Tuesday, June 16, 2015

"Miel et Fiel" de Jean Gentil (Le Meschacébé - 9 juillet 1887)

C'était au printemps. Elle
En avait environ
Vignt. Pour charmante et belle,
Malgré son nez trop rond,

Elle l'était. Puis, comme
Rose avait épousé
Un honnête jeune homme
Point encore blasé,

On s'aimait d'amour tendre....
Et, véritablement,
C'était plaisir d'entendre
Leur doux roucoulement.

A cet age, on se mange,
Turtures in ulmo,
Et du cher et de l'ange
On fait un même mot.

Dieu! quelle poésie
De printemps parfumé,
De miel et d'ambroisie,
Aux bras du bien-aimé!...

On n'est plus sur la terre!...
Ou mieux, tout près du ciel,
On s'enivre au mystère
De la lune de miel.

Quelle lune, ô Madame!
Et comme l'on y mord
De tout coeur, de toute âme,
A la vie, à la mort!...

Quelle lune adorable
Au ciel(?) du premier jour!
Quelle lune admirable
Où le miel est l'amour!...

Et chaque paroissienne,
Ayant son paroissien,
A plus ou moins la sienne:
Aussi le musician.

Oui; mais combien d'années,
De jours délicieux
Ou d'heures fortunées,
Brille-t-elle en nos cieux?...

Sans respect pour notre ange
Et sa fragilité,
Chacun de nous la mange
Avec gravité!...

Et de la douce lune,
Si belle en son entier,
Il nous reste à peine une
Ombre au premier quartier.

C'est alors que le rève
Se fond comme le miel,
Et qu'une autre se lève
Pour toujours dans du fiel.

Monday, June 15, 2015

"Les moineaux" par Jean Gentil (Le Meschacébé - 18 février 1888)

Tityre avait son hêtre;
Moi j'ai mon pacanier,
Un vieux, très vieux, peut-être
Du siècle avant-dernier.

Et qui peut dire même
Que ce roi des géants,
Vieux de vieillesse extrême,
N'ait pas quatorze cents ans?

Bien avant que Bienville
Eût. d'un geste puissant,
Fondé sa grande ville
En forme de Croissant,

Ce pacanier de taille
Superbe, audacieux,
Et qui livra bataille
A tous les vents des cieux,

A pu voir sous son ombre,
Par les beaux jours de mai,
Le Chactas à peau sombre,
Fumer son calumet.

Plus tard, quand la défaite
Eut chassé les Indiens,
Il a grandi son faite
Et vu les Acadiens.

C'est un bel arbre, un arbe,
Comme nous dit l'enfant,
Ayant la longue barbe
D'un vieillard triumphant.

Car l'arbre vénérable,
Le géant chevelu
Portant barbe admirable,
Chez nous est tout velu.

Pourquoi? c'est un mystère
Végétal et profond,
Comme il en est sur terre
Beaucoup, prétend Buffon.

Ou mieux, la Providence,
Dit l'ami Nicolas,
Nous donnait par prudence
Du crin pour matelas.

Quoi qu'il en soit, moi j'aime
Mon puissant pacanier,
Et j'y vois un poème
Donc voici le dernier

Chant: Quand la sève monte
A l'arbre et dans les coeurs,
Et que l'amour sans honte
A des élans vainqueurs;

Au printemps, quand tout être
Vivant, tout animal,
Et l'arbre aussi peut-être,
Pense à bien, non à mal,

Mon pacanier où vole
Tout un people en ébats,
Bruyant, content, frivole,
Chante de haut en bas.

On y voit une bande
De moineaux piaillards,
Faisant le contrebande
En pillards et paillards.

Car le moineau, chérie,
Connu pour son caquet
Et sa paillarderie,
Se nomme aussi friquet.

