Saturday, January 31, 2015

"Carême" par Jean Gribouille (Le Louisianais - 20 février 1869)

Nous sommes en carême,
Temps maigre pour les gueux,
Mais bien gras tout de même
Pour ceux qui sont heureux.

Le Carême est antique
Et vieux comme le temps;
Tout peuple le pratique
Et fait les Quatre-Temps.

C'est une loi divine:
Car en cette saison
Le boeuf cornu rumine
Autrement qu'un poisson.

C'est une loi humaine:
Car l'homme, à ce moment,
Aura compris sans peine
Qu'il lui faut un calmant.

L'habitude a sa rime
Autant que sa raison;
Et toute chose exprime
Une haute leçon.

Pourquoi rire , ô mam'selle,
En l'au soixante-neuf,
Quand maigre est la sarcelle,
Tandis que gras est l'oeuf?

C'est mot de bréviaire,
Et chacun nous répond:
"Sarcelle de rivière !
Oeuf qu'une poule pond!"

Il ne faut donc point rire
Toujours en follement;
Car l'on pourrait sourire
Aux railleurs mêmement.

Mais de tous les Carêmes
Le plus dur à la dent,
Et qui fait les peaux blèmes,
C'est.... c'est le Ramadan.

Le Musulman, sans filles,
Pendant soixante jours,
S'écrase sur ses quilles
Et se sèvre d'amours.

Thursday, January 29, 2015

"Etonnements" par Jean Gribouille (Le Louisianais - 13 février 1869)

Mes amis, je m'étonne,
-- Etonnez vous aussi!
En apprenant qu'il tonne
En hiver, par ici.

Et je m'étonne encore,
Tout naturellement,
De voir ce qui décore
Le large firmament.

La lune, les étoiles,
Sont miracles donnés.
Plus vous levez les voiles,
Plus vous vous étonnez.

Et vous pouvez peut-être,
En voyant de beaux yeux,
Doucement reconnaître
Que l'amour est aux cieux.

Toute choses est miracle,
Depuis le vin sucré
Jusqu'au grand tabernacle,
Du mystère sacré.

Et la rose et la femme,
Et la vierge et l'oiseau,
Et le coeur et la flamme?
C'est protige, et c'est beau.

L'esprit le plus sublime
En ses élancements
Frisonne, craint, s'abîme
En longs étonnements.

Mais Mathews déifie,
Le puits et le ruisseau,
Cela me térrifie,
Autant qu'un basin d'eau.

Mathews était d'Irlande
Où Patrice était saint,
En portant houppelande,
De Père Capucin.

Wednesday, January 28, 2015

"Larme" par Jean Gentil (Le Louisianais - 6 février 1869)

C'est une vieille dames
De plus de nonante ans;
Elle fut jadis femme,
Comme on l'est au printemps.

Mais la pauvre vieillotte,
Par crainte de l'hiver,
Doucement s'emmaillotte
En son chaud pet-en-l'aire.

Il n'est plus de caresses,
De baisers, de rayons,
De sauves ivresses
Pour les vieux cotillons.

La ride est jaune et creuse;
Un chicot, de planton
Sur une lèvre affreuse,
Surveille le menton.

L'âge a fondu la neige
Qui blanchissait le sein,
Et les deux perce-neige
Font un triste dessein.

Mais pas de railleries
Sur l'hiver et ses fleurs:
Respect aux vieilleries,
Ou bien encor des pleurs.

Elle aime, fut aimée;
Elle eut de blanches dents,
L'haleine parfumée,
Des roses, et vingt ans.

Et maintenant encore,
Si vous l'examinez,
Voyez, qu'un rayon dore
Une larme à son nez.

Ah! ne sois pointe impie,
Jeune homme de deux jours!
C'est la sainte roupie
Des dernières amours.

Tuesday, January 27, 2015

"Salomon" par Jean Gentil (Le Louisianais - 30 janvier 1869)

Malgré l'apothéose
Des progress souverains,
Le monde a l'ankylose
Et mal au bas des reins.

Boule aérostatique,
Vapeur et liberté,
Cela n'est que boutique,
Et l'homme est écourté.

La cuirasse guerrière
De l'aîeul des vieux temps
Couvrirait le derrière
De nos maigres enfants.

Qui donc mettrait son masque
De citoyen bourgeois
Sous le terrible casque
Du premier des François?

Nos fils sont rachitiques,
Rabourgis, impuissants;
Nos filles sont étiques
Et meurent à vingt ans.

Deux verres de Champagne,
A la fin d'un repas,
Font battre la campagne,
Et tricoter le pas.

