Saturday, February 28, 2015

"Songez" par Jean Gentil (Le Louisianais - 11 septembre 1869)

Au fond du coeur humain il est une loi sombre,
Loi d'inégalité,
Qui fait que ceux d'en bas se maudissent dans l'ombre,
Enviant la clarité.

L'envie est un abime aux profondeurs funèbres,
Aux désespoirs ardents,
Où l'envahissement lugubre des ténèbres
Vous fait grincer les dents.

Etre né pour l'amour et concevoir la haine,
C'est triste, en vérité;
Et nous plaignons, seigneur, la pauvre race humaine
Qui vit sans charité.

Et s'il faut la misère, et s'il faut l'opulence,
Le noir, le radieux,
Que du moins on entende une voix de clémence
Qui nous parle des cieux.

Les riches n'on qu'un jour, comme les misérables;
Quand ce jour est passé,
On ne répare plus les fautes réparables,
Puisque Dieu s'est lassé.

Aussi, vous qui buvez l'ivresse de la vie
Dans une coupe d'or,
Si vous voulez dormir et désamer l'envie,
Donnez, donnez encor.

Qui sait le dernier mot de la dernière histoire,
Et si le châtiment
Que réclame le pauvre en son requisitoire,
N'est point le jugement.

Friday, February 27, 2015

"Victor Hugo" par Jean Gentil (Le Louisianais - 4 septembre 1869)

Tout dépend de l'optique,
Maître, et de la hauteur:
Un plafond de boutique
Est une pesanteur.

La myopie habite
Les horizons bornés,
Et cet homme est presbyte
Pour avoir trop long nez.

"Petit oiseau!" dit-elle,
En voyant dans les cieux
L'aigle fier qui plane, aile
Nageant au radieux.

Les glands sont dans l'immense,
Les petits sont en bas.
Qui donc est en démence,
Et qui donc ne voit pas?

Thursday, February 26, 2015

"La Croix" par Jean Gentil (28 août 1869)

Oui, gracieux Messire,
Tu n'est point un forban;
Mais baille au pauvre sire
La croix et son ruban.

Je dirai que ta femme
A le coeur sur la main,
Que tu possèdes l'âme
D'un empereur romain.

Pour le principicule,
Ton moutard, l'on fera
Un brilliant opuscule
Sur l'air de "ça-ira"

Dans une apothéose
De Césars radieux
On mêle tout, et j'ose
Vous comparer aux Dieux.

J'ai trois cousins, mon Maître,
Tous les trois décorés,
Et qui méritent d'être
Noblement enterrés.

Le premier, débonnaire,
Mari toujours content,
Nous vend son luminaire
Près de Ménilmontant.

Le second, bureaucrate,
Pense et vit comme un rat;
Il croit qu'un démocrate
Est un grand scélérat.

Le troisième à la mine
D'un Sénateur poussif,
Et ce valet rumine,
Gras, gros, repus, massif.

Wednesday, February 25, 2015

"Républicain" par Jean Gentil (Le Louisianais - 21 Août 1869)

Suis-je donc, ô ma belle,
Un horrible coquin,
En me disant rebelle
Et franc républicain?

Ma mère est paysanne,
Mon père paysan;
Ce n'est pas courtisane,
Ce n'est pas courtisan.

Mon aîeul vit l'aurore
Des grands jours accomplish,
-- Beau prisme tricolore
Flottant aux larges plis.

Lorsque la "Marseillaise"
Effrayait le vieux Rhin,
Il marchait à son aise,
Pieds nus, en souverain.

C'est toute ma noblesse:
J'y tiens comme à mes yeux,
Et si cela vous blesse,
Tant pis, c'est pour le mieux.

A la hure d'un homme,
A la gueule d'un ours,
A Paris comme à Rome,
 Républicain toujours!..

Tuesday, February 24, 2015

"Si j'étais roi" par Jean Gentil (Le Louisianais - 17 Août 1869)

L'innocence est charmante,
Surtout à dix-sept ans;
On croit, on aime, on chante,
Et l'âme est un printemps.
 