Saturday, June 13, 2015

"La langue maternelle" par Une Acadienne (The Lafayette Advertiser - 27 mai 1893)

"Voici quelques fragments de vers écrits par un Prêtre Poète. Après son premier sermon en Anglais il crût entendre la voix de sa mère qui lui disait:"


........................ "Eh! quoi, mon fils ingrat.
La langue Maternelle, en perdant son éclat,
A-t-elle aussi perdu toute son harmonie?
Pour toi, n'est-elle plus une langue bénie?
Ce langage nouveau, oh! ne la parle pas!
Reprends donc, o mon fils, la langue maternelle,
Que tu parlais, enfant, à l'ombre de mon aile;
La langue dans laquelle ont parlé mes amours;
La langue de ta mère, oh! parle-la toujours;
Car l'oublier, vois-tu, c'est oublier la mère;
Car changer de langage est la même chimère
Que changer de patrie, on reçoit en naissant
Le sceau divin transmis de la mère à l'enfant,
Le sceau qu'imprime au front le baiser d'une mère;
Ah! parle-la toujours, la langue de ton père!
Garde, ainsi qu'un trésor, l'indivisble amour
De Dieu, de la famille et du natal séjour;

Friday, June 12, 2015

"Souvenirs" par J. Gringoire (Le Louisianais - 14 Juin 1873)

XI.

Oui, certes, la prière à l'église, en plein champ,
Dans sa chambre, partout, avec parole ou chant,
Religieux appel pour l'enfant et la femme,
Cri saint de notre amour et parfum de notre âme,
Est bonne, croyez-le. Sans honte et sans affront,
Tout homme devant Dieu peut incliner le front;
Et si nous ne craignons pas de casser nos bretelles,
De plier de genou devant des bagatelles,
Devant le roi d'un jour, la reine d'un moment,
Quelque prince butor et vilain garnement,
C'est-à-dire des gueux, des fous, des péronnelles,
Qui sont des avortons à poses solennelles,
Qui n'ont pas double nez et meurent comme nous,
Nous pouvons sans rougir, en courbant les genoux,
Nous adresser au Maître, implorer sa clémence,
Entreprendre avec lui la dialogue immense,
Et rapprocher ainsi notre terre des cieux.
Bah! notre dignité de cirons précieux
N'aura point à souffrir d'une gloire pareille,
Et vouloir qu'on nous tire au gros bout de l'oreille,
Pour un tel rendez-vous, pour un semblable honneur,
Simplement, après tout, pour notre vrai Bonheur,
C'est orgueil et folie. De tout temps, à toute heure,
Dans le temps païen ou la sainte demeure,
Sous la tente flottante ou bien dans la cité,
Aux jours de l'esclavage ou de la liberté,
Bien avant Mahomet, bien avant Prométhée,
Bien avant Adamos qui fut un jour athée,
Partout, jour comme nuit, universellement,
Les peuples ont prié le grand Maître clément.
La prière n'est point un appel de magie,
Un recueil de versets ou de théologie,
Mais bien la voix de l'âme à travers tous les temps,
Et la langue, divine aux tropes éclatants.
Elle est née avec l'homme à l'aurore des âges;
Elle a pruifié les lèvres des vrais sages;
Elle a fait le héros, le prêtre, le martyr;
Elle enseigne la foi comme le repentir;
Elle se nomme l'amour et parle d'espérance
A l'homme agenouillé devant toi, pauvre France!
Quand l'éternelle Rome et son Pontife saint,
En vertu d'un profond et solennel dessein,
Ne seront plus, hélas! qu'un souvenir de Pierre,
L'homme continuera l'éternelle prière;
Et tant qu'un frêle enfant, le dernier des humains,
Pourra lever son front et joindre ses deux mains,
On priera dans ce monde. Et c'est Dieu qui l'ordonne,
Dieu qui bénit toujours, Dieu qui toujours pardonne.
Veuillot lui-même prie à l'aspect de la mort,
Par majeure raison son le diable le mord;
Et si Satan, le sombre empereur des ténèbres,
Pouvait un seul instant, dans ses ombres funèbres,
Prier, il deviendrait de nouveau Lucifer,
Et reconquerrait Dieu, la vie et le grand air.
O prière, salut! Salut, philosophie!
A ton rayonnement l'âme se purifie.

  Ainsi parlait Jerome à ses bons paroissiens,
Approuvé des enfants, des femmes, des anciens,
De l'époux, de ses fils, des filles, de la mère,
Du notaire du dieu?, du sonneur et du maire,
Comme aussi de Gringoire, un cousin de Gentil,
Un vrai, cousin-germain, messieurs.   Ainsi soit-il.

