Tuesday, March 31, 2015

"Espagne" par Jean Gentil (Le Louisianais - 11 Juin 1870)

Horloger Charles Quint, Empereur d'Allemagne,
Prince plus puissant que le grand Charlemagne,
Roi, César, Pape et tout,
Sais-tu qu'on met en vente aux Cortes Espagnoles,
Comme s'il agissait d'un vieux tas d'espignoles,
Un pan de ton surtout?
 
Pour un maravédis qui vent le diadème
Du senor Marfori, beau palfrenier qu'on aime?
Par Castille et Léon!
Ce n'est pas cher L'Espagne et Cuba la charmante
Valent bien, après tout, la peine que l'on mente
A la Napoléon.
 
Monsieur Prime n'ose pas, Serrano se confesse,
Et le toréador royalement professe
Sa haine à tout larron;
Le vieil Espartero répond: "Nenni, Marie;
L'essieu n'est pas solide et la jante est pourrie;
Mon père était charron."

Monday, March 30, 2015

"Politiciens" par Jean Gentil (Le Louisianais - 4 Juin 1870)

Lorsque tu vois des hommes
Chercher brutalement
Dans la boue où nous sommes
Le pain et l'excrémet,

--Le fricot politique
Qu'on lape à deux genoux,--
Femme aristocratique,
Que pense-tu de nous?

Superbe est la curée,
Splendide est le tableau
Et la meute altérée
A du sang au museau.

Femmes, chassez ces hommes,
Souriez aux meilleurs,
Dites: "Les Gentilshommes,
Ce sont les travailleurs."

Sunday, March 29, 2015

"Chenille" par Jean Gentil (Le Louisianais - 28 Mai 1870)

Que le chêne robuste,
Aux grands bras orgueilleux,
Sente écraser son buste
Par la foudre des cieux,

C'est bien: la lutte est noble.
Mais se voir insulté
Par la chenille ignoble,
C'est trop, en vérité.

Saturday, March 28, 2015

"Oubli" par Jean Gentil (Le Louisianais - 21 Mai 1870)

A quoi bon la chimère
Que l'on poursuit toujours?
La vie est chose amère,
La nuit est sur nos jours.

Pourquoi, fol Encelade,
Rêver avec orgueil
Et tenter l'escalade
D'un ciel fuyant à l'oeil?

La gloire, c'est le nombre
Et non le radieux;
De la mousse, un peu d'ombre
Et l'oubli valent mieux.

Friday, March 27, 2015

"Gueuserie." par Jean Gentil (Le Louisianais - 14 Mai 1870)

Qu'un coquina soit coquina, c'est selon la nature,
Et la vertu n'est pas dans l'ignoble tandis:
Le pore a son groin, le ruminant pâture
Et l'on connait de loin les gueux et les bandits.

Il faut, pour contraster les choses de ce monde
Et faire ressortir l'éternelle beauté,
La noble créature et la salope immonde,
Le monstre dans la nuit, l'âme dans la clarté.

Pierre grandit par Paul. Mais qu'on larron notoire,
Surpris main dans le sac et reconnu l'histoire,
Don't le dernier gamin peut raconter l'histoire
Sans la signaler ainsi: c'est cet habit marron!

Que ce gueux, disons-nous, gourmande l'honnête homme,
Invoque la vertu, parle de probité,
Eclabousse les gens, se dise gentilhomme,
Honorable et ... c'est fort, trop fort, en vérité,

Thursday, March 26, 2015

"Historique" par Jean Gentil (Le Louisianais - 7 Mai 1870)

Oui, cet homme illustra la horde fédérale ,
Recruté Dieu sait où.
Comme soldat, il fit la grande oeuvre morale
D'un "straggler" ou filou.
 
Un jour il déserta, pour courir l'aventure
Des bois et des chemins,
Et devint laronneau, étant de sa nature
Un coquin à dix mains.
 
Poursuivi pour un vol, il partit sans trompette,
En nouveau déserteur,
Changea de nom, d'Etat, et ... l'histoire répète:
"Monsieur le rédempteur."
 

Wednesday, March 25, 2015

"Pharisiens." par Jean Gentil (Le Louisianais - 30 Avril 1870)

Le Christ, si doux au faible, au simple, au pauvre monde,
A réhabilité la creature immonde
Sanglotant à ses pieds;
Et quand on lapidait une femme adultère,
Il força les bourreaux à baisser vers la terre
Leurs fronts humiliés.

