Sunday, May 31, 2015

"Pourquoi non?" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 Octobre 1872)

Railleurs, ne raillez pas le don de clairvoyance;
Les peuples ont tous cru de la même croyance,
Et le Dieu d'aujourd'hui n'est pas né ce matin.
Il est, fut et sera, miracleux, hautain,
Rayonnant dans sa gloire, immortel et suprême,
Et portant sur son front le monde en diadème.
Olympe ou Paradis, c'est le même credo,
Et Léon X croyait tout comme son bedeau.
Mais notre esprit borné tremble devant l'immense,
Notre oeil est ébloni quand l'infini commence,
Notre langue ne peut formuler le divin,
Et, pareils à Jacob, nous combattons en vain.
Ainsi Dieu l'a voulu. Mais ce Dieu, notre maître,
Le Miracle vivant, l'Etre qui donne l'être,
A voulu qu'entre l'homme, un serviteur pieux,
Et le haut Créateur qui règne dans les cieux,
Des anges blonds, des saints, des madones, des Dames,
Apparussent parfois aux enfants comme aux femmes,
Dans le bois solidaire ou le creux d'un rocher,
A l'heure où le soleil, très las, va se coucher.
L'heure du crepuscule est l'heure vaporeuse
Où la Dryade sort demi-nue et peureuse,
Où la Nymphe se baigne à l'ombre des bouleaux,
Où la Faune regarde à travers les roseaux,
Où la vapeur des soirs, dansant de branche en branche,
Fait dire au pastoureau; J'ai vu la Dame Blanche!
Les Grecs ont vu cela comme nous le voyons;
Ils ont même entendu chuchoter des rayons.

Or donc, bons pèlerins, allez remplir vos gourdes
Au pays bigorrais, près de Tarbes, à Lourdes.

Saturday, May 30, 2015

"Veuillot et Loyson." par Jean Gentil (5 Octobre 1872)

Veuillot est un brave homme, un bon diable d'auteur,
Et son grand "Univers" est aimé du lecteur.
Qui donc n'aimerait pas l'"Univers" de cet homme,
Un journal parfumé, sentant bon, sentant Rome,
Exhalent une odeur de tendre sacritain,
En parlant quelquefois comme Saint-Augustin?
Les dévots en sont fous, les dévotes de même,
Le Bourbon de l'exil après déjeuner l'aime,
Dupanloup n'en dit rien, le grave communard
A pour lui le respect qu'on doit aux oeuvres d'art,
Et le curé des bourgs y lit ses Evangiles
Pendant les Quatre-Temps et pendant les Vigiles.
Et puis Maitre Veuillot, bien qu'étant séraphin,
Est un homme d'esprit très subtil et très fin,
Bien fidèle à l'Eglise, expert en la magie,
Connaissant sur les doigts notre théologie,
Croyant en Dieu peut-être, ayant les qualités
Qui font les hommes saints, béats et respectés.
Il aime le bon vin, les chiffrons de ces dames,
Les doux péchés mignons qui fleurissent les âmes,
Et les joyeux soupers. C'est un saint polisson
Qui prêche en cardinal, se conduit en garçon,
Et connait le menu des caillettes sacrées.
Il a droit à l'amour des chastes mijaurées,
Aux rendez-vous charmants à Saint-Thomas d'Aquin,
Etant simple laïque et point Dominicain.
Il n'a jamais fait voeu, comme Père Hyacinthe,
D'enfermer en lieu sûr une chasteté sainte.

Aussi comme il est beau, comme il est bien vengé,
Quand il sort de son lit chandement partagé,
Et qu'il frappe un Loyson, un bandit, un infâme,
Un prêtre, un apostat qui vient de prendre femme!

Friday, May 29, 2015

"Libéralisme" par Jean Gentil (Le Louisianais - 31 août 1872)

Possédant aujourd'hui, de par le Constitu--
Tion, le droit sacré, si longtemps combattu,
De travailler pour soi, de changer de demeure,
De manger à sa faim, de peinter à son heure,
Même de s'enivrer impérialement,
Sans qu'un noble gendarme, au nom du réglement
Puisse vous empêcher de sommeiller sur l'herbe,
Ou bien vous molester pour un zig-zag superbe,
J'ai résolu, s'étant ni seul ni le premier,
Sentant l'âge venir et venir l'infirmier,
Et même désirant la vieillesse honorée
D'un maire de campagne à l'écharpe dorée,
De briser mon crayon de fade original,
De déchirer en deux mon stupide journal,
D'envoyer à Satan ma presse octogénaire,
Et de prendre un air vrai, charmant et débonnaire,
--Un air de bon bourgeois, pour vendre du jambon,
Du sucre, de la graisse et du Whiskey-Bourbon.
C'est un métier qui paie et vous rend honorable.
Un poëte affamé n'est qu'un vil misérable,
Et plus d'un citoyen, grand homme respecté,
Par le poivre et le lard jadis a débuté.
C'est dit, pesé, conclu. Le dernier de novembre,
Vers le commencement du froid mois de décembre,
Avec quatre barils de whiskey, deux tonneaux
De vin bleu, six gallons de poisons tout nouveaux,
Et du Bitter de Chien, j'ouvre comme les autres
Un cabaret pour noirs, pour blancs et pour apôtres.