  Mais Jerome aimait peu les longues patenôtres
Et les hommes qui font comme font tous les autres;
Il voulait qu'on priat du coeur, non en grimands
Qui s'en vont marmottant des mots et puis des mots.

Thursday, June 11, 2015

"Souvenirs" par J. Gringoire (Le Louisianais - 26 Avril 1873)

IV.

Or, c'était le dimanche, en Mai, le mois aimé,
Quand la nature met son voile parfumé,
Lorsque les arbres verts ont des chants et des ombres,
Et que nous n'avons plus de ces tristesses sombres,
Qui sont un deuil, Alors tout rayonne et sourit,
Le soleil est divin et notre coeur fleurit;
Aux parfums du printemps nous entrouvrons notre âme,
Et nous sommes heureux. C'est le temps où la femme
A des rêves sacrés qui lui viennent des cieux,
Où l'homme s'attendrit, où les fronts gracieux
S'inclinent pour prier la prière des anges,
Où nous dépouillons tous, chrysalides étranges,
L'enveloppe de boue. Heureux bois! Heureux temps!
Céleste renouveau! Les roses du printemps
Pleuvent autour de nous; l'aubépine fleurie
Neige sur nos cheveux. C'est le mois de Marie.

  Ah! sans êtes dévot comme trois capucins,
Sans fêter jour par jour l'Eglise et tous les saints,
Etant même souvent de foi très peu romaine
A l'endroit des prélats, qui sont d'espèce humaine,
--Et l'on peut bien, messieurs, sans être un apostat,
Repousser pour l'Autel les tréteaux de l'Etat,--
Il faut qu'on agenouille au doux mois de Marie,
Devant la Vierge sainte et la Mère chérie,
Devant celle, ô Jésus, dont le coeur sanglota,
Les sanglots du martyr au haut du Galgotha.
Car elle n'était point une femme, la femme
Dont l'amour fut divin, dont l'âme fut une âme
Des cieux resplendissants, et qui vient parmi nous
Nous indiquer la place où mettre les genoux.
Une femme?  Non pas; Eve certainement
Fut femme; Marie est Vierge au firmament.

  Or, c'était au printemps, en Mai, lorsque la terre
Verdit et s'embellit, lorsque le presbytère
Fournit ses fleurs d'autel au simple et bon cure,
Lorsque l'accacia, grand arbre révéré,
-- Puisque l'épine croit à ses robustes branches,--
Ombrage chastement avec ses grappes blanches
Les vitraux de l'Eglise, et que le sacristain,
Brave sonneur qui boit le vin blanc du matin,
Secoue à tout briser, dans le clocher sonore,
La cloche qui bondit, bondit, bondit encore.

  L'Eglise, ce jour là, n'aurait pu contenir
Une femme de plus...--. Mais comme il faut finir
Ce quatrième chant de notre long poëme,
Que le Père Jérôme a bien toussé lui-même,
Que nous ne pouvons pas, sans de bonnes raisons,
Couper un prône entier en plus de six tronçons,
Et que le mois de Mai, le doux mois des cantiques,
De l'Eglise demain ouvrira les portiques,
Ajournons les lectuers à la semaine pro-
Chaine, autrement, messieurs, au prochain numéro.

Wednesday, June 10, 2015

"Souvenirs" par J. Gringoire (Le Louisianais - 5 Avril 1873)

I.