O poussifs, petits êtres,
D'un siècle à laid surtout,
Les vieux étaient nos maîtres
En amour comme en tout.

Salomon, par centaines,
Les comptait sans effroi,
Toutes étant certaines
Qu'il était puissant roi.

Monday, January 26, 2015

"Mes Gloires, a mon vieux père" par Jean Gentil (Le Louisianais - 23 janvier 1869)

Quand je quittai la France,
J'étais Républicain;
J'ai la même croyance
Etant Américain.

J'ai vieilli; je suis sage
Un peu plus qu'à vingt ans;
Toutefois mon visage
N'a pas de cheveaux blancs.

Après tout, ô mon père,
Qu'ai-je dit, qu'ai-je fait
Sur la terre étrangère
De triste ou de parfait?

Cinq enfants frais et roses
Me déclarent papa,
Et je cueilli des roses
Quand ton fils galopa.

J'ai bâché plus d'un livre,
--Roman, fort peu divin.
Ne faillait-il pas vivre,
Et boire un peu de vin?

Des plaisants de Saint-Jacques
M'ont nommé marguillier;
Et je ferai mes Pâques,
Comme un bon caloyer

Maintenant je suis père
D'une jeune cite,
Dont je serai le Maire
Par écharpe au coté.

Je pourrais donc sans crainte,
Et presque glorieux,
Aller en terre sainte,
Dans un recoin des cieux.

Dieu seul saurait vous dire
Si j'ai fait quelqu'un bien;
Moi, je n'ose médire,
Etant pauvre chrétien.

Cependant sur la terre
De séparation,
Je desire, ô mon père,
Ta benediction.

Sunday, January 25, 2015

"Le Diable." par Jean Gentil (Le Louisianais - 16 janvier 1869)

Pourquoi, Philosophie,
Doutes-tu de Satan,
Quand la Théologie
En parle tant et tant?

Au monde sublunaire
Le Diable n'est point
Un être imaginaire
Sans culotte et pourpoint.

Qui donc tente la femme,
L'homme et les étourdis?
Qui donc pousse notre âme
Par les sentiers maudits?

Le peuple le redonte,
Et Faust y croyait bien;
Car le docteur qui doute
Est un puissant vaurien.

On dit même sur terre
Qu'il s'incarna longtemps
En Monsieur de Voltaire,
Le roi des vrais Satans.

La chose est bien possible,
Et nous croyons encor
Que c'est lui, dans la Bible,
Qui dressa le Veau d'Or.

Quand le crime a son heure
De resplendissement,
Quand la charité pleure,
Honnie et tristement.

Quand les maîtres du monde
Sont de grands scélérats,
Hantant la bauge immonde
Des porcs et des verrats;

Et que l'on pilorie,
Pour le plaisir des yeux,
L'humanité qui prie
Et tend les bras aux cieux,

Hélas! Il nous faut croire
Au Satan de minuit
Qui nous promets la gloire
Et nous donne la nuit.

Oui, mais cet hemisphere
Est un impur  séjour,
Et je sais une sphère
Où Dieu s'appelle l'Amour.

Saturday, January 24, 2015

"Peine de mort." par Jean Gentil (Le Louisianais - 9 janvier 1869)

On raconte qu'à Rome
Un prise a mis à mort
Un homme, puis un homme,
Par le droit du plus fort.

Ce prince est-il apôtre
D'un Dieu de vérité?
Non, car l'un n'est pas l'autre,
Justice étant bonté.

Le grand Livre des Livres
Dit: "Tu ne tueras pas!"
Est-ce toi qui délivres
De la vie au trépas?

Or, nulle loi humaine
Ne portera le sceau
De vengeance et de haine
De sang et de bourreau.

Dieu seul, le puissant Maître,
Peut réduire à néant;
Car lui seul donne l'être,
Et lui seul le reprend.

Encore, ô pauvres bêtes
D'instincts et d'appétits,
Vous qui frappez les têtes
Des grands et des petits,

Oserez-vous bien dire
Que Dieu, le Créateur,
Se complait à maudire,
Qu'il est un destructeur?

Il nous donne la vie;
Mais en la reprenant
Croyez-vous qu'il replie
L'âme pour le néant?

Non pas, car il transforme,
Dans la grande clarté,
La creature informe
En ange de beauté.

Friday, January 23, 2015

"Petits Aristos." par Jean Gentil (Le Louisianais - 2 janvier 1869)

Les hardis Démocrates
Souvent poussent des cris
Contre les Autocrates
De Vienne ou de Paris.