Thursday, May 28, 2015

"Simple Prose" par Jean Gentil (Le Louisianais - 24 août 1872)

L'homme à l'homme est méchant, et notre espèce humaine,
Manque de charité, tout comme si la haine
Faisait du bien à l'âme et nous rendait heureux,
Comme si le bonheur nous faisait malheureux.
Est-ce que notre jour, un égoisme sombre,
Deviendrait lumineux par un contraste d'ombre?
Est-ce que la misère est là pour affirmer
Le droit de s'applaudir ou bien de blasphemer?
Nous faut-il une arène, une froide colère,
La mort d'un combattant, la joie atrabalaire
D'un vainqueur satisfait? Les autres renversés,
Serons-nous plus joyeux, plus grands, moins insensés?
Oui, vraiment, l'homme à l'homme est méchant, et sa vie
Est un tissu doublé de faiblesse et d'envie.
Les plus intelligents par l'esprit, dont le coeur.
Devrait être un foyer d'amour toujours vainqueur,
Qui se doivent à tous par leur intelligence,
N'ont point le don divin de grâce et d'indulgence.
Etre maître est le but, l'égal est l'ennemi,
Et le pauvre d'en bas, sous le doux nom d'ami,
Joue au César romain contre son chien fidèle.
L'insoumis à César n'est qu'un vil infidèle,
Et s'il se soumettait, comme on a pu le voir,
On dirait que son droit n'était que son devoir.
On pardonne à l'esclave , au front qui s'humilie,
Aux peuples abaissés, à la race avilie,
Au rebelle à genoux, qui pleure et se soumet.
Mais tout César n'est point perché sur un sommet,
Et vous trouvez en bas, dans ce monde difforme,
Des tyrans de tout nom comme de toute forme.
Lupus lupo lupus! Mais l'homme a la raison
Et veut être obéi sans secours d'oraison.
C'est qu'il se voit partout et ne voit que lui-même;
Lui seul est tous, messieurs. Aimons-le tout de même.

Wednesday, May 27, 2015

"Calédonie" par Jean Gentil (Le Louisianais - 3 août 1872)

Même aux nouveaux pays tout est bien vieux, ce semble,
Et l'homme de Sussex du plus au moins ressemble
A l'homme d'Amérique. Où donc est le nouveau?
Quand un navigateur passe bravement l'eau,
Découvre une autre mer, trouve une ile inconnue,
Un Eden d'ignorance où la pudeur est nue,
L'ile chaste devient un faubourg de cité,
Et l'on voit Taïti, la pure nudité,
La reine des flots bleus et des brises joyeuses,
Couvrir d'un malakoff ses formes gracieuses.
Pomaré déguisée en robe de satin,
Portant la triple jupe et le corset hautain,
Marchandant au vieux Juif le fil et la dentelle,
Faite comme une dame ou bien sa demoiselle,
N'est-ce pas ravissant? Et Pritchard nous vendra
Les chapeaux de rebut que dédaigne un vieux Rat.
O sainte poesie! Où courir d'aventure
Pour trouver le nouveau, le naif, la nature,
Ce qui ne peut mentir et ne ressemble pas
Aux mensonges écrits dans chacun de vos pas?
L'art nous poursuit partout, grimaçant, ridicule,
Et devant ses progrès la nature recule:
L'homme civilisé devient l'homme butor,
Et l'Indien se pavane en chapeau de castor.

Mais la Calédonie?..Oui, vraiment: l'on rapporte
Que la femme Kanak pour tout vêtement porte
Un bracelet de cuivre, un collier rouge et long,
Puis une jarretière au dessus du talon.
C'est simple, en vérité: mais en Calédonie,
Terre autrefois sauvage et maintenant bénie,
Les Maristes chrétiens et d'affreux communards
Y portent le progrès, la culotte et les arts.

Tuesday, May 26, 2015

"Souvenir" par Jean Gentil (Le Louisianais - 20 Juillet 1872)

Aux choses du passé quand l'âme se recueille,
Lorsque le doux vieillard retourne feuille à feuille
Les pages du long livre où sa vie a chanté
Et gémi tour à tour dans l'ombre ou la clarté,
Ce ne sont pas toujours, dans ce retour suprême,
Les endroits parfumés qu'on préfère et qu'on aime,
Les souvenirs brillants qui font le coeur hautain,
Les pages où notre âme, éprise d'incertain,
A rêvé le pouvoir et ses folles chimères.
Ce que nous préférons sont les choses amères;
Car la mélancolie a le front soucieux,
Et l'attendrissement a des pleurs dans les yeux.
La joie est fugitive et glisse sur notre âme,
Vague parfum de fleur ou sourire de femme;
Mais qui ne se souvient de son premier malheur,
Et qui donc oublia sa première douleur?
Vous en avez pleuré. Ce sont là douces larmes
Que le vieillard pieux se rappelle avec charmes,
Et qui brillent en lui, perles du souvenir,
Comme un dernier rayon du jour qui va finir.

Adonc, je me souviens dans ma folle existence
Que mon père irrité me fessa d'importance,
Et ça me cuit encor--pour avoir dit tout bas
A cousine Zoé que j'avais vu son bas.