L'on voudrait être roi dans un puissant empire,
Pour donner à chacun,
Pour embrasser Cinna qui trahit et conspire,
Pour sauver un coquin.
 
Que la jeunesse est belle!...
Mais, mon pauvre garcon,
Tout roi hait le rebelle
Et punit sans façon.
 
L'on voudrait être reine, étant déja la femme,
Pour aimer chastement
Le noble citoyen qui vous offre son âme
Et son saint dévouement.
 
Pourquoi donc être reine
Par titre et vanité?
La femme est souveraine
De toute éternité.

Monday, February 23, 2015

"Mort du Diable" par Jean Gentil (Le Louisianais - 31 Juillet 1869)

Amis, réjouissons-nous, chantons la chansonette
Et narguons bien le sort;
L'humanité s'étire et n'a plus la venette,
Car le vieux Diable est mort.
 
La chose est arrive
En France, l'autre jour
Et nous l'avons trouvée
Simple comme bonjour.
 
Par un beau clair de lune,
Quand la lune est un rond,
Marguerite était une
Fille cherchant luron.
 
C'était le Diable. -- Comme
Margot rôdait le soir,
Il vit un bonhomme
A tricorne tout noir.
 
Et le tricorne anstère
Etait un bon curé,
Rentrant au presbytère
Où Dieu s'est retiré.
 
Margot trouva la chose
De son gout, faite exprès;
Elle sourit, elle ose,
Et regarde de près.
 
Le vieux était pudique,
Car l'âge est un vainqueur,
Jamais fille impudique
N'avait troublé son Coeur.
 
Or, il frappa la bête
Sur la barre du cou,
Il fit voler sa tête...
Dieu seul pourrait dire où

...............................
Une couleuvre rose
Trouvée au lendemain,
Nous prouve que la chose
N'est pas dite à la main.

Sunday, February 22, 2015

"La Goutte" par Jean Gentil (Le Louisianais - 24 Juillet 1869)

Dans le Sud d'Iberville,
Mon voisin d'à-côté,
Un vrai journal de ville,
Et fort bien édité,
 
Je lis en prose anglaise
L'entrefilet suivant,
Qui causera moult aise
Au goutteux ahanant:
 
"A jeune bachelette
De seize ans plus un an,
Et faisant sa toilette,
Vous prenez mouchoir blanc.
 
Ensuite, dans l'eau claire,
Tout près du grand moulin,
Vous savonnez de Claire
Le mouche-nez de lin.
 
Et puis à l'aventure,
Au moins un heure et quart,
Il sèche à la cloture
D'un paysan picard.
 
Est-ce tout? On l'envoie
A certain vieux docteur,
Pour qu'il voie et revoie
Son "Codex" de traiteur.
 
Et l'avocat vous loue,
Pour marquer ce mouchoir,
L'encrier plein de boue
Où Satan s'est fait choir."
 
C'est alors, ô merveille,
Etrange et sans pareille!
Que le goutteux guérit
Et rit.
 
Mais pour que le chiffron opère ces merveilles,
Il faut une fillette aveugle et sans oreilles,
N'ayant qu'un amoureux; il faut un bon meunier
Qui porte le froment ailleurs qu'en son grenier;
Il faut un franc Picard méconnaissant l'envie;
Il faut que le docteur n'aie jamais pris la vie
D'un pauvre infortuné drogué par le Codex;
Il faut que l'avocat ait toujours de l'index
Défendu l'innocent pour l'honneur de la preuve."
 
Or donc, pauvre goutteux, la mort finit l'épreuve.
 

Saturday, February 21, 2015

"Béquillard" par Jean Gentil (Le Louisianais - 10 Juillet 1869)

Quand j'étais galopin de dix ans, et sublime
Entre les polissons,
Je grimpais sans trembler, ô grand chêne, à ta cime,
La lune aux caleçons.
 