Point de miséricorde
Pour ces vilains bandits!
Ils méritent la corde
Et l'Enfer des maudits.

Juste!.... le roi, sa reine
Et tous leurs louveteaux,
Qui vivent pour la haine,
Sont bons pour les poteaux.

Ils écrasent la foule
En leur terrible jeu,
Et pensent que la boule
Du monde est leur enjeu.

Etant race première
De vauteurs assortis,
Ils volent la lumière
Aux pauvres, aux petits.

Ils voleraient peut-être
Le Ciel et l'Univers,
Si Dieu, le puissant Maître,
Ne les jetait aux vers.

Or, redressons la tête
En face des tyrans:
Car l'esclavage est bête,
Et les people sont grands.

Mais ailleurs que dans Rome,
Qu'à Paris ou Mousou,
Il est un vilain homme
Qui s'allonge le cou.

Dans le dernier village,
Il trône en petit roi,
Et veut que chaque homage
Lui revienne de droit.

Adonc, s'il est des Maîtres,
Tzars, rois et louveteaux,
Il est aussi des êtres
Nommés "P'tits Aristos."

Thursday, January 22, 2015

"Noël" par Jean Gentil (Le Louisianais - 26 décembre 1868)

Homme ou Dieu? Que m'importe! Et cependant, ô frères,
Un immense hosanna retendit dans les sphères,
Par de là tous les jours;
Et cependant jamais une semblable aurore
N'éclata sur le monde,--- éclat qui brille encore
Et brillera toujours.

Quelle est cette merveille au pays des miracles,
Près du Jourdain sacré?
L'arche sainte rend-elle encore des oracles?
-- Un enfant a pleuré? ...

Il est dans un crèche,
Grelottant, presque nu,
Suçant la goutte fraiche
Au sein blanc inconnu.

Un gros boeuf le regarde
Avec étonnement,
Et l'âme, par mégarde,
Rêve intelligemment.

Une étoile apparaît, et puis une autre étoile
Apparaît dans la nuit.
C'est l'heure où le mystère a déchiré son voile,
-- Heure où le Mage suit.

C'est l'heure où Dieu s'abaisse
Jusqu'à l'humanité,
Où l'homme se redresse
En sa divinité.

Et la crèche, humble abri pour le plus miserable,
Le plus abandonné,
Fut le berceau choisi par le père adorable
Pour son fils nouveau-né.

Wednesday, January 21, 2015

"Le paysan" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 décembre 1868)

J'avais quinze ou seize ans, j'étais à la campagne
Et rôdais vers le soir,
Innocent vagabond qu'une fée accompagne
Au sentier de l'espoir.
 
Allais-je à la maraude et cueillir des cerises
Dans la vigne à Mathieu?
Je ne sais, mais le ciel me caressait aux brises
Qui viennent du bon Dieu.
 
Tiens, c'est vrai, j'allais voir la petite Jeannette
Au corset tout naissant,
Et lui parler du bois où mûrit la noisette
Qui se cache au passant.
 
Un homme me croisa, grand de taille et robuste,
Fier, sifflant et joyeux,
Dont le travail ingrate n'a pas tordu le buste,
Comme il le tord aux vieux.
 
C'était un paysan, un vrai fils de la vigne
Qui mange pron, boit bien,
Fait l'amour à sa femme, et volontiers s'aligne
Comme un autre chrétien.
 
Il avait son chapeau rejeté sur la nuque,
En soldat-troubadour,
Et l'on voyait à nu qu'il portait la perruque
Qui pousse au jour le jour.
 
Son front était bombé, ses yeux étaient limpides,
Son nez se courbait droit;
Sa lèvre, vrai sourire aux caresses humides,
A Blanche eût donné froid.
 
Et des favoris noirs encadraient son visage.
Le Gaulois était beau
Et ne s'en doutait point, car chacun au village
Porte guétre et sabot.
 
Cependant un reine ou de France ou d'Espagne,
En voyant le Gaulois
Sourire, aurait battu noblement la campagne
A travers champs et lois.
 
Mais notre paysan, en réponse à la reine,
Aurait dit tout joyeux:
"Grand merci, j'ai Margot, la fille à Madeleine,
Plus fraiche et qui vaut mieux."

Tuesday, January 20, 2015

Le Samedi Gras - Le Méridional (10 Février 1894)

 
 

"Victor Hugo" par Jean Gentil (Le Louisianais - 12 décembre 1868)

Il est de petits êtres
Tout barbouillés de noir,
Qui veulent passer maîtres
En fait de Guy-Sçavoir.