Il est des galopins qui sont enfants de choeur,
Etant légers d'esprit mais excellents de coeur,
Comme on l'est d'ordinaire et sans crimes à leur âge,
Et qui, par habitude aussi vieille que sage,
Sans craindre Malin et la damnation,
Rincent une burette à la perfection.
  Je fus un galopin et j'ai la souverance
D'avoir servi la messe en surplis d'ordonnance,
En blouse, pour mieux dire, à l'excellent cure
Qui mourut en vrai Saint et mourut ignoré,
Et que nous nommions tous le bon Père Jerôme.
Excellent est le mot. C'était un très brave homme ,
Un vieillard bienvieillant, tolérant, point bigot,
Recherchant le pécheur, évitant le cagot,
Un prêtre du Seigneur selon la foi première,
L'apôtre du hameau, le cure de chaumière,
Avec cela savant comme un Prince romain.
Et son coeur était grand comme le genre humain.
Je ne lui vis jamais qu'une soutane usée,
En plus de mille endroits savamment reprisée,
Douteuse de couleur, qu'il portait en tout temps,
Par les brumes d'hiver et les fleurs du printemps,
Et très belle, ma foi. Son antique tricorne
Etait deux fois majeur et boitait d'une corne,
Mais était venerable. Il avait des souliers
Ferrés, massifs, huilés comme ceux des rouliers;
Il se mouchait parfois de l'index, mais  qu'importe ?
Il n'avait jamais eu de serrure à sa porte.
Cet homme donnait tout, ce prêtre donnait Dieu;
En mourant il donna son sourire d'adieu.
On l'aimait bien, allez. Jamais une servant
Illustre Cordon-Bleu de cuisine savante,
N'a poivré son ragoût ou tiré son rideau.
Il faisait la cuisine, il était son bedeau;
Il mangeait au hasard, chez celui-ci, chez l'autre,
Du pain, du lard, un fruit, un rien, comme l'apôtre,
Mais toujours chez le pauvre où le coeur est chrétien,,
le nôtre est le vôtre, où le mien est le tien.
Sans haïr le marquis, qu'il trouvait respectable,
Il lui disait toujours et dédaignait sa table.
Etant prêtre, bedeau, sonneur et cuisinier,
Le tout sans trop d'orgueil, il était jardinier,
Et même jardinier savant. Son presbytère
Recevait les parfums d'un souriant parterre,
Et la vigne grimpait, pampre capricieux,
Sur sa vieille maison qui regardait les cieux.
Le bon Père Jérôme, en bon évangéliste,
Aimait les chasselas chéris du mortaliste;
Et c'était là son faible ou son fort; oui, son fort,
Car le raisin de Dieu, qu'on ceuille sans effort
A la branche inclinée et verte de la treille,
A les rayons d'en haut dans sa pulpe vermeille,
Et les joyeux oiseaux l'aiment pareillement.

Mais, lecteurs, c'est assez, assez pour le moment,
Assez pour le Carême où les graves problèmes,
De jeûne et de salut rendent les faces blêmes.
Nous vous reparlerons de cet homme de bien,
Puisqu'il en est beaucoup qui ne valent plus rien.

Tuesday, June 9, 2015

"St. Patrick" par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 Mars 1873)

Lundi dernier, chez nous, c'était l'anniversaire
De l'apôtre Patrick, le terrible adversaire
Des serpents de l'Irlande et des malins docteurs.

Patrick aimait très peu ces deux grands malfaiteurs;
Le serpent qui trompa notre innocente mère,
Et le docteur subtil à la doctrine amère;
Car ils sont l'un et l'autre, et l'homme et l'animal,
Le vrai prolongement de Satan ou du mal,
Et si l'un, nous offrant une méchante pomme,
A de l'homme immortel fait un misérable homme,
Le second, par malice et par subtilité,
Nous a privés du ciel et de la vérité.

Or, Patrick, un beau jour, de sa lèvre inspirée
Laissait couler les flots de la langue sacrée,
Annonçait l'Evangile et le doux Rédempteur,
Parlait d'Amour divin et d'éternel bonheur,
Révélait un beau Ciel au dessus de la Fable,
Expliquait saintement le Mystère ineffable,
Et d'un dogme nouveau, la Sainte Trinité,
Etonnant les docteurs et leur crédulité.
Patrick était un saint, il était vénérable,
Ses mots étaient plus doux que le sucre d'érable,
Son fier regard était un éblouissement,
Et sa barbe tombait apostoliquement.
Les docteurs confondus, frappes, doutant d'eux-mêmes,
Sentaient l'inanité de leurs vilains blasphêmes,
Et déjà s'apprêtaient, à moitié convertis,
A confesser un Dieu qui grandit les petits.
Toutefois, car le doute est une chose étrange
Et la bête souvent marche à côté de l'ange,
Ils ne comprenaient pas le mystère commun
Qu'un seul Dieu soit en trois comme Trois est en Un;
Et ces méchants douteurs, redevenus eux-mêmes,
Déjà se préparaient à de nouveaux blashphêmes,
Parlaient aux Irlandais de Druides sacrés,
De gui vert et fleuri, de Bardes révérées,
Et voulaient lapider, ainsi qu'un autre Etienne,
Le beau propagateur de la vertu chrétienne.