Frère des vagabonds, et comme eux sans demeure,
Il allait simplement vers la douleur qui pleure,
L'ombre appelant le jour;
Et c'est aux réprouvés qu'il donnait ses caresses,
Et c'est aux plus maudits qu'il portait ses tendresses,
Etant Dieu par l'Amour.

Le bon Samaritan, bien que de Samarie,
Nom de Jerusalem, mieux que l'homme qui prie
Trouva grâce à ses yeux;
C'est que le bien supreme est fait d'oeuvres augustes,
C'est qu'on mot de prière, en suffisant aux justes,
Ne suffit pas aux cieux.

Mais ce Jésus si doux, Christ de la parabole,
Flagellait quelquefois d'une amère parole
Le rétif des genoux.
Docteurs, Scribes, marchands, ô Grands-Prêtre du
Que la bêtise élève, enrichit et contemple,
Nous en souvenons-nous?

Tuesday, March 24, 2015

"Dialogue" par Jean Gentil (Le Louisianais - 23 Avril 1870)

--Pierre, ouvre donc la porte,
Et pas tant de façon!
--Qui donc es tu?--Qu'importe?
Je suis un franc garcon.

--Possible; chaque drôle
Me dit toujours cela.
Mais qu'as-tu sur l'épaule,
Et d'où viens-tu par là?

--D'Amérique, concierge,
Et dans mon sac garni
Je te reserve un cierge,
Par Saint War Moth bénit.

--Dans ma géographie
Ce lieu n'exite pas,
Et je te signifie
De filer à grands pas.

--Mais je suis gentilhomme
Du carpet-bag, chrétien
De la Mecque et de Rome,
Et Dieu me connait bien.

--Coquin, détale vite,
Et sans raisonner tant!
Va te faire lévite
De ton parrain Satan!

Monday, March 23, 2015

"Infaillibilité" par Jean Gentil (Le Louisianais - 16 Avril 1870)

Mais oui, pauvres mortels, il faut baiser la terre;
Il faut s'agenouiller, devant le haut mystère,
Aux dalles du Saint Lieu.
C'est la semaine sainte,--- une grande semaine
Où le drame sacré de la nature humaine
A fini par un Dieu.
 
Le Christ fut le salut, étant l'amour lui-même,
La charité sans fond, la lumière supreme,
Le Fils ouvrant les cieux.
Et c'est en gravissant le Calvaire de l'homme,
En mourant sur la croix de l'esclave de Rome,
Qu'il devient radieux.
 
Mais avant de mourir, et lorsque l'agonie
Dépassait la puissance et la force infinie,
Le Christ eut un émoi.
Tout en croyant aux cieux, quell homme désespère?
Et Jésus écria: "Détournez, ô mon Père,
Ce calice de moi."
 
Pierre, Pierre connut aussi la défaillance
Et la peur à demi:
Il fallut que le coq rappelât la vaillance
De l'apôtre endormi.
 
Or donc, si l'homme -Dieu eut le frisson suprême,
Si Pierre a renié le doux Maître qu'il aime.
Pourquoi, sages docteurs de notre humanité,
Voulez-vous réclamer l'infaillibilité?
 

Sunday, March 22, 2015

"Justice" par Jean Gentil (Le Louisianais - 9 avril 1870)

L'aïeule était infirme, et la femme alitée
Offrait son sein de mère au pauvre nouveau-né;
Quant aux autres enfants, triste bande hébétée,
Ils demandaient du pain, ayant beaucoup jeûné.

Pas de pain sur la planche et d'argent dans l'armoire,
Quelle armoire! Un bahut non fermé, sans valeur.
Pas de crédit non plus. Qui grossit le mémoire
De l'ouvrier honteux, soit blanc, soit de couleur?

Surtout point de travail! La faim est chose amère
Pour les petits enfants que Dieu fit pour aimer,
Pour le vieillard blanchi, mais surtout pour la mère
Qui souffre dans chacun et n'ose blasphémer.

Que faire? On vole un pain. Mais la loi vénérable
Vous empoigne au collet comme un vil sacripant,
Vous traine sans merci devant un Honorable,
Vous met sous les verrous, et quelquefois vous pend.