Ils ont un air superbe
Qui leur fait bien plaisir:
Chacun mangue son herbe
Et son foin à loisir.

Or, le petit Gribouille
Peut donc impunément
Conjugner: "Je barbouille
Du papier sottement."

C'est une bagatelle
Innocentre, après tout,
Et que plus d'une belle
Appelle un torche-tout.

Mais, pour Dieu! mes bonshommes,
A genoux, à genoux,
Quand vous voyez des homes
Aux fronts graves et doux!

Que vous a fait Hugo? N'est-il pas un génie
Rayonnant et sacré,
Qui chante pour nous tous la splendide harmonie
Du poete inspiré?

Les plus grands sont petits à coté de cet homme,
Et jamais empereur,
N'eut plus haut piédestal: jamais Pape de Rome
N'atteignit sa grandeur.

Il a triple couronne à son front de prophète:
Dieu nous l'a révélé
Comme tribun hardi, comme divin poete,
Et puis comme exile.

Il est vrai qu'il déteste
Veuillot et l'empereur,
L'hypocrite et la peste.
Le beau, le beau malheur!

Monday, January 19, 2015

"Chinon et Meudon" par Jean Gentil (Le Louisianais - 5 décembre 1868)

Chinon est une ville
Du pays des Turons,
Plus belle que Séville
Et tous ses environs.

La Chinonaise est rose
D'amour et de printemps;
Le Chinonaise s'arrose
Le gosier de vins blancs.

Or, c'est en cette ville
Que naquit sans apprêts,
D'une honnête famille,
Entre deux cabarets,

Rabelais le bon sire!...
Et l'on dit à Chinon
Que semblable messieur
Hélas, ne naquit donc.

Quoiqu'il en soit, mes frères,
Rabelais buvait sec
Et disait ses prières.
En "Semper et donec."

Il fut peut-être encore
Un docteur magistral,
Car Montpeiller honore
Son bonnet doctoral.

Rabelais fut à Rome,
Y connut moinillons,
Et se prouva que l'homme
Est un tas de haillons.

Mais l'endroit où Panurge
Se trouve content, gris,
Joyeux, Gaulois, sans purge,
Est Meudon près Paris.

A Meudon, le bon Père,
Semble oublier son froc,
Bénit sa chambrière
Et se mire en un broc.

Sunday, January 18, 2015

"Elle pleure." par Jean Gentil (Le Louisianais - 14 novembre 1868)

La jeune fille pleure,
Pleure, et ses grands yeux noirs,
Que sa main blanche effleure,
Sont pleins de désespoirs.

Vierge, pourqoui ces larmes,
Surtout à dix-huit ans?
Sais-tu bien que les charmes
Craignent les yeux pleurants?

Est-ce que ton doux rêve,
Un doux rêve d'amour,
O pauvre fille d'Eve,
N'a duré qu'un seul jour?

L'ingrat et le coupable
A-t-il trahi sa foi?
S'est-il, le miserable,
Raillé, raillé de toi?

Les hommes sont des traitres,
Des méchants, des menteurs,
Des apostats, des reitres
Qui vont piller les coeurs?

Je te plains, Madeleine,
Et je voudrais pouvoir
Mettre fin à ta peine
Et sécher ton oeil noir.

- Ce n'est rien, dit la belle
A travers deux rayons;
Je pleure, mais je pèle
Quelques maudits oignons.

Saturday, January 17, 2015

"Blancs et Noirs" par Jean Gentil (Le Louisianais - 7 novembre 1868)

Il ne faut pas maudire
Quiconque a le front noir,
Car Dieu n'a pas du dire:
"Tu serais sans espoir!"

L'âme peut être blanche
Sous un cuir assombri,
Car l'âme a son dimanche
Et ses beaux jours d'Avril.

Etant l'intelligence,
Soyons donc la bonté;
La divine puissance
S'appelle charité.

Mais, l'enfant de l'ébauche
Qu'un jour Dieu finira,
C'est folie et débauche,
Que de dire: "Il mourra!"

Non, car il est venerable,
Le front qui s'élargit:
Car elle est adorable,
La lèvre qui sourit;

Car la beauté suprême,
Unie à la bonté,
Brille, vrai diadème, 
Dans grande la claret.

Friday, January 16, 2015

"La quarantaine" par Jean Gentil (Le Louisianais - 31 octobre 1868)

Aie!...Aie!... O camarade,
Je souffre en vrai damné,
Parbleu! je suis malade,
Peut-être condamné

Scarron, le cul-de-jatte,
Etait bien plus gaillard
Que l'ami triste-à-patte,
Marchant en béquillard.