Monday, June 8, 2015

"Visions" par Gringoire (Le Louisianais - 8 Mars 1873)

Notre siècle est vraiment un siècle bien étrange,
Un siècle où l'esprit sombre et le doux esprit d'ange
Se rencontrent partout, comme si la raison,
Affolée à plaisir, déplaçait l'horizon,
Comme si la foi sainte et le doute terrible
Devaient, à certains jours, s'accoupler dans l'horrible.
Oui, ce siècle est étrange et l'on ne sait vraiment
Si le croyant croit bien et si le docteur ment;
Car ils sont tous les deux,--bizarre myopie!
L'infidèle croyant et le croyant impie.
Celui-ci n'admet rien, mais cet autre admet tout;
Si je ne vois pas Dieu, l'autre le voit partout,
Et nous avons chacun, voyants ou douteurs sombres,
Des éblouissements ou des profendeurs d'ombres
Dans l'esprit. Nous ne nous possédons pas. Marcher
Dans la vague ou l'obscur, hélas! c'est trébucher;
Et nous trébuchons tous, que nous soyons l'athée
Maudissant le bourreau qu'a maudit Prométhée,
Que nous soyons la foi d'une vierge mystique
Qui voit dans un brouillard une Ombre fantastique,
Ou bien encore étant, devant l'affreux blaspheme
Ou le rêve azuré, l'indifférence même.

Mais cependant qui sait? Les rêveurs sont heureux,
Et les fantômes blancs, roses, bleus, vaporeux,
Des bons Pères Joseph, des Madones, des Vierges,
Des Madames qui brillent aux lueurs des grands cierges,
A Lourdes, la Sallette, en Alsace, à Neufbois,
Dans le creux d'une roche ou l'épaisseur des bois,
Avec la Bernadette ou toute autre bergère,
Quand l'impiété grogne ainsi qu'une mégère,
Sont divins et charmants, Toutefois, ô chrétiens,
Ces apparitions, aux temps des vieux païens,
Lorsque les Louis Veuillot de la Grèce embaumée,
En l'honneur d'Elensis fesaient de la fumée,
Etaient Junon, Phoebé, Vénus, et le Dieu Pan
Riait dans son Buisson comme un vrai sacripant.

Sunday, June 7, 2015

"Senateurs" par Gringoire (Le Louisianais - 15 Février 1873)

Il en est qui sont gueux, d'autres qui sont larrons.
Ou l'a jadis connu chasseur de noirs marrons,
Et ses dogues cruels, à la fétide haleine,
Moins féroces que lui, mangeaient la chair humaine.
C'était là le bon temps pour ce noble métier,
Le noir étant pourceau, le chasseur charcutier.
On l'a connu plus tard, à l'heure où les gens d'armes
Se renvoyaient la mort, vendant de vieilles armes
Et ne se battant pas. Le gaillard est prudent
Et méprise à bon droit le batailleur ardent.
Une balle, ça tue un drôle comme un homme,
Un baudit non moins bien qu'un héros; puis, en somme,
Chacun tient à sa peau: la peau ne se coud point
Comme une déchirure au bas d'un vieux pourpoint.
Et quels d'autres métiers n'a-t-il pas faits sur terre!
Mais il est des laideurs qu'il faut sagement taire.
Quoiqu'il en soit, changeant d'habit et de chapeau,
Retournant sa conscience et retournant sa peau,
Pleurant ses laids péchés, redevenant tout autre,
John se présente à nous comme un divin apôtre.
Il adore aujourd'hui ceux qu'il chassait hier,
Et notre non larron, tout superbe et tout fier,
Non moins étourdissant qu'un brave petit âne,
Sur la chaise curule en Romain se pavane.