Monday, May 25, 2015

"Plus de Dents" par Jean Gentil (Le Louisianais - 13 juillet 1872)

La Vénus Aphrodite aux blanches nudités,
Aux perles ruisselant sur ses flancs veloutés,
Aux cheveux arrondis sur des formes de reine,
Aus seins qu'a modelés la grâce souveraine,
Sublime d'impudeur, belle de volupté,
Peut agenouiller l'ange aux pieds de sa beauté.
Bah! la Vénus ardente aux nudités supremes,
Aux longs tressaillements de voluptés extrêmes.
Aux grands yeux allanguis dans un amour divin,
Ne vaut pas, croyez-moi, le broc gonflé de vin.
Le vin! C'est le bonheur, l'ivresse, la folie;
Quand on boit l'on se grise, et qui se grise oublie;
Il ne trahit jamais, il console toujours;
De vos nuits de tristesse il fait de joyeux jours;
Du bleu de votre ciel il peint un profond rose,
Et jamais un poete ennuyé, vieux, morose,
Dégoûté de Vénus, empoisonné d'encens,
Chauve d'illussions, de jeunesse et de sens,
N'a compris le bonheur parfait et délectable,---
Plus monté dans les cieux, qu'en roulant sous la table.

Sunday, May 24, 2015

"Ad Josephum" par Jean Gentil (Le Louisianais - 6 Juillet 1872)

Que faites-vous, Joseph? Rimez-vous d'aventure
Des sonnets parfumés à la belle nature?
Quel vilain passe-temps! Laissez donc les grimauds
Accrocher à loisir la rime au bout des mots.
Chassez-vous l'ours rêveur qui vient cueillir les baies
On le lapin fuyant aux profondeurs des haies?
C'est mieux, mais le soleil a des baisers ardents,
Et l'ours peut vous montrer ses griffes et ses dents.
Par hazard, et qui sait? Le diable a tant de femmes!
Vous plongez-vous le front dans les livres énormes
Que la théologie empila jusqu'aux cieux
Pour confondre l'orgueil d'un tas d'audacieux.
Mais si la rime folle et la théologie
Sont pour vous sans attraits, sans charme ni magie;
Si vous croyez encor que la coupe de vin
Vaut mieux qu'un bouquin lourd, poussiéreux et divin;
Si l'ours ne vous a point trop détaché des hommes,
Et que vous les aimiez bâtis comme nous sommes,
Prenons un rendez-vous de joyeux écoliers,
Et grisons-nous, morbleau! comme deux templiers.

Saturday, May 23, 2015

"Homo" par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 Juin 1872)

-- Mais c'est un noir, un nègre, un sordide Africain,
Ou bien un Sang mêlé ridicule et faquin?
Ses frères l'ont vendu pour un peu d'eau-de-vie,
Pour un petit couteau qui leur faisait envie;
Il a brossé ma botte, étrillé mon cheval,
Porté mes vieux habits aux jours du carnaval,
De mes bouts de cigare embaumé sa maîtresse,
Et dansé Bamboula devant sa mulâtresse.
Je la soupçonne fort, et naturellement,
D'avoir pris à rebours certain Commandement
De Moise ou de Dieu. J'ai vu cette âme sombre
Accroupie à mes pieds, heureuse dans son ombre,
Ne faisant même pas, dans son indignité,
Le rêve généraux d'une âme en liberté.
Africain, il est laid, et sa face est vilaine.
Son nez tout écrasé, son front fuyant, sa laine,
Sa lèvre qui retombe et rit grossièrement,
Cela prouve que Dieu s'est trompé lourdement.
C'est une pauvre ébauche, une ébauche première
De doigt qui tâtonnait dans la nuit sans lumière;
Et ce n'est pas ainsi, quand l'oeuvre est arrêté,
Qu'un divin Créature résume la beauté.
Sang-mêlé, son front clair se redresse un peu, monte,
Sous un pâlé rayon lutte contre la honte,
Et rêve l'avenir; sa lèvre tristement
Sourit parfois encor sourit amèrement;
Mais cet être est toujours l'amerture, l'envie,
La vanité de ceux qui souffrent dans la vie;
Car, effrayant mystère! un être est ainsi fait,
Quand un vieux préjugé le déclare imparfait,
Qu'il frappe avec Bonheur de l'arme qui le blesse,
Comme pour se venger, sur une autre faiblesse.
--C'est vrai; mais soyons bons et miséricordieux,
Ayons la charité des esprits radieux;
Car cet Etre au front noir est Homme comme nous,
Et devant l'Eternel courbe ses deux genoux.

Friday, May 22, 2015

"La France" par Jean Gentil (Le Louisianais - 29 juillet 1871)

On l'a découronnée, outragée. avilie,
Et maintenant elle est là-bas ensevelie,
La grande nation!
Et des bourreaux impurs, le pied sur son front blême,
L'insultent dans la mort, cet auguste problème
De la rédemption.
 
Et ces bourreaux germains, par ordre de cet autre,
Divisent son manteau de martyr et d'apôtre,
En souffletant le mort;
Et nous les entendons faire sonner dans l'ombre
Les derniers de Judas, ces derniers dont le nombre
Emporte le remord.
 
Est-elle redoutable?... Elle est ensevelie,
Et trembler à son nom serait une folie:
Le sépulcre est scellé.
 
Pauvres fous! Elle parle avec Jésus lui-même,
Se grandit dans la mort, et met son front suprême
Dans le ciel étoilé.

Thursday, May 21, 2015

"Métamorphose." par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 juillet 1871)

On a vu des chenilles
Trainer péniblement
Leurs sordides guenilles
Au long d'un vieux sarmant,

Puis déployer leurs ailes
Et muer leur laideur
En vives étincelles
D'un papillon vainqueur.

Nous avons vu, nous-autres,
Maints gars déguenillés,
De fort vilains apôtres,
Souvent déchenillés.

Est-ce bien un mystère
Que ce changement-là?
L'horrible ver de terre
Rampa, mua, vola.