La chose est opportune.
Mais les Représentants
Qui bâclent leur fortune
Sans peine dans deux ans?

Saturday, March 21, 2015

"Gueux et Gueusard. [Aux excellences du jour]" par Jean Gentil (Le Louisianais - 2 Avril 1870)

Le gueux est un pauvre homme
Vivant au jour le jour,
Un peu bête de somme,
Parfois faisant l'amour.

Après tout, il travaille
Comme un maudit brutal,
Menant vaille que vaille
Sa vie à l'hôpital.

Tout seul il y trépasse,
Sans l'ami, sans l'adieu;
Mais le bon ange passe
Et porte une âme à Dieu.

Quant au gueux politique
Qui détrousse avec art
Dans sa vile boutique,
Messieurs, c'est un gueusard.

Friday, March 20, 2015

"Métamorphose" par Jean Gentil (Le Louisianais - 26 Mars 1870)

Le vrai républicain n'est pas la creature
Qui se plait dans l'égoùt, aime la pourriture
Et méconnait l'honneur.
Il veut la liberté qui parle en souveraine;
Mais son front est serein, mais son âme est sereine,
Mais il est la splendeur.
 
Vous ne le verrez point, sans honte et laid d'envie,
Blasphémer la vertu, prostitner sa vie
A toute volupté;
Il ne se vendra pas pour de l'argent qui souille,
Il ne mendira point les faveurs de l'arsouille;
Il est la pauvreté.
 
Héroîque est sa foi. Donc, quand passe cet homme,
Cet apôtre songeur qui fait penser à Rome,
Il ne faut pas raillery.
Ce serait ridicule et sot, la raillerie,
Et l'esprit des goujats est une vieillerie,
Qui consiste à gouailler.
 
Mais quand on voit un gars sans vertu, sans croyance,
Sans pudeur, sans esprit, sans coeur et sans vaillance,
Invoquer hautement
Le titre qui convient aux âmes généreuses,
Le nom qui se flétrit aux natures véreuses,
On dit: le drôle ment.
 
Dans ce pays d'audace, où l'aventure est reine,
Où le menteur est roi, la foi républicaine
A des adorateurs;
Mais nous les connaissons comme on connait les reitres,
Comme on connait les gueux, comme on connait les traîtres,
Et les vils imposteurs.
 
Hier leur botte faisait la grimace à la boue,
Et leur vieux pantalon montrait un quart de joue
Par deux vilains accrocs.
Ils ne travaillaient point,---cela n'est plus de mode,
Et trouvaient bien plus simple et tout à fait commode
De vivre en carencros.
 
Un pays est charogne à toute bête immode
Et fauve. Ce pays fut leur part, fut leur monde,
La curée au charnier;
Et nous les revoyons gros, gras, joyeux, beaux hommes,
Bien bottés, bien gantés, vêtus en gentilshommes,
Suivis d'un palfrenier.
 
En vérité, messieurs, cette metamorphose
Est trop subite. Il doit se trouver quelque chose,
Un mystère en cela.
Mais qui donc ne sait point que la chenille informe
A rampé tout d'abord, puis a change de forme,
Enfin qu'elle vola?

Thursday, March 19, 2015

"Printemps" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 mars 1870)

C'est le printemps qui vient, la saison des folies
Où les chiens sont flâneurs et les filles jolies.
Une belle saison!
Les pêcheurs, les prumiers et les lilas fleurissant;
Les moqueurs, les titis et les geais s'attendrissent
Dans l'arbre ou le buisson.
 
Le soleil devient jeune à rajeunir les veuves,
A donner aux laideurs des peaux fraîches et neuves;
Les vieux sont en émoi
En prenant sa gueulée au trèfle, à l'herbe tendre,
Mon honnête cheval se purge sans attendre,
Mieux avisé que moi.
 
Mon également se traite avec des simples,
"Car l'animal est sage et les hommes sont simples,"
A dit fort bien Sancho.
Oui, c'est le gai printemps; c'est aussi le Carême,
Où tout en faisant maigre on ressucite, on aime,
On boit du vin sans eau.
 
C'est chanson par les champs. Et la Législature
S'ajourne et se promet la villégiature
De maître Cicéron.
Le hanneton informe a déployé son aile,
Et l'on voit dans les airs la rapide hirondelle
Qui décrit son grand rond.
 