C'est cuisant tout de même,
Après avoir couru,
De tourner sur soi-même
Impotent et bourru.

Car j'aimerais, o Pierre,
A courir Dieu sait où,
A lire au fond d'un verre
Le bonheur du vrai fou.

Mais non: sur la couchette
Mes bras sont chevillés,
Et le lin et la bette
Cataplasment mes pieds.

La preuve bien certain
Que mon sort n'est pas beau,
C'est un quarantaine
De tisane et puis... d'eau.

Thursday, January 15, 2015

"Bienveillance" par Jean Gentil (Le Louisianais - 24 octobre 1868)

Mes bons amis, ayons un peu de bienveillance;
Cela coute si peu!
Nous ne sommes pas tous l'esprit et la vaillance,
Et tous jouant franc jeu.

Chaque homme a ses défauts, ses travers, ses malices,
Quelquefois ses noirceurs,
Et quelquefois encor d'abomidables vices
Et d'atroces laideurs.

L'existence est un jeu de cartes politques
Où chacun, à carreau,
Défend sa foi, sa loi, ses lares, ses boutiques,
Et pose son zéro.

Est-ce tout? nunui donc, car il est des sottises,
Et des sots ici-bas;
Car il est des galons, des titres, des bêtises,
Des fracs et des rabats.

De graves insensés innombrable est la foule;
Et le monde benêt? ....
Tout cela pêle et mêle existe, mange, roule,
Et joue au cochonnet.

Du plus au moins, amis, chacun est ridicule,
Chacun est un Pierrot;
Aussi pourquoi faut-il que Mathurin bouscule
Son voisin Patureau?

Le diable, mauvais gueux, avocat fort habile,
Rirait à nos dépens,
Et nous condamnerait à payer notre bile
A beaux deniers sonnants.

Or donc, soyons amis, bienveillants, charitables,
Compaigns du bon vouloir;
Autrement, mieux vaudrait etre chiens lamentables,
Hurlant dans un trou noir.

Wednesday, January 14, 2015

"Le plus grand" par Jean Gentil (Le Louisianais - 17 octobre 1868)

Le plus grand, ce n'est pas celui qui se redresse
Sur des talons royaux,
Et donne, sans compter, à sa folle maitresse
De l'or et des joyaux.

Il est de petits rois, de pauvres petits princes,
Des empereurs aussi;
Mais quand Napoléon n'aura plus de provinces,
Vaudra-il un Merci?

La fortune est néant, la beauté peu de chose,
Le pouvoir moins que rien,
Et faut-il sur cela qu'un philosophe cause
Avec un plébéien?

Salomon, un penseur de la vaillante espèce,
Surtout à soixante ans, 
Proclamait "Vanités" le pouvoir, la richesse, 
Les femmes et les dents.

Salomon parlait bien. Et cependant, mes frères
Et mes pauvres enfants,
Il est un grandeur dans toutes nos misères
Et dans tous nos néants.

C'est la grandeur de Dieu dans l'homme et dans la femme,
Dans le pauvre d'esprit,
Dans l'honnete penseur, dans quiconque a son âme
Pure, où l'Archange écrit.

Le plus grand, c'est celui qui se courbe, s'abaisse,
Aime, donne son coeur,
Pardonne à tout méchant, comprend toute faiblesse,
Est bon, est le ... meilleur

Tuesday, January 13, 2015

"Un maudit" par Jean Gentil (Le Louisianais - 10 octobre 1868)

Un brave homme, parlant la langue de Marseille,
Mourut un beau matin;
Car l'on meurt aussi bien, sans plus grand merveille,
A Paris qu'à Pantin

Il avait bien vêcu, peu juré, bu son verre
Et fait la charité.
En faillait-il de plus pour être bon compère
En la Sainte Cité?

Troun de l'air et Bagasse! Il fut si vaillant sire
Et si charmant époux,
Que sa femme, trois jours, pleura, pleura sans rire,
Et meurtrit ses genoux.

Quant à son fils ainé, jeune âme phocéenne,
Des beaux cieux azurés,
Il pleura comme un fils et dissipa sa peine
En longs vers éplorés.

Ce fut deuil général, et sur la Cannebière,
Passa comme un frisson...
Cependant le portier qu'on appelle Saint Pierre
Chassa le Franc-maçon.