Wednesday, May 20, 2015

"Henri" par Jean Gentil (Le Louisianais - 17 juillet 1871)

Les temps sont accomplis, et le ciel nous pardonne.
Il revient parmi nous!
C'est le fils du miracle, et c'est Dieu que le donne.
Bons français, à genoux!
 
Un prêtre l'accompagne, un page le devance,
Puis le suit un barbon;
Et le noble exilé, qui boite un peu, s'avance
En valeureux Bourbon.
 
Un très-vieux gentilhomme, et que l'on vit cornette
Avant quatre-vingt neuf,
Aussi vain de son nom que fier de sa binette,
Porte un drapeau tout neuf.
 
Vive Henri! Vive Henri! chantons tout l'espérance,
Les beaux jours sont venus;
Le Seigneur de Chambord va délivrer la France.
A bas les parvenus!
 
Il est là, le voici, le fils des rois fidèles,
Le chevalier, le preux!
Il guérit d'un regard les vieilles écrouelles
Et les cagots lépreux.

Tuesday, May 19, 2015

"Hugo et Veuillot" par Jean Gentil (Le Louisianais - 8 juillet 1871)

Le bon Frère Veuillot, un parent du Nonotte
A qui Rome a donné plus d'une bonne note,
Et qui connait à fond les "Egoûts de Paris,"
A la tête des gens jette ses oeufs pourris.
C'est un métier, le sien; et ses nombreux services
Excusent amplement sa laideur et ses vices.
Mais où Veuillot excelle, est brave, triumphant,
Spadassin clérical qui salit et pourfend,
C'est quand il frappe un mort, un vaincu, l'homme à terre,
La victime sur qui le bourreau doit se taire.
Alors il est heureux, il chante en sacristain,
Et bave sur le mort deux phrases de latin.
Quelles phrases, Seigneur! Et par sa bouche ouverte
On voit dans la gencive écumer sa dent verte.

Ce Nonotte béat, qui parle de pudeur,
Don't l'âme et le visage ont la même laideur,
Qui trempe dans la fange une plume dêvote,
Qui fait la cour à Dieu sans négliger Javotte,
Est quelquefois charmant, plus drôle, en vérité,
Que lorsqu'il prie et prend des airs de sainteté;
Car lorsque Veuillot prie, il ressemble à l'incube
Qui cherche dans la nuit les bras d'une succube.

Savez-vous qu'il appelle Hugo Citrouille?--Hugo,
Il ne te manquait plus qu'un crachat de cagot.

Monday, May 18, 2015

"Annos Petri" par Jean Gentil (Le Louisianais - 1 juillet 1871)

Les cloches aux clochers sonnaient joyeusement,
Les canons répondaient très vite et bruyamment,
Les sonores tambours battaient des marches rares,
Les cornets et clairons envoyaient leurs fanfares;
C'était fête chez nous. Des hommes, des enfants,
Des prêtres, des vieillards, des soldats triomphants,
Et des femmes suivaient la bannière romaine.
Le coup d'oeil était beau. La belle foule humaine!
Vingt mille âmes chantant! Jamais on n'avait vu
Spectacle aussi superbe aux jours de l'imprévu.
Et Warmoth était là, comme étant Excellence,
Bien qu'il eût mal au pied, et très mal. Mais silence!

Mais voyez donc cet homme en sarrau, mal vêtu;
Et méchant, si le luxe annonce la vertu?
Près de l'angle Saint-Pierre il est assis et songe.
Songe-t-il que la vie est un profond mensonge?
Qui sait? Un pauvre sire, en songeant, en rêvant,
Dans les choses du ciel pénètre bien avant,
Et nul ne s'entend mieux à sonder un mystère,
A peser les néants et les rois de la terre.
Or, quand il vit passer sur un char éclatant,
Un char à six chevaux, un vieillard très content
Et tout rouge de pourpre, il secouna la tête,
Prit son bâton de vieux, et laissa là la fête.

Quelqu'un qui l'avait vu, ne comprenant pas, dit:
"Bonhomme, serais-tu par un hazard un maudit?
"Ton nom?"-- Pierre ou Céphas, répondit le bonhomme.
Pêcheur en Galilée, et non pas roi de Rome.

Sunday, May 17, 2015

"Satan" par Jean Gentil (Le Louisianais - 24 juin 1871)

Après avoir compté, selon son habitude,
Des mourants et des morts la sombre multitude;
Après avoir tourné les cadavres, pour voir
Si la bombe et la balle avaient fait leur devoir;
Après avoir trempé ses deux griffes infâmes
Dans le sang des enfants et dans le sang des femmes;
Après avoir soufflé le vent de la fureur
Sur Paris qui s'écroule en une nuit d'horreur;
Satan rendit à l'homme un éclatant hommage:
"C'est moi qui t'ai créé, dit-il, à mon image."

Saturday, May 16, 2015

"Miracle" par Jean Gentil (Le Louisianais - 17 juin 1871)

Le dix-sept de janvier, à n'importe quelle heure,
Car l'heure ne fait rien si la chose demeure,
Cinq petits villageois, tous les cinq bien portants,
Tous les cinq vendéens, et tous les cinq contents,
Virent distinctement une belle Madame
Leur apparaitre à tous comme une simple femme.
Et cette Vierge dit aux cinq petits fanfans,
En leur montrant le ciel: "Mais priez, mes enfants."
La chose est donc certaine, étant bien attestée,
Tout-à-fait merveilleuse, et de haute portée.
Notons premièrement que ce fut à Pontmain
Que l'apparition se fit, loin du chemin;
Notons secondement que les témoins vous disent
Toujours la même chose et point ne se dédisent;
Notons en dernier lieu que ces jeunes témoins,
Qui n'en savent pas plus, qui n'en savent pas moins,
S'appellent Lebossé, Richer, Joseph Barbette,
Et le petit Friteau, qui n'est point une bête.
Monseigneur de Laval, lui-même et memement,
Ecrit à ce propos un grave mandement.
Mais ce qui rend le fait bien plus incontestable,
C'est que la Bardebette, une vieille notable,
Voulant voir le miracle invisible aux vieillards,
Mit son pince-nez rond et ne vit que brouillards.