Déja le taon noirci, nommé fouille-nature,
En bon carpet-bagger brouette d'aventure
Sa boule et son butin.
La fange est le pétrin où travaille le drôle,
Et la boule grossit à chaque coup d'épaule,
Maison jadis crottiu.

Wednesday, March 18, 2015

"Plumocrates." par Jean Gentil (Le Louisianais - 12 Mars 1870)

J'ai dessiné des phrases,
J'ai cadencé des vers,
Rimant par périphrases
Et pas trop de travers,

Donc je suis un grand homme;
Et je suppose aussi
Qu'on me connait à Rome
Non moins que par ici.

Grand bien fasse à mon âme!
Mon vieux père est content,
Et moi donc? Et ma femme?
Et mon fils qui m'entend?

........................................
Le paysan robuste,
Qui chante en travaillant,
Te dépasse du buste,
O peuple barbouillant.

Tuesday, March 17, 2015

"Saint-Patrick" par Jean Gentil (Le Louisianais - 12 septembre 1868)



Deux braves irlandais -- les Irlandais sont braves,
Arrivent un beau jour
A la porte sacrée où Dieu mit des entraves,
Des gonds, et puis un sourd.

C'était de fort bonne heure, à l'heure solennelle,
Où le coq a chanté,
Pour enseigner à Pierre à faire sentinelle
Avec fidélité.

Le portier, par hasard, avait l'humeur d'un reitre,
Etait terrible à voir.
Avait-il mal soupé, mal dormi, bu peut-être
De mauvais café noir?

Au reste, les deux gars étaient bonnes pratiques,
Francs coeurs, braves mains;
Mais s'ils avaient suivi les rites catholiques
Des vieux canons romains,

On pouvait, à raison, reprocher à nos sires
D'avoir parfois juré,
Tempêté, frappé dru, demandé tes sourires,O vieux Whiskey doré.

Pierre les repoussa, comme il est d'ordinaire;
Mais fort heureusement,
Que Patrick, le beau Saint que l'Irlande revère,
Prit sa chaise un moment.

Lorsque Pierre eut tourné le dos, sans aucun doute
Pour aller quelque part,
Patrick dit à nos gars, en leur montrant la route:
"Vite!....Entrez sans retard!"

Monday, March 16, 2015

"Février" par Jean Gentil (Le Louisianais - 26 Février 1870)

Peuples, poursuivons la chimère
Au ciel éblouissant ,
Et, libres, maudissons Brumaire
Fait d'ombre et teint de sang.

Oui, Février fut l'espérance,
L'amour, la liberté ;
Mais Décembre a couvert la France
D'un voile ensanglanté.

Qu'importe! Nous aurons notre heure
De glorieux reveil;
Le roi meurt, le peuple demeure;
La nuit fuit au soleil.

Bourgeois, pourquoi fermer ta porte
Et tirer les verroux?
Est-ce que Février t'apporte
Le cri des loups-garous?

Sunday, March 15, 2015

"Green-Backs" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 Février 1870)

Diogène, mi-nu, sage autant cynique,
Ailleurs qu'en son tonneau faisait de la clinique,
Et s'en amusait bien.
Il cherchait en son temps le coeur, l'esprit et l'âme
Dans l'homme, dans la bête et surtout dans la femme;
Mais il ne trouvait rien.

Un jour, en plein midi, par un beau ciel d'Athènes,
Dans la ville où naquit 'orateur Démosthènes,
Sa lanterne à la main,
Il se promenait seul, vous accostant sans gêne,
Laîs, Crésus, passants. Que cherchait Diogène?
-- Un homme en son chemin.

L'homme était introuvable. Aujourd'hui, chez nous-autres,
Malgré la pauvreté qu'on connait aux apôtres,
Si le diable déchu
Nous semait des green-backs, l'on pourrait voir des reîtres,
Des rois, des vagabonds, des fous, des gueux, des prêtres,
Baiser son pied fourchu.