Monday, January 12, 2015

"Le Talapoin" par Jean Gentil (Le Louisianais - 3 octobre 1868)

Un talapoin, superbe en grosseur, rondeur, graisse
Et quadruple menton,
Se mourrut un beau jour d'innocente paresse
Et d'un tiers de mouton.

Le talapoin avait, selon le rite antique,
Baigné son sacré corps
Au Gange très boueux de la presqu'ile indique,
Et prié sur les morts.

Il s'était bien souvent, pour effacer la tache
Du mal originel,
Débarbouillé le nez en la bouse de vache
Qu'on offre à l'Eternel.

Et je crois même aussi, puisque tout se confesse,
Puisque tout est raison.
Qu'il s'était autrefois enfoncé dans la fesse
Les clous du franc-maçon.

Bien plus, pendants des jours, quelque fois des semains,
Le talapoin indou,
En fixant son nombril, avait dit les neuvaines
Qu'on dit sans être fou.

Cependant Chi-ca-nom, l'égoiste du Gange,
Avait-il mérité,
Le bonheur éternel sans fin et sans mélange
De l'immortalité?

Nno; Saint-Pierre à l'endroit où le dos se sépare
Pour prendre un autre nom.
Lui donna de la botte, et sans trop crier gare
Au pauvre Chi-ca-nom .

Sunday, January 11, 2015

"Justice" par Jean Gentil (Le Louisianais - 26 septembre 1868)

Or, c'était un dimanche,
Jour de Pâques en fleurs,
Lorsque chante
âme est blanche
Dans l'aube des splendeurs.

Un enfant de la terre,
Pauvre fille aux grands yeux,
S'en allait solitaire
Et triste vers...les cieux

On voit à son sourire
Qu'elle a beaucoup pleuré,
Péché, car elle aspire 

Au repos désiré

En effet la pauvre
âme
A donné son amour
Sans penser que
l'infâme
Vous laisse après un jour

Mais, peut-elle, coupable,
Espérer le bonheur,
Du séjour délectable

Où tout n'est que pudeur?

Cependant elle frappe
En tremblant, et le Saint

A soulevé la trappe
Et présenté la main

-- Je ne puis, Madeleine,
La loi me le défend.
-- O Seigneur, vois ma peine,
Et rends-moi mon enfant!

A ce mot ineffable
Tressaillirent les cieux
Et le Christ adorable:
"Réjouissez-vous, Saints Lieux!"

Saturday, January 10, 2015

"Amour" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 septembre 1868)

Elle était pauvre femme,
Vieille de soixante ans;
Mais elle avait bonne âme,
Bon coeur, et plus de dents.

Morte et ressuscitée,
Elle frappe doucement
A la porté orientée
Du divin firmament

Veuve, que cherche-t-elle

Au céleste séjour? ---
La lumière immortelle

Et son premier amour.

Pierre, notre ami Pierre,
Ouvrit fort poliment

La porte charactière
Et sans dire comment

Mais elle: Doux messire,
Mon époux est-il là?
--- Non, répondit le sire,
L'enfer le récela.

--- Adieu, fit la pauvrette,
Car ma place est ailleurs;
L'époux  que je regrette
Rendra nos jours meilleurs.

Friday, January 9, 2015

"Chicago" par Jean Gentil (Le Louisianais - 5 septembre 1868)

Saint Pierre s'ennuyait, le dos à la colonne 
grince le verrou:
Car depuis quinze jours il n'avait vu personne
Et réfélechissait prou

Personne de Paris et personne de Rome
Pas même un converti,
Pas même un vieux soldat saturé de rogomme
Et qui s'est repenti!

C'était un mauvais mois, -- un mois de Purgatoire
Et de lâches témoins.
Aussi Pierre était-il d'une humeur deux fois noire;
On le serait à moins.

Le plus grave portier aime un peu la causette,
A savoir ce qu'on dit,
A jaser politique, histoire, amour, risette,....
Et même un vendredi.

Dans le plus grand des Saints il reste un peu de l'homme;
Et c'est fort bien pensé
Tout au moins Saint-Thomas le prouve dans sa "Somme"
Par A, plus B, moins C.

Pan!....Pan, Pan!-- Qui va là? La porte s'entrebâille,
Puis roule sur ses gonds,
Et Saint Pierre aperçoit un sire à longue taille,
Qui descend des Wagons.

Notre quidam avait pantalon dans la botte,
Chique énorme à la dent,
Chapeau gris sur la nuque, et je crois qu'il vous rote
Au nez en regardant.

Et puis ce voyageur d'une étrange encolure,
D'un facies humain,
Portait superbement une arme à la ceinture,
Un "carpet-bag" en main.