Je m'enivrais d'air pur, de liberté, d'audace
Et d'éblouissements,
Et mon âmes chantait comme étant à sa place
Dans les étonnements.
 
Cent pieds m'effrayaient peu. Je regardais à terre,
En vrai singe accroché,
Retenu par un bras, collé comme un mystère
Aux pierres d'un clocher.
 
Dans le vaste horizon que d'admirables choses!
Et j'entendais des voix,
Des soupirs, des babils, des vers, toutes les gloses
Qu'on entend dans les bois.
 
J'avais bon pied, bon oeil, et j'étais sans chaussures;
Car pour grimper aux cieux
Les bottes de monsieur sont très rarement sûres:
L'orteil nu vaut bien mieux.
 
Or donc, vrai galopin de l'école d'Ovide,
Et qui tout ignorait,
Je dérobais les oeufs, je faisais le nid vite,
Et la mère pleurait.
 
L'oiseau chantait pour nous: il était l'innocence,
L'aile, le chant, l'amour;
Mais l'enfant était là, cruel comme l'enfance,
Brutal comme un vautour.
 
Oui, mais le châtiment vient toujours à son heure,
En vengeur irrité;
Les pleurs qu'on fait couler, homme, il faut qu'on les pleure
Par réciprocité.
 
Maintenant, je promène
Lentement, en vieillard,
Une carcasse humaine
De pauvre béquillard.

Friday, February 20, 2015

"Courtisans" par Jean Gentil (Le Louisianais - 3 Juillet 1869)

Monseigneur Serrano, quand la femme adultère,
Reine, fille ou catin,
Met un homme en son lit, cet homme doit se taire
Ou bien parler latin.
 
Après tout, quand la folle est votre souveraine
Et s'ennuie au palais,
Elle ne vous choisit que parcequ'elle est reine,
Vous étant ses valets.
 
Pour cet accouplement sous riche mousseline
Qui doit fidélité?
Elle ou vous? ... Il fallait repousser Merssaline,
En Joseph irrité.
 
Mais lorsque vous avez dévoré la caresse,
En n'importe quel lieu,
La lâche trahison d'un homme à sa maitresse
Révolte jusqu'à Dieu.
 
Or, Régent de l'Espagne et de Cube, Isabelle
A mérité son sort;
Mais Serrano n'est point un glorieux rebelle.
Savez-vous bien qu'il sort
 
De l'alcôve royale où les femmes sont nues
Tout naturellement,
Et que le sacrifice aux voluptés charnues,
Est lui-même un serment?

Thursday, February 19, 2015

"Journaliste" par Jean Gentil (Le Louisianais - 26 Juin 1869)

Le père hocha la tête
Et se dit tristement:
"Mon fils est une bête,
Un mauvais garnement.

Faire de l'ineptie
Un avocat?---Non, non;
Le drôle balbutie
Péniblement son nom.

Un docteur? ---- Sa cervelle
A quitté son cerveau,
Et Broussais se révèle
Rarement dans un veau.

Un cure?--- Mais cet âne
Est gourmand, libertin,
Indécrotté, profane,
Bourrique pour latin.

Avec cela l'infirme
A de la vanité;
Hautement il affirme
Son imbécillité."

Le père fataliste
Le sauça sans façon
Dans l'encre, ô journaliste,
Où barbote l'oison.

Wednesday, February 18, 2015

"Rien" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 Juin 1869)

Un doux rêveur, poete au bleu mystère,
Aux longs cils sur les yeux,
Aux étoiles dans l'âme, inconnu de la terre
Et bien connu des cieux.
 
Etait assis sur l'herbe... Avril, le mois des roses,
Des parfums, des rayons,
Lui jetait à l'esprit les merveilleuses choses
Des lointains horizons.
 
Il vivait loin du temps et des mondes visibles,
En dehors du fini;
Il écoutait  sans doute  aux spheres invisibles
L'accord de l'infini.
 