Saturday, March 14, 2015

"Les Riflards." par Jean Gentil (Le Louisianais - 12 Février 1870)

Braves gens et gens bons, hauts bourgeois magnifiques
Allez, nous connaissons vos grands airs mirifiques,
Vos principes d'honneur, vos vertus, vos bonnets,
Votre goût pour la paix et les petits sonnets,
Jusqu'aux breloques d'or battant au ventre énorme.
Vous êtes les ventrus, donc vous aimez la forme.
Etant riches et gras, et quelquefois crétins,
Vous combattez pour "l'ordre" et nommez libertins
Les jeunes, les croyants, les beaux d'enthousiasme.
La République effraie et vos coeurs et votre asthme
Messieurs, n'est-elle pas la revolution?
Rappellez-vous Marat à la Convention,
Danton aux Cordéliers, les Jacobines immondes,
Et tous les scélérats bavés sur les deux mondes.
Laissez-nous vivre en paix dans nos bonnes maisons,
Avec notre fianelle et nos chauds caleçons,
Pas de bruit dans la rue! Et que vous Rochefort,
Ce gueux, cet aboyeur, ce chien qui hurle fort?
Napoléon est grand, la police parfaite;
Le beurre se vend bien, la France est satisfaite;
L'Empire est une gloire, Ollivier dit le Daim
Promène aux caveaux d'or sa lampe d'Aladin.
Que nous font, s'il vous plait, et Décembre et Brumaire?
Les morts ne disent rien; c'est vieux comme grandmère.
L'empereur nous dorlotte et parfois sur nos coeurs
Il attache un ruban qu'on attache aux vainqueurs.
Cela fait bien, ça brille, et chaque factionnaire,
Devant nous porte l'arme. On peut être actionnaire
De L'Ordre des héros, n'étant que bonnetiers.
Que nous faut-il de plus? Les rois sont les rentiers.
Nous avons lu Voltaire et Paul de Kock le sale;
C'est dire que la bonne est notre humble vassale,
Que nous ne croyons point au Dieu des vieux cargots.
Mais il est de bon ton d'imiter les bigots,
D'aller doucettement à la messe. Ca pose,
On vous remarque, et puis encore je suppose
Qu'il est de frais minois à petits coeurs tremblants,
Qu'il est de blancs genoux baissant les marbres blancs,
Que la grâce est charmante. Pour le salut peut-être
Il faut que l'empereur s'accorde avec le prêtre.
Il n'est point sans autels d'ordre et de royauté.
Et voilà comme on doit aimer la liberté.
 
Oui, le bourgeois est doux, et cependant atroce.
Quand il a peur, mordioux! comme il devient féroce!
 
Et cependant l'on sait que ce bon publicain.
Avant d'être un monsieur, fut un républicain.
 

Friday, March 13, 2015

"Vin vs Whiskey" par Jean Gentil (Le Louisianais - 5 Février 1870)

Je hais l'homme sévère
Qui nous gourmande en vain;
Le sage emplit son verre
D'espérance et de vin.

Le vin réchauffe l'âme
Et rime en mon cerveau;
C'est l'esprit saint, la flamme,
L'amour toujours nouveau.

Il vous rend bon et sage,
Point morose, charmant,
Fleurit votre visage
Dans l'attendrissement.

C'est la vertu des hommes
Et le lait des vieillards;
Il plait aux gentilshommes
Et rit aux babillards.

Son ivresse est chantante,
Joyeuse, douce au coeur;
C'est une Eve qui tente
Un Adam, son vainqueur.

Mais quel est donc cet homme
Abruti, bourgeonné,
Hurlant, blasphêment comme
Un ignoble damné?

Il a la lèvre impure,
L'oeil bas, point de chapeau,
Et le whiskey supure,
Au travers de sa peau.

Le voilà, qui chancelle,
Qui vomit dans l'egoût,
Et s'endort sur la selle
Qui convient à son gout.

Thursday, March 12, 2015

"Trou et Ciel" par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 Janvier 1870)

Que sert la renommée?
Que veut dire partout?
Du feu sort la fumée,
Et le vent chasse tout.

L'amour est la chimère
D'un jour sans lendemain;
Toute femme est amère,
Si douce est toute main.

Et quant à la fortune,
A son vide bonheur,
Son nom même importune
Autant qu'une fadeur.

Salomon, le vrai sage,
Avait tout agité,
Et d'un triste visage
Il disait: Vanité!

Hélas ! tout est mensonge,
O Dieu, sous ton soleil,
Et la vie est un songe
Qu'emporte le réveil.

Le fossoyeur nous creuse
Un trou, dernier séjour,
Où nulle âme pieuse
Ne pleure plus d'un jour.