Saturday, June 6, 2015

"Grant" par Gringoire (Le Louisianais - 1 Février 1873)

Adonc, mon ami Grant, je vois avec Bonheur
Que le monde aujourd'hui reconnait ta grandeur,
Que les peuples surpris admirent ton épée,
Que les rois sont jaloux de ta grande épopée,
Et qu'on te rend justice. Il le faut bien, vraiement,
Et notre général est un homme charmant.
Il a vaincu Greeley. Le fait est donc notoire
Que son illustre nom brillera dans l'histoire,
Que son vaste génie, haut comme un monument,
Sera pour l'univers un vrai rayonnement,
Qu'il n'est point palfrenier d'ignobles habitudes,
Qu'il a même autrefois fait de bonnes études,
Qu'il est savant en droit, docteur et diplômé,
Qu'il explique le Code à livre tout fermé,
Qu'il faut conséquemment couler ce personnage
En métal éternel pour les fils d'un autre âge.
Grant aime le métal. Mais des gens de céans,
D'honnêtes Scallawags de la ville Orleans,
De beaux Carpet-baggers enrichis par miracle,
De braves Africains dont Antoine est l'oracle,
Mais qu'un Callot dirait sublimes de laideur,
Ont eu l'étrange idée et la vaste impudeur
D'envoyer à Mons Grant, en manière d'hommage,
Son grand "Portrait Equestre," autrement son Image.

Friday, June 5, 2015

"Baréges" par Gringoire (Le Louisianais - 7 Decembre 1872)

A Lourdes, croyez-le, des miracles se font,
Et l'esprit des malins devant eux se confond;
Car les miracles saints qui s'opèrent à Lourdes,
Etant des vérités, ne sont pas folles bourdes.
La Grotte ne ment pas et n'a jamais menti;
Elle parle à tout homme honnête et converti;
Elle se fait comprendre aux commères dévotes,
Aux femmes des Cagots, qui sont alors Cagotes;
Elle guérit les sourds, les manchots, les goutteux,
Les savants, les penseurs, les cancres, les boiteux;
Elle est une piscine où tout se purifie,
Où Satan ne vient point, car Satan se méfie;
Où le cabaretier, un vrai Gascon du lieu,
Bénit les pèlerins du marquis de Franclieu;
Où le brun montagnard fabrique des rosaires,
Des chapelets de buis, pour toutes nos misères;
Où le vieux paladin des légitimités
Apporte ses serments et ses fidélités;
Où l'ordre naturel, pour prouver que nous sommes
Des fous, des insensés, des méchants et des hommes,
Et que nous avons besoin d'un merveilleux secours,
Est miraculeusement détourné de son cours.
Lourdes fut un hameau, Lourdes est une ville!
Le bourgeois vous reçoit d'une façon civile,
La police se fait assez honnêtement,
Le jeune Procureur est un homme charmant,
Et les truites du Gave, excellentes, exquises,
Sont un festin d'abbés, de ducs et de marquises;
Quant au vin, Madiran chaud et délicieux,
Il griserait les saints qui chantent dans les cieux.
Vive Lourdes! L'abbé, les évêques, les Pères,
Un tas de pèlerins et de joyeux compères,
En ont fait une ville. On y vient de partout,
On y voit toute chose, on y trouve de tout,
Et quand Veuillot s'y rend, la grisette éhontée
Se sauve jusqu'à Pau, craintive, épouvantée.
Le gazetier du lieu, savant bénédiction,
Traduit facilement du patois en latin,
Comme l'Univers connait sa liturgie,
Et mieux que Dupanloup sait sa théologie.

Oui, c'est vrai, c'est bien vrai, vrai comme vérité,
Prouvé par cent témoins, authentique, attesté,
Indubitablement vrai, vrai sans aucun mensonge,
Vrai sans illusions d'apparence ou de songe,
Vrai pour même et vraiement! Des miracles se font
A Lourdes, en Bigorre, et l'esprit se confond
Devant ces choses-là comme dans un mystère.
Il faut baisser le front, écouter et se taire.

Cependant pourquoi non et pourquoi me tairais-je?
Est-ce que les troupiers ne vont pas à Barége,
Eclopés de Crimée ou de Solférino,
Tremper clopin-clopant leurs reliquats dans l'eau?
Oui, mais ces vieux troupiers qui passent près de Lourdes
Sont des gueux qui n'ont pas les poches assez lourdes.