Le poete est ainsi. Rêver est son ivresse,
Et nul ne dira bien
Tout ce qu'il est d'amour, de Bonheur, de tendresse,
A ne penser à rien.
 
Ce rien, ô bon bourgeois de la bonneterie,
Te faire rire, parbleu!
Et tu ne comprends pas qu'on cherche une patrie
Là-haut, dans le ciel bleu.
 
Mais ce rien, c'est un Tout. C'est l'âme avec des ailes,
C'est le coeur qui bondit,
C'est la foi qui remonte aux clartés éternelles,
C'est l'homme qui grandit.
 
Pendant que nous mordons aux succulents choses
D'un étrange milieu,
Le beau poete, lui, s'élance vers les causes,
Vers un rien, vers son Dieu.

Tuesday, February 17, 2015

"Journal" par Jean Gentil (Le Louisianais - 12 Juin 1869)

L'allumette chimique,
Qui prends à volonté,
N'est pas du tout comique,
Et c'est bien inventé.

Le cirage lui-même
Est un fameux poncif
Pour la botte suprême,
Ou le soulier massif.

Et les mille protiges
En temps de carnival?
Et le puissants quadriges
Qui roulent sans cheval?

Et le ballon qui vole
Dans les cieux étonnés,
Devant l'homme frivole
Qui relève le nez?

Mais le progrès splendide,
Sans nom, phénoménal,
C'est le chiffron sordide
Qui devient un "Journal"

On y voit des idées,
Des tableaux, des couleurs,
Des filles peu fardées,
Des romans et des fleurs.

La grande politique
Y montre ses crochets,
Et l'homme de boutique
Y tend ses trébuchets.

C'est tout un repertoire
De morts et de vivants,
Une superbe histoire
De chiens et de savants.

Et pour peu qu'il imprime
En "Pica" votre nom,
Vous lui donnez la prime
De gloire et de renom.

Quels beaux rêves d'une heure,
Et quelle volupté!
Votre âme rit et pleure
Dans un monde enchanté.

Après, lorsque la feuille
A passé(e) sous mon nez,
Je la prends, je l'effeuille
Dans le grand trou punais.

Monday, February 16, 2015

"Postiches" par Jean Gentil (Le Louisianais - 5 Juin 1869)

O siècle de pastiches,
Fier de ton saint-frusquin,
Tes progrès sont postiches,
Ton nom est Arlequin.

La mode ridicule
Balance ta pudeur,
Par un jeu de bascule,
De bétise à laideur.

La femme y joue un rôle
D'habile et bonne main,
Qui n'est pas le moins drôle
Du répetoire humain.

Ce fut la crinole,
Ce fut le corps serré,
Ce fut la popeline,
Ce fut le sein bourré.

Et dame chevelure
S'enrichissant de crin?
Et frou frou dans l'allure
Par tortillon de train?

Et les mollets de soie,
Les précieux mollets?
Ne crains pas qu'on les voie;
Ils ne sont pas trop laids.

Et le fard, et la mouche,
Et le poudre de riz?
Et les dents de la bouche,
Qu'achètent les maris?

O croustillantes choses,
Que nous vous admirons!
Etant effets sans causes,
Vous parez laiderons.

Abandonnant la robe
De dix-huit pieds et plus,
Qui couvre et qui dérobe
Le plus et le surplus,

La femme très-prudente
A beaucoup écourté
Sa jupe trop pendante,...
Et c'est bien inventé.

Puis à la mappemonde,
Où le dos perd son nom,
Des chiffrons font un monde,
--- Epreuve à tout canon.

J'avoue et je confesse,
Honni qui pense à mal!
Qu'on dirait une fesse
De puissant animal.

Sunday, February 15, 2015

"Poste" par Jean Gentil (Le Louisianais - 29 Mai 1869)

L'amour d'un sexe à l'autre,
Sans parfums, loin du jour,
Fange où l'esprit se vautre,
Ne fut jamais l'amour.