--C'est vrai, murmure l'ange;
Mais je connais un lieu
Où l'amour sans mélange
S'épanouit en Dieu.

Wednesday, March 11, 2015

"Radicaux" par Jean Gentil (Le Louisianais - 8 Janvier 1870)

War Moth, apothicaire
D'Etat, causons un peu,
Maintenant que Macaire
Se chauffe au coin du feu.

As-tu vu cette femme
Crottée, en guenillons,
Jeune encor, mais infâme
Au milieu des souillons?

Maintenant cette gaupe
Se dresse avec fierté,
Et ce n'est plus la taupe
Fouillant l'obscurité.

Plus d'un badaud admire
Son air, ses diamants,
Et le long cachemire
Payé par tant d'amants.

Quelle metamorphose!
Chenille en papillon,
Elle triomphe, elle ose
Eclipser le rayon.

--Le noir est bonne bête,
Un excellent mouton;
On le prend par la tête
Et puis on vous le tond.

Tuesday, March 10, 2015

"Caniques" par Jean Gentil (Le Louisianais - 1 Janvier 1870)

Quand notre ombre s'allonge
Dans le soir rembruni,
Ou bien qu'elle se plonge
Dans l'obscur infini,

Nous rêvons à la vie
Passée, à la saison
Où notre âme ravie
Chantait comme un pinson.

Celui-ci se rappelle
Le printemps radieux,
Lorsque l'enfant épèle
L'amour en de grands yeux.

Cet autre, aujourd'hui triste
Comme un enterrement,
Se souvient que l'artiste
Eût son rayonnement.

Et le troisième pleure
Sa dent, sa blanche dent,
Qui croquait tout à l'heure
La reinette d'Adam.

Pour moi, je ne regrette
Pointe l'amour,--- du vent!
La couronne,--- une aigrette!
Et plonge en avant.

J'ai pourtant souvenance
Que Dieu combla mes voeux
Par un coup de finance
A l'endroit d'un morveux.

Un jour, sous la grande arbre
A papa, j'ai gagné
Vingt caniques de marbre
A Coco Sévigné.

Monday, March 9, 2015

"B.B.B." par Jean Gentil (Le Louisianais - 4 Décembre 1869)

Quand cet homme de haine, à la prunelle terne,
A l'oeil louchant son coeur,
Reviendra parmi nous, souriant et paterne,
Grimaçant et vainquer;
 
Quand il invoquera pour excuse vulgaire,
Pour pardon rejeté,
Et la raison de l'Etat, et le canon de guerre,
Et la nécessité;
 
Nous lui dirons qu'il fut un héros de cymbale,
Général sans endos,
Qu'il ne courut jamais les risques d'une balle,
Pas même au bas du dos;
 
Qu'il vola nos couverts, qu'il se fit chef de bande,
Qu'il vendit des "Permis"
A quiconque voulut faire le contrebande
Avec les ennemis;
 
Qu'il se montra fort brave en ses propos infâmes,
Mais loin de tout danger;
Qu'en l'absence des fils il insulta les femmes,
Afin de se venger.
 
Comment le recevoir? Quels honneurs à ce drôle,
A cet affreux Pasquin?
Femmes, souvenez-vous qu'on doit hausser l'épaule
Devant un vil coquina.
 

Sunday, March 8, 2015

"La vie" par Jean Gentil (Le Louisianais - 20 Novembre 1869)

C'était un arbre libre
Au chemin d'à-coté,
Poussant en équilibre,
Tout jeune et bien planté

Sa branche était ouverte
Au chant comme à l'amour,
Et sur la feuille verte
Rayonnait l'oeil du jour.

Mais où donc est la feuille,
O pauvre arbre chantant?
La branche se défeuille,
Et l'homme en fait autant.