Friday, May 15, 2015

"Pauca" par Jean Gentil (Le Louisianais - 10 juin 1871)

Paris, lundi soir, 29. --- Les
blesses ont été enterrés vivants
dans un fossé. On a entendu
leurs cils et leurs plaintes toute
la nuit.-- (Télég.)

Vous avez enterré des enfants et des femmes
Sans attendre qu'ils aient rendu leurs pauvres âmes
A Dieu qui juge tout! Cela n'est pas bien fait,
Messeigneurs, et cela dépasse tout forfait.

Thursday, May 14, 2015

"Triste" par Jean Gentil (Le Louisianais - 3 Juin 1871)

Quand le Christ songeur, le doux fils de Marie,
Marchait seul au chemin qui mène à Samarie,
Que pensait-il de l'homme, et voyait-il le fond
De l'âme, cet abîme aussi noir que profound?
Savait-il qu'il fallait tant de milliers d'années,
Tant de siècles tombés, tant de races damnées,
Et tant de millions de martyrs égorgés,
Pour que le néant prit l'un des nos préjugés?
Et quand Jésus rêvait, dans la hauteur sereine,
A la sainte justice, à la foi souveraine,
A la miséricorde, et qu'il prophétisait
Le royaume de Dieu que son âme faisait,
Pouvait-il se douter que la vagne insensée
Jetterait jusqu'au ciel sa grande croix brisée,
Et que l'horrible vague, aux reflets de carmin,
Serait faite, ô mon Dieu! du sang du genre humain?

Le Christ s'est trompé: Nous sommes la panthère
Qui médite le crime et que le sang altère.

Wednesday, May 13, 2015

"Amédée Contant" par Jean Gentl (Le Louisianais - 27 Mai 1871)

Contant était bourgeois, peu belliqueux, brave homme,
Et de Blois, la cite qui n'est pas une Rome;
Mais cet aunuer de drap, mon ami de vingt ans,
Etait un patriote austere des vieux temps,
L'un de ces résolus qui transforment leur aune
En mousquet de soldat, quand le devoir l'ordonne.
Il en est comme lui. Beaucoup?--Par malheur, non,
Et le bourgeois du jour a perdu son grand nom.
Mais Contant, lui, mettait, républicain pratique,
La patrie au-dessus d'une simple boutique,
La France bien plus haut qu'un comptoir d'épicier:
Il était un héros en habit de mercier.
Aussi quand les Prussiens, bande effroyable et vile,
Se ruèrent sur Blois, pauvre petite ville,
Ouverte et bombardée, on vit Contant partir,
Viser au tas, tirer, puis tomber en martyr.
C'est bien simple, après tout, mais c'est grand, et l'on nomme
Plus d'un fier général qui ne vaut pas cet homme.

Or, bons bourgeois de Blois, s'il vous reste du coeur,
Si vous ne tremblez pas au seul nom du vainqueur,
Si vous mettez le brave au dessus des infâmes,
Si vous êtes Français, si vous avez des âmes,
Il vous faut éléver le haut marbre éclatant
Qui rappelle à vos fils l'héroique Contant.

Tuesday, May 12, 2015

"BAH!" par Jean Gentil (Le Louisianais - 20 Mai 1871)

Ils sont, en vérité, superbes, ces bonshommes.
On dirait, à les voir, qu'ils sont nés gentilshommes,
Que leur père, un Rohan, nous avait pour vassaux,
Qu'ils ont trôné jadis à Blois, à Chenonceaux;
Au Versailles des rois, côte à côte des sires;
Qu'ils ont du sang de ducs, de princes, de messires;
Que leur vieux grand papa fut un grand paladin
Qui prit Constantinople et battit Saladin.
Comme c'est étrange! Oui, dans le bourg du vicomte,
Ils étaient les vils serfs qu'on parque dans la honte;
Ils avaient pour tout nom le sobriquet railleur
Qu'on donne au corvéable, au boeuf, au travailleur;
Avant d'appartenir à l'époux miserable,
Leur soeur appartenait au Seigneur execrable:
Troupeau de la mainmorte, vendables et vendus,
Aux fourches du château combien furent pendus!
On a vu leurs enfants,---moi, toi, vous, tristes hères,--
Porter le gros drogue des pauvres prolétaires,
Se serrer bien souvent le ventre après-midi,
Faire maigre dimanche aussi bien que jeudi,
Se coucher sur la paille en rêvant à la soie,
Et n'être point barons ou ducs, même en Savoie.
Bah! nobles parvenus, l'on peut bien sans grands frais
Se payer un habit et des gants beurre frais.
"Aunque se vista de seda", le macaque
Sera toujours un singe. Un hareng sent la caque,
Et jamais gentilâtre et manant ne feront
Qu'Adam et madame Eve aient crée des barons.