L'âme doit restore pure,
Et le front radieux.
Une pensée impure
A-t-elle accès aux cieux?

Et cependant, tout rose
A mes dix-huit printemps,
J'aimais follement Rose,
Qui n'avait pas quinze ans.

Je n'osais le lui dire;
Elle ne disait rien:
Moyen de contredire
Son amour et le mien.

Mais non, car la charmante
Ecrivait tendrement
Un doux baiser d'amante
Aux lèvres d'un enfant,

L'Enfant,--- j'ai souvenance,---
Etait fort caressant,
Vermeil comme l'enfance,
Toujours obéissant.

Et moi seul, dans l'ivresse
D'un Bonheur enchanté,
Je cueillais la caresse
Tendre de volupté.

Et l'enfant aimait Rose.;
Et moi!... Qui le defend?
Pas de poste plus rose
Qu'une lèvre d'enfant.

Saturday, February 14, 2015

"Cache-Cache," par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 Mai 1869)

C'était une jeunesse
De quatorze printemps,
Et j'étais la vieillesse
D'environ dix-huit ans.

Elle avait les dents blanches,
Le sourire mutin,
Du contour à ses hanches,
Le pied d'un vrai lutin.

Comme elle était peureuse,
Et surtout dans le noir,
Sous la charmille ombreuse
Elle allait chaque soir.

"Cache-Cache," ô ma belle,
Etait ton divin jeu.
---"Un baiser, disait-elle,
Sera tout notre enjeu."

Elle agitait la branche
Pour attirer mes pas,
Riait à gorge franche,
Et... je n'entendais pas.

Friday, February 13, 2015

"Souvenirs," par Jean Gentil (Le Louisianais - 15 mai 1869)

Le front dans l'espérance,
Un pied dans l'avenir
Tu marches vers la France
Où je voudrais finir.
 
Pauvre de moi! j'expie,
En revolté vaincu,
Ma jeune audace impie....
Et je n'ai pas vécu.
 
Pourtant j'aime la France au rayon salutaire,
Au grand people d'aîeux,
Aux mains pleines azur, il semble que la terre
S'y rapproche des cieux.
 
Aux bancs de ses lycées,
J'usai mes pantaloons,
Trouvant plumes cassées
Pour maints thèmes trop longs.
 
Plus tard, près des gouttières,
Au vieux quartier latin,
J'eus des amours altières
Avec Mimi Catin.
 
Puis, tête échevelée,
Sans peur et sans effroi,
J'entrai dans la mêlée
D'un people contre un roi.
 
Et dans le bruit des âmes
Chantant la liberté,
Je vis passer des flammes
Qui devenaient clarté.
 
O France, j'ai pressé ta mamelle de mère,
M'enivrant de ton vin;
J'ai compris ta douleur à ma mesure tristesse amère,
Baissant ton front divin;
 
Je t'adore, étant celle
Qu'on adore toujours,
Puisque ton coeur ruisselle
D'éternelles amours.
 
Et cependant ma tombe
Doit verdir en ce lieu.
Lorsque la feuille tombe,
Où va-t-elle, ô mon Dieu?

Thursday, February 12, 2015

"Une ceinture" par Jean Gentil (Le Louisianais - 8 mai 1869)

La jarretière, Rose,
Attachée à ton bas,
Etait d'un joli rose,...
Et j'en parle tout bas.

Tu passais une planche,
Belle, en te retroussant.
Que sur la forme blanche
Le rose est ravissant!

Je me sentis tout chose
Et je fut étourdi,
Voyant le ruban rose
Au mollet arrondi.

Jeunesse, ô ma jeunesse,
Où donc, où donc es-tu?
Faut-il que la vieillesse
Soit ma seule vertu?

Et je revis ma Rose
Plus tard, au lendemain,
Bouclant le ruban rose
Avec sa blanche main.

La belle creature,
A taille de frêlon,
En faisait sa ceinture...
Ruban était trop long.