Saturday, March 7, 2015

"Regarde et montre" par Jean Gentil (Le Louisianais - 13 Novembre 1869)

Oui, je suis un Gaulois de la vieille patrie,
De celle qu'on nomma toujours une Matrie;
Mon père est un guêtré, Jacques sont mes aîeux,
Et leurs sabots pointus, aussi nobles que vieux,
Ont tracé le sillon des libertés humaines,
Je me crois paysan, et je sens dans mes veines
Circuler librement le vin des coteaux verts,
Le souffle des Français, le lyrisme des vers.
La France est ma patrie, une patrie immense
Qui fait le jour au monde, par laquelle commence
Et finit l'idéal, et sans laquelle Dieu
N'aurait plus de rayons, n'ayant plus de Saint Lieu.
A l'âge des enfants je la servis en homme,
Et le brun vigneron sait comment on me nomme,
Lui qui but avec moi, dans les jours glorieux,
A la liberté sainte, au soleil radieux,
A l'affranchissement des nations entières,
Aux esclaves levés par légions altières,
A notre humanité resaissant ses droits,
Au chemin de l'exil par où fuyaient les rois.
Ce fut un rêve, un rien, une lueur qui passe;
Et nous fumes vaincus, et nous eumes l'espace
Pour arbiter nos fronts. Vaincus mais non domptés.
Nous protestons encore, et nous sommes comptés.
Quand sans souliers, sans pain, sans abri, misérables,
Isolés parmi tous, et toujours exécurables,
Nous sommes morts dans l'ombre, avez-vous entendu
La plainte, le regret d'un seul proscrit rendu?
 
Pour moi, restant Gaulois, j'aime la république,
Et j'inscrivis mon nom sur la liste publique
De mes frères d'ici. Ce pays est le mien;
L'homme est chez lui partout, étant partout chrétien.
Que m'importent les lieux? Le point est d'être libre,
Citoyen, travailleur, à Londres, sur le Tibre,
En Suisse où les glaciers ont la virginité,
Au sommet où l'on meurt l'oeil rempli de clarté.
 
Vieillard bientôt aveugle, usé, riche en souffrance,
          Ai-je trahi quelqu'un?
Je vénère mon Dieu mes aîeux et la France,
          Ma France sans Tarquin.
 
Et lorsque je mourrai sur la terre adoptive,
          Bientôt, dans un moment,
Ma fille chantera le chant de la captive,
          Doucement, tristement.
 
Mes enfants, tous d'ici, mon infirme elle-même,
           Pleureront au depart,
Innocents qui diront: Puisque Papa nous aime,
            Pourquoi donc Papa part?
 
O noble aventurier, toi qui ris d'un air drôle,
Montre-nous, maintenant ton coeur et ton épaule.

Friday, March 6, 2015

"Hyacinthe" par Jean Gentil (Le Louisianais - 6 Novembre 1869)

Pourquoi donc ce vacarme
Ici, là-bas, partout,
A propos d'un seul Carme
Qui change de surtout?
 
Quand un homme s'enfroque,
Mon ami, c'est son droit,
Et quand il se défroque,
En est-il plus adroit?
 
Pour une telle chose,
Un si mince accident,
Faut-il que chacun cause
De L'Est à L'Occident?
 
Est-ce un astre qui passe
Et s'éteint dans les cieux,
En laissant dans l'espace
La perruque des vieux?
 
Est-ce une loi morale
Tombant au fond d'un puits,
L'éclipse sidérale
De la lune des nuits?
 
Satan, la bête inflame,
Entrant dans le Saint Lieu,
A-t-il perdu la femme
Et bousculé son Dieu?
 
Non, rien de tout cela, Le carme Hyacinthe
N'a pas troublé les cieux;
Rome ne sera pas une cite moins sainte,
Sans trois moines chassieux.

Thursday, March 5, 2015

"Loyson" par Jean Gentil (Le Louisianais - 30 Octobre 1869)

Quand ce Carme montait à la chaire royale
De Notre-Dame, en la Cité,
Au sommet de Paris, de la France loyale
A Dieu comme à la liberté;
 
Quand il courbait les fronts sous sa haute parole,
Simple prêtre et grand orateur,
Et quand il déroulait la sainte parabole
De Jésus, Christ et Rédempteur,
 
C'était beau. L'incrédule, en entendant ce Carme,
Comprenait l'attendrissement,
Et plus d'un philosophe essuyait une larme
Qui s'échappait furtivement.
 
Il s'appelait alors Hyacinthe. Ses frères
Le citaient tous avec amour:
Il était un apôtre, un élu, l'un des Pères
Qui rayonnent au divin jour.
 
Mais le prêtre abandonne,
Croyant toujours à Dieu,
Sa robe, sa madone,
Son couvent, le Saint Lieu.
 