-- D'où viens-tu? dit le Saint.--Chicago! répond l'homme
--Pas connais, pas connais,
Et je n'ai jamais vu sur la carte de Rome
Un nom aussi punais.

Et le républicain dut montrer à l'
apôtre
Un Atlas de Colton
.
--C'est bien, dit le portier; s'il en arrive un autre,
Ce sera le second.


Thursday, January 8, 2015

"Pauvre Septime" par Jean Gentil (Le Louisianais - 17 août 1867)


Encore un qui s'en va lorqu'il avait à peine
Attient ses dix-sept ans,
Que ses frères l'aimaient, que son âme était pleine
De projets souriante.

Son père en était fier, sa mère, toujours bonne,
Croyait à l'avenir:
Ils ne pouvaient penser qu'un fils que Dieu vous donne
Avec eux dut mourir.

Lorsque les douze enfants étaient assis à table
Sous un oeil protecteur,
Qui donc aurait compris qu'un bonheur ineffable
Contenait un Malheur,

Que l'un des douze enfants devait quitter ses frères,
Abandonner ses soeurs,
Pour laisser à chacun le droit sans ses prières
De répandre des pleurs?

Pauvre Septime, enfants aux grands rêves de gloire,
C'est donc finit! ....Mort, mort!....
Et les mains ont scellé la pierre froide et noire
De la tombe où l'on dort.

La mort, qu'est-ce donc? Mon affreux, sombre chose,
Elle prend lachement
La vierge qui sourit, le jeune homme qui cause,
Pour en faire un néant.

Un néant? Non, Seigneur, car le Seigneur proteste,
Aux pays radieux,
Contre un néant menteur. Si le cadavre reste,
L'âme s'envole aux cieux.

Wednesday, January 7, 2015

"Souvenir" par Jean Gentil (Le Louisianais - 10 aoùt 1867)

Moi j'aimais cet enfant. Il faut aimer l'enfance
Aux cheveux blonds ou noits;
Elle est l'aube du jour, une aube d'innocence,
Rayonnant dans nos soirs

Il s'appelait Albin, Albin comme son père,
Et son grand oeil pensif
Reflétait les clartés de l'oeil pur de sa mère,
Avec un ton plus vif.

Quand mon front penchait sur son intelligence,
Grave, interrogateur,
J'y lisais la bonté, j'y lisais la puissance:
La force et la douceur.

J'étais son Magister, mercenaire, pauvre homme
Lisant, feuillets ouverts,
La langue de Racine et la langue de Rome
Quelquefois de travers.

Mais nous étions amis, bons camarades, frères,
Comprenant à mi-mot,
Moi l'effort de L'Enfant, lui les leçons austères,
Moi vieillard, lui marmot

Et c'est toujours ainsi. Toujours l'enfance entraine
L'homme dans son amour,
Ne lui permettant pas de livrer à la haine
Un coeur fait pour le jour.

L'élève enseigne au maître, et le maître médite,
Ecoliers tous les deux;
L'écolier se grandit, le maître ressuscite,
Egaux, jeunes, heureux.

Mais il faut se quitter pour une autre espérance
Et pour un nouveau ciel.
Albin partit un jour pour bien loin, pour la France,
Cette ruche de miel.

Cette terre bénie entre toutes les terres,
Ce coin au Paradis,
Ce lieu trois fois sacré que nos glorieux pères,
Ont surnommé Paris.

Et c'est là qu'il est mort lorsqu'il touchait à peine
Au quinzième printemps;
Et c'est là qu'il est mort, doux ange, âme sercine
Pour les cieux triomphants.

Et moi qui dois mourir un jour, demain peut-être,
Peut-être en un instant,
Reverrai-je la France où l'on se sent renaître,
Albin, même en mourant?




Tuesday, January 6, 2015

"Cerises" par Jean Gentil (Le Louisianais - 11 décembre 1869)

Dans l'Eden d'innocense
Eve dormait un jour,
Belle de nonchalance,
Souriante à l'amour

Ayant l'ombre d'un arbre
Pour manteaux virginal,
On eut dit un blanc marbre
Pétri dans l'idéal

Mais la brise s'élève,
Et l'arbre est agité,
Laissant tomber sur Eve
Un beau fruit velouté

La dormouse s'éveille,
Fait un nouveau dessin.
Avait-elle la veille
Des cerises au sein?