Wednesday, February 11, 2015

"Bah!" par Jean Gentil (Le Louisianais - 1 mai 1869)

A mon ami Del...

Mon brave camarade,
Tu ris, je le vois bien;
Mais ta vive galarade
Est d'un mauvais chrétien.

Et pourquoi donc ensuite
Me montres-tu la dent,
Quand je chante sans suite,
Sans ordre, en babaudant?

Va, je n'ai plus d'haleine,
En ai-je en quelque jour?
Pour vibrer dans la haine
Ou grandir dans l'amour.

La magique épopée
Me fait simplement peur,
Et quand j'entends l'épée
Du drame, j'ai stupeur.

Je me nomme Gribouille,
Et je suis marguillier;
Je noires et barbouille
Un journal "d'escholier."

De Gentilly-la-belle
Etant seigneur très-haut,
Je vais, quand on m'appelle,
Aux noces du hameau.

C'est là que je chansonne
Et bois en marguillier,
Près du clocher qui sonne
L'heure de caloyer.

Au demeurant, j'adore
Mon modeste réduit,
Car le soleil y dore
Un innocent déduit.

Quel déduit!... ma masure
A cinq ou six moineaux
Qui chantent en mesure:
"Candi, pommes, pruneaux!"

Tuesday, February 10, 2015

"Le Moqueur" par Jean Gentil (Le Louisianais - 24 avril 1869)

Beranger, bon apôtre,
Qui chanta, "Mistigris,"
Lisette et puis une autre,
Chanta: "Le pape est gris."

Notre joyeux bonhomme
S'y connaissait-il bien?
Il n'avait pas vu Rome,
Bien qu'excellent payen.

Ici, dans l'Amérique
De Christophe Colomb
Et de la république,
Où chacun est Solon,

Nous avons milles papes
De toutes les couleurs,
Pour cages à sonpapes
De petits oiseleurs.

On en connait de roses,
De bleus, de gris, de verts,
En tel nombre que roses,
Et près en sont couverts.

Et nous avons encore
Le vaillant cardinal,
Bel oiseau que décore
Un bec original,

Sa femelle a pelisse
Moins rouge assurément ;
Cependant elle lisse
Sa plume artistement.

Et cela brille et chante
Au bonjour du soleil,
Famille peu méchante
En son rayon vermeil.

Mais avant tout j'écoute
Le moqueur infernal;
Car ce gueux-là déroute
Et pape et cardinal.

Monday, February 9, 2015

"Soprani" par Jean Gentil (Le Louisianais - 17 avril 1869)

Bénissons, benisons les hommes et les femmes
Qui de l'humanité furent les grands âmes,
Comme les bienfaiteurs;
On ne saurait trop haut porter leurs noms illustres,
Et jamais on n'aura trop d'encens, trop de lustres
Pour ces beaux rédempteurs.
 
Mais il faut qu'on n'oublie
Personne, entendez bien,
De France ou d'Italie,
Soit prince ou citoyen.
 
Or, quand la Caroline,
Une étrange catin,
Faisait la discipline
Au ciel napolitain,
 
L'on avait l'habitude
A Naples de.... Pourtant
C'était la turpitude.
L'horreur, le dégtant.
 
La chose se pratique
Dans une basse-cour;
Si le monde est antique,
C'est l'effet de l'amour.
 
Cependant on raconte
Qu'ils n'en chantaient que mieux,
Et ce n'est point un conte
A la façon des vieux.
 
Les Chapelles-Sixtines
En diraient plus encor,
Si l'on chantait matines
Selon l'antique accord.
 
Mais Joseph, roi bonhomme,
Dit: "Messieurs, c'est fini!"
Dès lors Naples et Rome
Furent sans Soprani.

Sunday, February 8, 2015

"Troglodyte" par Jean Gentil (Le Louisianais - 10 avril 1869)

J'ai pour imprimerie
Une étrange maison
A toiture pourrie,
Et vieille sans façon.