Monday, May 11, 2015

"Guerre Civile" par Jean Gentil (Le Louisianais - 13 Mai 1871)

Soldats, sans uniforme et peu disciplines,
Le sort, au premier choc, les avait condamnés.
Leur général fut prit, Duval, un rien, un homme,
Un canut ignorant, puisqu'il faut que le nomme.
Ce Duval était chef d'un ramassis de gens,
D'un tas de Rien-du-tout, et même d'indigents,
Quand les soldats de l'ordre et les braves gendarmes,
Equipés, galonnés, pourvus d'argent et d'armes,
Avaient pour les conduire au triomphe certain
Le général Vinoy, le MacMahon hautain,
Des maréchaux joyeux de faire voir au monde
Qu'un battu des Prussiens bat la crapule immonde.
Que voulez-vous? C'est ça. Si le canut Duval,
Communsite émentier, plumet de carnaval,
Eût vaincu le Vinoy, les gendarmes, l'armée
Que Thiers au lendemain a si vite formée,
Notre pauvre Duval serait lors devenu
Un grand homme, peut-être un homme fort connu.
Mais il fut pris. Vinoy, son vainqueur et le nôtre,
En se tournant vers lui, d'un air tout comme un autre
Lui dit: "Certainement vous m'auriez fusillé?"
Le Canut répondit un Oui non sourcillé.

Et le canut Duval, le vaincu, le pauvre hère,
Le general d'en bas, du fond, de la misère,
Mourut en repoussant le bandeau, voulant noir
Comment monsieur Vinoy fait encor son devoir.

C'est justice, dit-on. Qui parle ainsi, mes maîtres?
Etes-vous des bourreaux, et sont-ils biens des traitres?
Dans la guerre civile, un horrible chemin,
Le vaincu d'aujourd'hui sera vainqueur demain,
Et Vinoy devait dire: "Etant vainqueur, j'ordonne:
Tu m'aurais fusillé, mais moi je te pardonne."

Sunday, May 10, 2015

"Les Bandits" par Jean Gentil (Le Louisianais - 6 Mai 1871)

Vous les nommez brigands cruels, et misérables;
Vous affirmez qu'ils ont des projets exécrables,
Qu'ils sont voleurs, pillards et scélérats maudits,
Qu'il est juste et sensé d'égorger des bandits....
Et vous avez raison, car ils sont des sectaires,
Car ils ont des haillons, tous ces vils prolétaires.
Or, pour ces scélérats montrons nous sans merci.

Et cependants, messieurs, pourquoi sont-ils ainsi?
Est-ce donc par plaisir qu'on commet acte infâme,
Qu'on se souille le coeur et qu'on se flétrit l'âme?
Si ce n'est point plaisir, est-ce fatalité?
Et qui condamne-t-on, messieurs, en vérité,
Lorsque vous condamnez l'esclave miserable
Qui ne sait pas, ou bien le bandit exécrable
Qui sait trop. "Miserable" est le mot en effet;
Car dans toute misère il se trouve un forfait,
Car le crime remonte à toute cause sombre,
Car l'âme d'un bandit vit dans la nuit et l'ombre.
Ah! n'oublions jamais, lorsque jaillit le sang,
Que nul de nous ne peut se croire un innocent.
Et vous surtout, messieurs, vous qui menez les hommes,
Pourquoi nous condamner d'être ce que nous sommes?
Nourris de vos leçons, façonnés par vos mains,
Nous tombons dans le crime en suivant vos chemins
Si l'esclave est coupable et maltraite son maître,
C'est que le professeur est indigne de l'être.
L'Evangile de Dieu sait mieux la vérité:
Au-dessus des bourreaux il met la Charité.

Saturday, May 9, 2015

"Versailles" par Jean Gentil (Le Louisianais - 29 Avril 1871)

La ville est bien choisie et le lien convenable
Pour gouverner Paris, la ville ingouvernable.
Monsieur Thiers le sait bien. Versailles! quell grand nom!
Ne rappelled-t-il point la vieille Maintenon
Et son vieux roi caduc? N'est-ce point à Versailles
Qu'on vit la royauté signer ses épousailles
Avec la Pompadour et cents autres catins?
Son palais fut un gouffre où les rois libertins,
Les lâches courtisans et les folles hértaires
Ont jeté sans pudeur leurs amours adultères.
Beau palais, en effet. Que n'a-t-il coûté,
Ce honteux lapanar de votre royauté!
Et quand on y dansait, chantait, faisait l'orgie;
Quand la débauche infâme, à la lèvre rougie,
Au corps débarrassé du dernier vêtement,
Y trônait, s'y vautrait nue et cyniquement,
La France était en bas et le peuple dans l'ombre:
Versailles était beau, tout le reste étant sombre.

Mais Paris un beau jour tressaillit et parla,
Et l'Octobre du peuple a mis fin à cela:
Le roi fut arraché de son palais superbe;
Versailles dans ses murs vit croître et monter l'herbe.

C'était justice. Il est de ces palais maudits
Qu'on ferme à tout jamais sur le dos des bandits.
Cependant,--qui prévoit les choses de ce monde?
Qui sait quand doit finir le règne de l'immonde?--
Guillaume et ses soudards, encore tout bottés,
Se sont couches aux lits des viles mystères.
Ils ont bu, ces soudards; ils ont pillé, ces reîtres.
Au palais Dubarry n'étaient-ils points les maîtres?
Une honte de plus, c'est simple et bientôt dit;
Et quand on est Prussien on sait être bandit.