Monday, January 5, 2015

"La vie" par Jean Gentil (Le Louisianais - 20 novembre 1869)

C'était un arbre libre
Au chemin d'à-côté,
Poussant en équilibre,
Tout jeune et bien planté

Sa branche était ouverte
Au chant comme à l'amour
Et sur la feuille verte
Rayonnait l'oeil du jour

Mais où donc est la feuille,
O pauvre arbre charmant?
La branche se défeuille,
Et l'homme en fait autant

Sunday, January 4, 2015

"Amo" par Jean Gentil (Le Louisianais - 28 novembre 1868)

J'aime à voir en mon verre,
Seigneur, rire ton vin,
Car Dieu nous mit sur terre
Pour boire un jus divin.

J'aime un peu la fillette
Qui sourit en passant,
Car elle est Joliette
Et d'air fort innocent.

J'aime très bien la folle
Et joyeuse chanson,
Car vaut-il une obole,
l'homme de la raison?

Et j'aime, j'aime encore
Les doux petits enfants,
Oiseaux que fait éclore
Un rayon de printemps

J'aime aussi les coeur braves
Les frères, les amis,
La France sans entraves,
Les peuples insoumis.

Faut-il que je m'explique
Et dise mes amours?
J'aime la république
Des grands et nobles jours

Mais, par Dieu! je déteste
Les cafards, les hâbleurs,
Les Pierrots et le reste,
Surtout les empereurs.

Un jour, si Dieu nous donne
Des jambs de vingt ans,
Au pays qui rayonne
Nous boirons des vins blancs

Ce pays est la France,
La France où j'ai laissé
Ma plus chère espérance,
Mon plus riant passé.

Saturday, January 3, 2015

"Veuve" par Jean Gentil (Le Louisianais - 18 décembre 1869)

Dans les longues soirées
D'hiver, et quand les nuits
Froidement éplorées
Livrent l'ame aux ennuis,

Que fais-tu, veuve et belle,
Assise à ton foyer,
Lorsque le vent rebelle
Gémit à tout broyer?

Le feu lui-même est triste,
Se voyant sans amour
Et l'horloge s'attriste
En attendant le jour?

La blanche mousseline
Du lit semble un linceul
Qu'est-ce? Ton front s'incline,
Et ton Coeur est tout seul.

Belle, ouvre moi ta porte
Doucement, doucement
Car doucement j'apporte
Des pantoufles d'amant

Vois, le feu se reveille
Au foyer attristé;
L'horloge nous surveille
Son pendule arrêté

Tout vit. Qui donc soupire?
Ton doux coeur a parlé,
Et quand le coeur respire,
L'ennui s'est envolé

Friday, January 2, 2015

"Vêtement" par Jean Gentil (Le Louisianais - 7 août 1869)

Madame a de la gaze
Aujourd'hui sur le sein
Pas trop pour que s'évase
Un trois-joli dessin

Son bras, jusqu'à l'aiselle
Est aussi blanc que nu,
Et l'or seul étincelle
A ce beau bras charnu

Quand la soie incommode
Deux amoureux témoins,
On "s'habille" à la mode
En "s'habillant" le moins

Thursday, January 1, 2015

"Les Créoles aux Attakapas" par Jean Gentil (Le Louisianais - 31 aout 1867)

On dit que les Créoles
Sont vaniteux, hableurs
Rodoments en paroles,
Duellistes et fouineurs

Je connais peu la ville,
Son conseil, ses mouchards,
Sa populace vile,
Ses courtiers, ses richards

Quoiqu'il en soit, j'affirme
Haut, sans illusions,
Que pour un seul infirme
Vous comptez trois lions.

Quand le soleil se lève,
Ils sont déja levés,
Chassant au loin le rêve
Des loisirs envolés

Ils se courbent sans honte,
Par un soleil d'été
Vers la terre d'où monte
L'épi de liberté

Je les vois à chaque heure aux champs où l'on moissonne
Le pain des laboureurs
Travailler en hiver, travailler en automne
Sans compter leurs sueurs,

Les vieillards, les enfants, et quelquefois les femmes
S'en vont au rendez-vous,
Accomplissant ainsi le saint travail des âmes,
Des fils et des époux.

Je connais un enfant de dix ans. Il s'appelle
D'un nom bien glorieux
Son père, un général, fut un noble "rebelle"
Combattant pour ses Dieux

Et ce père est tombé quand le cri de "victoire"
Sonnait dans le clairon,
Laissant pour heritage un souvenir de gloire,
Une épée et son nom

Savez-vous ce que fait l'orhphelin de la guerre,
L'enfant de dix ans? --- Non.
Vaillant, joyeux, content, il laboure la terre
Et se nomme Mouton.