Les carreaux des fenetres
Sont splendides pourtant,
Et les tableaux des maitres
Ne valent pas autant.

"Abeille," "Renaissance,"
Celui-ci, celui-là,
Par droit d'omnipotence,
Se trouvent collés là.

Il pleut dans ma masure,
On y rotit parfois;
Mais l'éditeur mesure
La rime au bout des doigts.

Et bien souvent encore
Ce naif éditeur
Lourdement y pérore,
En prose de rhéteur.

Le typo, sans lévite,
Et fait comme on voudra,
Y soulève assez vite,
La letter et le cadrat.

Tout près de la fenetre
On voit un nid d'oiseau,
Et le doux petit etre,
Y pond au renouveau.

Alors quand je m'édite
En prose et puis en vers,
Le joyeux troglodyte
Me siffle de travers.

Saturday, February 7, 2015

"Exil" par Jean Gentil (Le Louisianais - 3 avril 1869)

Que ce soit l'Amérique,
Aux lointains infinis,
Ou bien encore l'Afrique
Aux fronts noirs ou brunis.

L'exil est une peine,
La mort au jour le jour;
Car l'exil est la haine
D'un Coeur fait pour l'amour.

Je n'ai plus d'espérance,
Et j'ai des cheveux blancs.
Oh! rendez-moi la France,
La France et mes vingt ans.

Roitelet sur ton aile,
France, je monterai,
Et dans l'aube éternelle
Je ressuciterai.

Friday, February 6, 2015

"Vertu" par Jean Gentil (Le Louisianais - 3 avril 1869)

Un récit véridique,
Et de hante léçon,
Dit Joseph fort pudique
Et bien joli garçon.

Car une femme tendre
Arracha son manteau;
Mais lui, sans plus attendre,
S'enfuit sans paletot.

Comme on raillait notre homme,
Il répondit: "Tout beau!
Elle était laide comme
Un horrible corbeau."

Thursday, February 5, 2015

"Nom" par Jean Gentil (Le Louisianais - 27 mars 1869)

Le premier soin d'un homme affranchi, créé libre,
Et cherchant dans l'honneur un constant équilibre,
Est de trouver un nom;
Et quand il a trouvé ce nom, signe de vie,
Baptème qui vous met au-dessous de l'envie,
Il a droit au prénom.
 
Il n'est plus une chose, un être irresponsible,
Une valeur d'un jour, la trace sur le sable,
Un esclave, en un mot;
Et l'heure des bâtards est pour toujours passé,
Et la bonne noblesse est ainsi commence
Avec le sacre "Homo"
 
L'homme devient un père, et la noire se penche,
Tout comme le pourrait la femme la plus blanche,
Sur un enfant connu;
Et la famille auguste a les doux chants de l'âme,
Et les reflets joyeux que détache la flamme
Sur le mur le plus nu.
 
C'est le respect, la foi, le devoir, l'espérance,
Le travail qui bénit, la sainte délivrance
Qui rayonne en amour.
Plus de honte à nos fronts, d'opprobres, de ténèbres,
De ces pensers amers qui font les nuits funèbres;
Mais le ciel, mais le jour.
 
O noirs, combine de vous ont-ils compris la chose,
Vous qui prenez, quittez et reprenez sans cause
Un nom et puis un nom,
Et qui ne savez point que Toussaint Louverture
Avec Napoléon pouvait, sans imposture,
Traiter par oui, par non?
 
Il faut que chacun nomme,
En bon et vrai chrétien,
Sa mère, ---épouse d'homme,
Son père, --- Citoyen.

Wednesday, February 4, 2015

"Piano" par Jean Gentil (Le Louisianais - 20 mars 1869)

Il fut adventurier, menteur, bandit, faussaire,
Prince, et même empereur;
Au temps des boucaniers, il eut été corsaire,
Forban et ravageur.

Son nom n'apprendrait rien, et de Paris à Rome,
De Rome dans l'enfer,
On connait ce maudit qui se proclame un homme,
Puisque Dieu l'a souffert.