Or, Versailles étant la cite deux fois vile,
Monsieur Thiers pouvait bien la choisir comme ville,
Et de là bombarder la cité des vivants,
Le haut Paris jetant son âme aux quatre vents.

Friday, May 8, 2015

"Paris et Versailles" par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 Avril 1871)

S'attendant à la mort et surs des représailles,
Ils ont tous repoussé les offres de Versailles;
Paris républicain au Versailles des rois
N'abandonnera point son honneur et ses droits;
Il faut vaincre ou mourir, être esclave ou bien libre;
Entre le peuple et Thiers il n'est pas d'équilibre.
Aussi, tout en pleurant à ce drame d'horreur,
En maudissant les jours sanglants de la terreur,
En condamnant le meutre et la guerre civile,
En flétrissant le crime, --action lâche et vile,
Et puisqu'il faut choisir entre les combattants,
Se ranger sous les plis d'un des drapeaux flottants,
Etre la foule inepte ou bien un peuple d'hommes,
Vouloir la royauté d'un tas de vieux bonshommes
Ou bien la république et le droit éternel,
Nous disons à Paris: Sois juste et solennel!

Thursday, May 7, 2015

"Inconnus" par Jean Gentil (Le Louisianais - 15 Avril 1871)

Le crime de ces gens?... Ils sont des "inconnus"!
-- Mais en vaudraient-ils mieux s'ils étaient trop connus?
Ne point porter un nom de misérable drôle,
N'avoir jamais été baptisé sur l'épaule,
N'être pas un bandit de journal illustré,
Pour ses forfaits publics ne pas être titré,
Et pouvoir hardiment, front haut, âme sereine,
Montrer ses mains, son coeur et sa foi souveraine,
Est-ce crime, ô Messieurs? Faut-il être connu,
Avoir effrontément mis sa laideur à nu,
S'appeler monsieur Thiers, être pétri de haine,
Prouver que la grandeur ne porte pas qu'un nom,
Puisqu'elle est aussi bien honte que gloire?.. Non!
Ah! nous les connaissons ces héros, ces grands hommes,
Ces illustrations, ce tas de gentilhommes.
Nous les connaissons trop! Il vaudrait mieux pour eux
Qu'ils fussent moins connus et beaucoup moins fameux.
L'histoire n'aurait pas à souffléter l'infâme
Qui flétrit Caroline, une royale femme;
A dresser l'échafaud de justice et d'horreur
Pour un Napoléon, qui fut un empereur;
A maudire à jamais tous ces héros féroces
Qui furent vils, cruels, sanguinaires, atroces;
A se salir le pied.... car le pied seul convient
A cet ignoble tas qu'on chasse et qui revient,
Qui nage dans la boue, intrigue dans la honte,
Et qui, lorsqu'on agite un marais de fange, monte.
Des "inconnus" sans nom! Messieurs, c'est fort bien dit;
Mais on connait Troppmann, un horrible bandit.

Wednesday, May 6, 2015

"Paris" par Jean Gentil (Le Louisianais - 8 Avril 1871)

Est.Ilium, et ingens. Gloria Francorum.

Oui, Paris est encor le sommet de la France,
Le haut sommet du monde; et si la délivrance
Doit venir, le salut descendra de ce lieu
Où les hommes plus grands sont plus proches de Dieu.
Paris, n'en doutez point, est ville solitaire,
Pôle qui n'aura pas son pole sur la terre,
Cité de l'infini que tout esprit humain,
En montant vers le ciel, trouve sur son chemin.
Est-ce bien une ville, étant un foyer d'âmes,
Un Sinaï brûlant d'où s'élancent les flammes,
D'où jaillit le rayon, d'où part la vérité,
D'où descend comme un Dieu l'auguste liberté?

Or, vous pouvez, messieurs, trois millions contre elle,
Punir atrocement cette ville rebelle;
Vous pouvez décimer son people, anéantir
Son Montmartre sacré, le vieux Mont du Martyr;
Vous pouvez lui reprendre un grand tiers de sa vie,
Faire plus que Guillaume, en faire Varsovie.
Que ne pouvez vous pas, étant des généraux
Battus par des Prussiens, mais étant des héros!
En saignant un Hercule un nain étend sans peine
Le géant à ses pieds. Et que ne peut la haine?

Cependant lorsque Thiers, un miserable nain,
Sera la pourriture, étant déja venin;
Lorsque messieurs Vinoy, MacMahon et leurs aides
Dormiront du sommeil du dernier des bipèdes;
Lorsque les insurgés, fusillés en commun,
Pourriont dans le trou de la mort; que demain
Verra les fils grands pour toute délivrance,
Paris sera debout sur le monde et la France.

Tuesday, May 5, 2015

"Les Rouges" par Jean Gentil (Le Louisianais - 18 Mars 1871)

Ils sont voleurs, bandits, assassins, misérables;
Ils ont des projets vils, monstreux, exécrables;
Ils brûleraient Paris, la France et l'univers;
Jamais laids scélérats ne furent plus pervers;
Tout crime leur sourit, devant toute infamie
Ils se sentent joyeux, et leur plus tendre amie
Est une guillotine. Ah! les affreux bourreaux,
Des plus bas criminels ils vous font des héros.
Bourgeois, nobles, banquiers, pontifes, Dieu lui-même,
Ils ne respectent rien. Leur vie est un blaspheme.
Ces farouches gredins, ces maudits de l'égoût,
Aiment le sang par coeur et le fange par goût.
Ne les a-t-on pas vus, voluptueux infâmes,
Massacrer les enfants, assassiner les femmes,
Eriger l'échafaud en principe divin?
Ensanglantes, hideux, et barbouillés de vin,
N'ont-ils pas déterré les cadavres, hyènes
Qui jusque dans la tombe assouvissent leurs haines?
Dansant la Carmagnole et chantant Ca-Ira,
Ils épouvanteraient et Satan et Marat.
Après tout, messeigneurs, que veulent donc ces hommes?
--Vivre comme on doit vivre, être comme nous
Aimer et travailler, marcher dans la clarté,
Et léguer à leurs fils leur part de liberté.
Ils ne demandent rien que cette chose auguste
Qu'on appelle partout le droit, le vrai, le juste.
Est-ce crime bien grand, répondez?--Ils l'auront,
Ou, vaincus, écrasés, farouches, ils mourront.

