarante ans
Et plus de dents.

Monday, March 20, 2017

"Prière" par J. Gentil (Le Louisianais - 25 Janvier 1868)

Je ne sais point prier le rite austere
Des beaux Saints d'autrefois,
Et rarement mon front se courbe jusqu'à terre,
Jésus, devant ta Croix.

Et cependant j'implore
Ta sublime bonté,
Et cependant j'adore
Ta grande majesté

O maître, je demande une bien simple chose
A quiconque est tout bon:
Ce n'est point la richesse ou la gloire, et je n'ose
Espérer un pardon.

Il m'importe fort peu de mourir un dimanche,
Puisqu'il me faut mourir;
Il m'importe encor moins d'avoir la robe blanche
Du prêtre ou du martyr;

Mais il est sur la terre
Un coin deux fois béni,
Où la France et ma mère
Sont tout mon infini.

Et je voudrais mourir en France, près de celle
Dont l'amour est si beau,
Dans la chambre où notre âme avec foi se rappelle
Les rêves du berceau.

Et je voudrais encore
Dormir sous le pommier,
Dans la vigne que dore
Un soleil familier.

Je verrais au printemps la fleur blanche et légère
Neiger, neiger sur moi;
Et la grappe d'automne, avant de rire au verre,
Me dirait: lève-toi.

"Orphée, IV" par J; Gentil (Le Louisianais - 18 Janvier 1868)

Voilà donc Orphéus mort et content, fort aise
De descendre aux Enfers;
Il y veut embrasser Eurydice à son aise,
En prose et puis en vers.

Lorsque le vieux Charon aperçut le poëte
Aux membres mutilés,
Il eut presque un sourire et secoua la tête
Comme aux écervelés.

En effet Orpheus trouva son Eurydice....
Amis, devinez où?
.... Dans les bras de Pluton qui buvait comme un Suisse
Et riait comme un fou.

Par le Styx! Que faire? .... Il était impossible
De mourir à nouveau;
Orphéus le comprit et s'en alla, paisible,
Se laver au ruisseau.

Esculape, un docteur de la Faculté sombre,
Rafistola son col,
Pommada ses sourcils, en fit la plus belle Ombre
Du pays d'entre-sol.

Et comme Proserpine était jeune et déesse,
Le poëte vainqueur
Sut lui conter fleurette,en faire sa maîtresse
En tout bien tout honneur.

"Orphée, III" par J. Gentil (Le Louisianais - 11 Janvier 1868)

Cependant Orpheus était un bien bel homme;
Possédant de grands yeux;
C'était un citoyen, mesdemoiselles, comme
Il en faut en tous lieux.

Etant veuf, étant jeune, il ne devait pas faire
Le mort ou moribund,
Et vivre comme un ours, hermite et solitaire,
Pleurnicheur et barbon.

Dans le riant pays des Nymphes demi-nues,
Sous les lauriers en fleurs,
Il faut courir après les Grâces ingénues,
Non se morfondre en pleurs.

Passant de l'une à l'autre avec un gai sourire
Et des refrains joyeux,
Il faut batifoler, chanter, mettre sa lyre
Au doux accord des cieux.

Mais Orphée était fol, car il était fidèle:
Car il fuyait aux bois ....
Non pour y folatrer avec sa toute belle,
Mais pour jouer du hautbois.

Aussi, par un beau jour, après vaines oeillades,
Les filles de l'endroit
Découpèrent Orphée en milliers de grillades:
Et c'était bien leur droit.

L'Hèbre reçut, dit-on, les débris du poëte
Et sa lyre en morceaux;
Le flot intelligent porta sa noble tête
Aux vierges de Lesbos.