Un jour il a baissé la chante république
A son front calme et doux,
Et la France eut dès lors sa femelle publique,
Ayant Sires-marlous.

Et cela n'est pas beau, car l'empire est la honte,
La sentine aux lépreux,
Où le cloporte bave, où la punaise compte
Ses puants amoureux.

Mais la touchante chose et l'étrange mystère!
Ce vilain tyranneau,
Ce sacripant qui pèse un peu trop sur la terre,
Touche du piano.

Tuesday, February 3, 2015

"Non." par Jean Gentil (Le Louisianais - 13 mars 1869)

Belle vieille aux mains blanches
Aux longs doigts effilés,
Elle eut de beaux dimanches
D'or et d'amour files.

Elle fut jeune, Rose,
Et les vieillards pensifs
Disent qu'elle était rose,
Eux n'étant pas poussifs.

Et maintenant la flamme
Vacille dans le soir,
Pareille à la pauvre âme
Qui murmure bonsoir.

Donc, l'aîeule sommeille
En son velours d'Utrecht,
Près d'un feu qui vermeille
Le cadre et le portrait.

Pieds aux chenets, son rêve
Est sans doute charmant;
Car son vieux coeur se lève
Sous un doux battement.

Sourire presque tendre
Et naîf abandon,
Oeil baisse qui veut tendre
Ses longs cils... Qu'est-ce donc?

Elle rit, elle joue,
Elle ferme la main,
Et l'on voit à sa joue
Un voile de carmin.

Puis le doux rêve insiste
Et murmure son nom....
Mais la vieille résiste,
Se fâche, et répond: "non!"

Monday, February 2, 2015

"Pudor" par Jean Gribouille (Le Louisianais - 6 mars 1869)

La barbe est venerable
Au menton du vieillard,
Mais qu'il est misérable
Le vieux, vieux paillard!

Crapuleux, impudique,
Il profane sans peur
Toute vierge pudique
D'un propos de sapeur.

C"est l'effronté Satyre
Caché dans les roseaux,
Et que la Nymphe attire
Le soir au bord des eaux.

C'est une courtisane
Payant les beaux garçons,
Et qui surprend Suzanne
Au bain, sans caleçons.

Mais, ô vieux mousquetaire
Sans dents pour le repas,
Ne sens-tu point la terre
S'enfoncer sous tes pas?

Rappelle-toi donc l'heure
Du printemps parfumé,
Lorsque l'amour effleure
Le front du bien aimé;

Lorsque chante notre âme
Sur un mode pieux,
Puis qu'elle devient flamme
Pour s'envoler aux cieux.

Sunday, February 1, 2015

"Les Follets" par Jean Gribouille (Le Louisianais - 27 février 1869)

C'était au cimetière,...
Sous le gazon verdi
Où vient toute ame altière
Que la mort a froidi.


Deux femmes y logeaient
Côte à côte, révant.
On dit qu'elles songeaient
Âu vieux mari vivant.

Et que faire en la tombe,
A moins de rêvasser,
Laissant le jour qui tombe
Passer, passer, passer

Certes, nos deux commères
Avaient le droit légal
De penser aux chimères
De l'amour conjugal.

Malheureusement elles
Avaient même mari,
Etant encor de celles
Qui vous rendent marri.

Et donc, sans périphrase,
Elles attendaient celui
Qui vous parle sans phrase
A toute heure de nuit.

En effet, le pauvre etre
Mourut un beau matin
Et vint traîner sa guètre
Au pays du destin.

D'abord ce fut splendide
De tendresse et d'amour:
La nuit n'eût plus de vide,
Et le jour fut le jour.

Mais vous savez le reste!....
Le malheureux chrétien,
Comme effrayé de peste,
Se sauva bel et bien.

Et c'est depuis cette heure
Que les follets nombreux
Dansent en la demeure
Des morts, ces bienheureux.