Et le pape des gueux, Veuillot l'atrabilaire,
L'empoigne sans façon,
L'insulte, le maudit. le damne en sa colère,
Et l'appelle Loyson.
 
Quelle étrange apostrophe
De Veuillot à Loyson!
Créditons l'apostrophe
Pour Veuillot, sans façon.

Wednesday, March 4, 2015

"V. Hugo... A Lausanne" par Jean Gentil (Le Louisianais - 23 Octobre 1869)

Les Alpes ont penché leur ville tête blanche,
Pour écouter en bas
La voix qui resonnait ainsi qu'une avalanche
Aux solennels débats.
 
Etant libres , du ciel, la montagne éclatante
Où l'on voit Dieu grandi,
La hauteur souveraine où l'infini vous tente,
Elles ont applaudi.
 
Les aigles du Grutli, du Mont-Blanc solitaire
Et des rochers de Tell,
Ont salué d'en haut le beau viellard austere,
Le poëte immortel.
 
L'ours de Berne lui-même, en entendant cet home
Parler de liberté,
Devinant que la voix ne parlait point de Rome,
A compris la bonté.
 
Le monde s'est ému comme la femme enceinte,
Au grand enfantement;
Le monde pressentait l'heure, la chose sainte,
Son affranchissement.
 
Mais ceux de la boutique,
-- Ce noir en plein midi,
Au mot "démocratique"
Trouvent le "fou" hardi.
 
Ils ont raillé le Maître
En termes d'abêtis:
Mais cela devait être.
Raillez, raillez, petits.
 

Tuesday, March 3, 2015

"Conversion" par Jean Gentil (Le Louisianais - 16 Octobre 1869)

Aussi vieux que le monde,
Satan, noir animal
Et bourreau, bête immonde,
Avait commis le mal.

Il n'avait point d'entrailles,
Ayant le pied fourchu,
Vivait de funérailles,
Dimait sur tout déchu.

Et la fille et la mère,
Et l'enfant rose et doux,
Et l'homme et sa commère,
Dans son pot de Voudous.

Se tordaient, triste bande;
Et ce Diable content
Dansait la sarabande
Et la valse en chantant.

Il entraînait les vierges
Dans l'Enfer, sombre lieu;
Il éteignait les cierges
A la barbe de Dieu.

Il flétrissait la vie,
Il flétrissait l'amour;
Il noircissait d'envie
La lumière du jour.

Ah! le gredin, l'inflâme!
C'est lui qui dans l'Eden
A corrompu la femme
Par langage mondain.

Mais respirons à l'aise;
Satan va trépasser,
Eprouvant la malaise
De ceux qui vont passer.

Il se repent, confesse
Ses crimes sans nom, nous
Implore tous, s'affaisse
Et meurt à deux genoux.

Monday, March 2, 2015

"Miracle" par Jean Gentil (Le Louisianais - 25 septembre 1869)

Jamais on ne vit pire
Animal à Pékin;
Il venait de l'Empire,
En peau de vrai nankin.

Sa queue était splendide,
Hospitalière aux poux,
Un grouillement sordide
D'épouses et d'époux.

Il parlait le langage
Des Mandchoux abrutis,
Ayant laissé pour gage
Sa langue aux ouistitis.

Entendre sans comprendre,
Et n'être pas compris,
N'est-ce pas de quoi prendre
L'existence en mépris.

Il sacrait comme seize
Aux banquettes "Canal,"
Quand un bourgeois obese
Anonna sans journal.

Quel journal? -- il n'importe.
Mais le Chinois poussa
Ce cri: "Diable m'emporte!
Je comprends fort bien ça."

Sunday, March 1, 2015

"Quelquefois" par Jean Gentil (Le Louisianais - 18 septembre 1869)

J'ai connu d'aventure.
Des nobles blassonés;
J'ai connu la roture
Et ses fils mal tournés.

Dieu n'a pas fait de nobles
A titres, à compté;
Il n'a pas fait d'ignobles
Par "Légitimité."

Mais quand l'homme rapace
D'un coffre-fort a fait
Sa lourde carapace,
Et qu'il se croit parfait.

Il deviant intraitable
Aux pauvres gens, hautain,
Arrogant, détestable,
Etant déja crétin.

Comme il vous parle en maître,
L'esclave endimanché!
Hélas! Ce ne peut être
Qu'un simple ours mal léché.