Monday, May 4, 2015

"Veillez" par Jean Gentil (Le Louisianais - 18 Mars 1871)

Elle est morte, étendue
Dans le sang qui coula;
Un brigand l'a vendue
Au brigand Attila.

Qui reconnait la France,
En regardant ceci?
Qui croit à l'espérance,
Et la voyant ainsi?

Celui qui l'a connue
Dans la haute clarté
Et la retrouve nue
Et froide, est hébété.

Elle était donc mortelle,
Lueur et non flambeau?...
-- Dieu la fit immortelle;
Veillez à son tomeau.

Sunday, May 3, 2015

"Patrie" par Jean Gentil (Le Louisianais - 11 mars 1871)

C'est vrai, bien vrai, trop vrai; le Guillaume de Prusse,
Un empereur qu'on peut comparer au tzar russe,
Et un puissant vainqueur:
Ses soldats allemands, roux de poil, laids et fauves,
Ayant pour généraux des comptes et des Fauves,
L'acclament tous en choeur.
 
La France a succombé! Paris, ville affamée,
A reçu dans son sein la glorieuse armée
Du brutal ennemi;
La paix de monsieur Thiers est la honte infinie,
Et la France consent à cette ignominie,
Comme morte à demi.
 
O chute et châtiment! L'un grandit, l'autre tombe,
Et chacun de nous va trébucher à la tombe,
Paris, Rome ou Strasbourg;
Mais s'il m'était permis de choisir ma patrie,
Je te préfèrais, ô ma France flétrie,
A toi, plat Blandebourg.

Saturday, May 2, 2015

"NON." par Jean Gentil (Le Louisianais - 4 mars 1871)

Quand Thiers aura signé de sa main souveraine
La honte et le traité;
Quand l'Alsace française et la fière Lorraine
Seront sans liberté;
Quand les représentants d'une France difforme
Auront répondu oui;
Quand Paris aura vu parader le Guillaume,
Un forfait inoui!
Quand on ne croira plus qu'aux lâchetés infâmes
Suivant les grands revers;
Quand il nous semblera que les coeurs et les âmes
Sont pourris jusqu'aux vers;
Quand le dernier manant de l'Europe asservie
Rien du coq gaulois;
Quand le maudit Prussien, plein d'orgueil et d'envie
Imposera ses lois;
Quand l'affeux despotism, un monstreux mensonge,
Pèsera sur chacun;
Quand la démocratie aura l'air d'un vieux songe
Pour un républicain;
Quand tous consentiront à toute ignominie,
Heureux dans leur laideur;
Quand nul ne concevra honte plus infinite
Et plus grande impudeur,
La France du tombeau, France ressucitée,
France au glorieux nom,
Se lèvera soudain, vengeresse, irritée,
Superbe, et disant non.

Friday, May 1, 2015

"LUI" par Jean Gentil (Le Louisianais - 25 Février 1871)

Celui qu'on ne peut pas nommer, car il se nomme
D'un saint nom sans lequel fléchirait tout grand homme,
Est venu parmi nous. Modestement vêtu,
N'ayant pour ornement que sa seule vertu,
Et beau de la douceur que Raphaël lui-même
N'a jamais pu fixer avec son art suprême.
Il s'est à plus d'un seuil assis, mais sans frapper.
Les chiens de Monseigneur mordent bien sans japper,
Le portier du baron n'a pas le coeur très tendre,
Le commis du bourgeois ne veut point vous entendre,
Et le pauvre qui passe est toujours mal venu.
Comment dire son nom désormais inconnu?
A qui dire, ô mon Dieu, ton surnom adorable
Sans éveiller chez tous le rire miserable?
Les petits sont amers, les puissants endurcis,
Et nul ne sait aimer par nos jours obscurcis.

Et cependant la nuit d'hiver était venue,
Volupté par les uns, misère froide et nue
Pour beaucoup d'entre nous. Et le pauvre étranger
Avait besoin hélas! de boire, de manger,
De reposer sa tête en un coin et dans l'ombre.
Or, comme il entrevoit une cabane sombre,
Miserable et petite, il s'arrête en ce lieu
Et demande de l'eau, du pain, au nom de Dieu.
--Asseyez-vous, lui dit le pauvre, un vieux brave homme,
Qui travaillait le jour comme bête de somme,
Ne se plaignait jamais et partageait le soir
Avec ses trois enfants un morceau de pain noir.
Le voyageur s'assit, but, mangea, comme un autre;
Et puis, le lendemain, comme Pierre, l'apôtre,
S'étonnait qu'il n'eût point enrichi noblement
Son vieil hôte, Jésus répondit simplement:
"Pauvre homme, il fait le bien, a le Coeur secourable;
Mais riche, il deviendrait hautain et misérable."