Thursday, June 4, 2015

"Croyons" par Jean Gentil (Le Louisianais - 23 Novembre 1872)

Comédiens, pèlerins, papelards et protées,
Grande Confraternité de païens et d'athées,
Ne craindriez-vous point la colère de Dieu,
Et convient-il, messieurs, que cette farce ait lieu?
Le siècle ne veut pas semblable comédie,
Qu'un miracle divin soit fait à l'étourdie,
Et qu'un jeune Gascon, un berger, un marmot,
En gardant ses brebis, trouve un Dieu sous l'ormeau.
C'est blaspheme insensé! La Foi vivante et saine
Repousse avec dédain si pauvre mise en scène,
Lève un front rayonnant vers les splendides cieux,
Demande l'Eternel aux mondes radieux,
S'enivre d'infui, de clartés, de lumières,
Et souffle aux feux follets qui font peur aux chaumières.
Trouver Dieu dans un trou, tout près d'un grand fossé,
Ou caché sous le roc, n'est-ce pas insensé?
Découvrir Notre-Dame au fond d'une caverne,
Avec un jupon bleu, n'est-ce pas baliverne?
Converser avec eux, tout familièrement,
Et patois béarnais, n'est-ce pas fort charmant?
O Païens, est-ce là votre catholicisme?
Avons-nous donc brûlé les Dieux du paganisme?
Les Naïades, les Pans, les Satyres velus,
Les brunes Vellédras des Gaulois chevelus,
Les prêtresses de Sein,--l'Ile tant renommé,--
Et les Divinités des guerriers à framée,
Sans compter tous les Saints de la Légende d'or,
Reviennent-ils, Seigneur? Est-ce que l'esprit dort?
Et la France peut-elle, étant grande et première,
Etant fille de Dieu, fille ainée et lumière,
Etant la foi divine allumée au Saint Lieu,
Croire qu'un petit pâtre ait vu le nez de Dieu?

Wednesday, June 3, 2015

"Miracle" par Jean Gentil (Le Louisianais - 9 Novembre 1872)

Jean Martin Bambochard, tonnelier en Bigorre,
A Vic,-- cite fameuse où plus d'un croit encore
Aux revenants, aux sorts, aux sorciers de jadis,
Comme pareillement aux saints du paradis,--
Est un excellent homme, et serait un bon père
Un modèle d'époux, si notre vieux compère,
Aimé des paroissiens et du gouvernement,
Très honnête pour tous, buvait modestement.
Mais Martin Bambochard est un puissant ivrogne,
Et son visage n'est qu'une admirable trogne.
Que voulez-vous? Il dit que tout bon tonnelier
Doit vider les tonneaux, qu'il n'est pas marguillier
Sans vin de Madiran, chanoine sans servante,
Maris sans mal au front, et qu'il pleuve ou qu'il vente,
Qu'il fasse froid ou chaud, en hiver, en été,
Qu'on soit un paysan ou bien sa Majesté,
Pour chanter à son aise et chaser un déboire,
Il faut royalement prendre son verre et boire.
Et que ne dit-on pas, bon Dieu, quand on a vu
Dans le fond de son verre un joyeux imprévu,
Et qu'un refrain d'amour, très libre en sa cadence
Et tout nu dans sa forme, en votre cerveau danse?
Mais la femme à Martin, une pieuse femme,
Une épouse fidèle, une lingère et dame!
La fille, croyons-nous, d'un vieux crestaïré,
Qui tendait les moutons sur le pie de l'Ayré,
Ne peut se consoler d'avoir pris un ivrogne,
Et se plaint qu'un visage est une horrible trogne.
Cependant elle est sage et fort jolie; elle a
De la devotion et sait bien dire Holà.
Mais,--- Mais est partout, comme aussi le Peut être
Toute Sainte qu'on soit ou qu'on veuille paraitre,

Il est fort peu plaisant de dormir à côté
D'un mari qui s'endort en ivrogne hébété;
Et puis les écus blancs s'en vont, joyeuse bande,
Au cabaret voisin danser la sarabande,
Quand la femme pleure et prie incessamment.

Or, la femme à Martin pleurait. Heureusement
Qu'un miracle est possible à la Grotte et Lourdes,
--Grotte où les pèlerins s'en vont emplir leurs gourdes,
Et que l'eau du rocher, guérissant les lépreux,
Les boiteux, les cagots, les brennards, les goîtreux,
Pouvait guérir aussi,--l'idée est lumineuse,--
Son Martin Bambochard avec l'eau sulfareuse.

Et telle est la raison, ô miracle divin!
Qui fait que Bambochard met de l'eau dans son vin,
Et qui veut qu'une femme insensée, enragée,
Criant à tout propos, à tête dérangée,
Lorsque son mari parle, au lieu de l'avaler,
Ait de l'eau dans sa bouche et ne puisse parler.

Tuesday, June 2, 2015

"Miracles" par Jean Gentil (Le Louisianais - 2 Novembre 1872)

I.

Des coquilles au dos,--- coquilles de palourdes,
Un grand cierge à la main, les pèlerins de Lourdes
S'en vont pieusement, religieusement,
Par cinq cents, par milliers et catholiquement,
A la Grotte sacrée où Bernadette l'ange
Aperçut autrefois une Madonne étrange.
Ils y vont, croyons-nous, conduits par le Franclieu,
Prier la bonne Dame, adorer le bon Dieu,
Se guérir de la goutte, influencer l'oracle
Et cabaler un peu pour l'Enfant du Miracle;
Car Monsieur de Chambord est comme des Lourdaux.
Et d'autres pèlerins, coquillages au dos,
Puisque le coquillage entre dans leur toilette,
S'en vont également visiter la Salette.
C'est bon signe, et la fois des temps miraculeux
Nous revient à propos pour sauver les galeux.
Pour guérir les pécheurs, pour racheter le monde
Qui se mourait, hélas! de maladie immonde,

II.

Adonc, je vous le dis, et c'est la vérité,--
Puisque le Tribunal lança son Arrêté,--
A la Châtre-Langlin, canton de Saint-Benoit,
Département de l'Indre, un nommé Jean Benoit,
Un François Bâtardon, Maillochon et trois autres,
Plus trois commères du lieu, femmes de ces apôtres,
Tous paysans et tous bel et bien baptisés,
Se sont, comme des fous, l'autre jour avisés
D'interrompre la messe et la cérémonie,
De frapper du curé la personne bénie,
Et même d'insulter, sans la moindre raison,
La vieille Elizabeth, servante en sa maison
Et pourquoi, s'il vous plait? parcequ'un grand orage
Avait grêlé les champs à l'entour du village,
Et que Monsieur Gandon, le curé du hameau,
N'avait pas fait sonner la cloche à son bedeau,
Et promené la croix pour conjurer l'orage.
"Inde ira," fureur, épouvantable rage.
Quant au garde-champêtre, un peureux, un prudent,
Peut-être bien un libre-penseur impudent,
Il est resté chez lui, se nommant Vauzelade,
Et prétendant, -- c'est faux!--qu'il était très malade.
Mais maillochon, Benoit, Baudet et Limaçon
Ont été condamnés à trois mois de prison;
Ce qui leur prouvera qu'on peut croire aux oracles,
Mais qu'il ne faut jamais ordonner des miracles.

Monday, June 1, 2015

Chevaliers de la Table Ronde (10 versions du monde)

De la Louisiane
 
 
De la Louisiane
 
 
De Missouri
 
 
De Haïti
 
 
Du Québec
 
 
Du Québec
 
 
Du Québec
 
 
De la France
 
 
De la France
 
 
De la Belgique
 
 
 
 
 
 
 

"Lourdes" par Jean Gentil (Le Louisianais - 26 Octobre 1872)

Certain cabaretier de Lourdes, --un chef-lieu
Du pays bigorrais, qu'un marquis de Franclieu,
Veuillot le doux apôtre et Bernadette l'ange,
Sans compter, savez-vous, un glorieux mélange
De bourgeois, de seigneurs, de manants et d'enfants,
Ont rendu triomphant entres les triomphants,
Et cela pour miracle authentique en Gascogne,
En Navarre, en Béarn, aux bords de la Dordogne,
Au cours de la Gavonne, --- ainsi parlait raison:
"Je suis cabaretier de Lourdes; ma maison
Trempe l'un de ses pieds dans le Gave sonore,
Et je glose patois comme un fils de Bigore,
Ma cuisine rôtit un gigot succulent,
Et le vin de ma cave est un vin excellent;
Pieux avec Monsieur, plaisant avec Madame,
Je crois sincèrement aux saints, à Notre-Dame,
Aux miracles, à Dieu, comme aux bons pèlerins
Qui viennent par ici se disloquer les reins,
Mais qui laissent chez moi, --- Dieu conserve leur âme!
Assez d'écus sonnants pour croire à Notre Dame."