Monday, August 15, 2016

"Dans Saturne, III" par Jean Gentil (Le Louisianais- 27 Octobre 1877)

Or, Saturne est énorme
Et vaste à contourner,
Comme aussi rond de forme,
Afin de mieux tourner.

Car les choses carrées,
Et lourdes, dans les airs
On plaines azurées,
Rouleraient de travers.

Et la forme bien faite,
Superbe, belle aux yeux,
Bonne aux sens, parfaite
Et grande dans les cieux,

Est la forme arrondie,--
Celle qu'on voit en haut,
Rayonnante, hardie,
Sublime et sans défaut.

Donc, Saturne est rond comme
Jupiter, Uranus,
Ou la tête d'un homme
Ou la belle Vénus.

Pour tourner sur lui-même,
Théologiquement,
Dans un ordre suprême,
Il lui fait seulement

Dix heures et demie,
Quand la Terre d'Adam,
En planète enformie
Et qui marche en boudant,

A des nuits prolongées,
Sa Lune, pas d'anneau,
Des bêtes abrégées
Et la forme d'un O.

Il a sept satellites
A sa discrétion,
Et qui sont des vélites
En observation.

Saturne est pâle et blème,
Dites-vous, à tel point
Que son obscur problème
Ne rayonne point,

Et qu'aux Observatoires,
A Berlin, à Paris,
On fait nombre d'histoires
Et beaucoup de paris

Sur la couleur des femmmes,
Des hommes, des moutons,
Des anges et des âmes
Aux saturniens cantons!

Il est même sur terre
Des gens comme Arago,
Qui vous diront: Mystère,
Tu credis, sed nego.

Car si Saturne est sphère,
Comme chacun l'a lu,
Sa morbide atmosphère
Manque de l'air voulu.

Il lui faut l'oxygène
Que nous avons ici,
L'azote ou nitrogène,
Et le carbone aussi.

Mais il vit trop dans l'ombre,
Trop noir, trop peu vermeil,
Trop lugubre, trop sombre
Et trop loin du soleil.

Et le soleil est l'âme
Des constellations,
L'esprit vivant, la flamme
Des incarnations.

Sans lui, sans Dieu, pas d'hommes,
Pas de fleurs, pas de jours,
Pas de ciel, point de pommes,
Et le néant toujours.

Le soleil est la vie,
La beauté, la grandeur,
L'âme fière et ravie
Dans l'immense splendeur..

Et les Guèbres peut-être,
L'adorant à genoux,
Le proclamant leur Maître,
Sont moins bêtes que nous."

"Dans Saturne, II" par Jean Gentil (Le Louisianais - 20 octobre 1877)

Saturne est la planète
Où je vais fréquemment
Sans lorgnon ni lunette,
Car je prends simplement

La route sidérale
Qui morte au firmament
Et s'allonge en spirale
Très agréablement.

En moins de trois quarts d'heure,
Eté comme printemps,
Qu'il vente, neige, ou pleuve,
J'y suis eu quatre temps.

Si même, quand je passe
Près de la Lune, qui
N'est qu'un point dans l'espace,
Où notre âme naquit,

Je ne prenais nouvelle
Du bon vieux Barrabas,
Lui laissant ma cervelle
Et ma raisond'en bas--

Car ce maudit bagage
Est trop disgracieux
Pour quiconque s'engage
Dans le chemin des cieux,--

Je pourrais bien me rendre
Dans Saturne en deux temps;
Et je vais l'entreprendre
Dans six mois, au printemps.

Au doux printemps des roses
Et du thym de berger,
Les nez sont moins moroses,
L'esprit est plus léger;

On allonge ses ailes
Beaucoup plus librement
Aux voûtes éternelles,
Et poetiquement.

Aux doux printemps des heures
De bénédiction,
Les routes sont meilleurs
Dans la création:

Vous n'avez plus d'ornières
Au ciel, et les chemins
Ont des fleurs printanières
A cueillir des deux mains.

Quant à ceux de la terre,
Ils sont, quand l'arbre est vert
Et chante son mystère,
Plus joyeux qu'en hiver.

Car l'hiver a ses pluies,
Ses bourbiers, ses glaçons,
Ses vents, ses parapluies
Et ses âpres frissons.

C'est comme pour la guerre;
Il lui faut les beaux jours;
Janvier ne convient guère,
Mais Mai convient toujours.

Aussi, quand sage est l'homme,
C'est d'ordinaire en Mai
Que pour la Mecque ou Rome
En voyage il se met.

De même pour Saturne,
Où j'achève à l'instant
Mon voyage nocturne,
Où je vois tant et tant

De choses admirables,
Dignes d'étonnement,
Puissantes, adorables,
Que je ne sais vraiement,

Dans ce spectacle immense
Et splendide en tout point,
S'il faut que je commence
Ou ne commence point,

Sans dire des bévnes,
Le merveilleux récit
Des choses que j'ai vues
Là-haut, et que voici:

"Dans Saturne, 1" par Jean Gentil (Le Louisianais - 13 octobre 1877)

Mon voisin l'astronome,
Qui voit bien et voit clair,
Est un excellent homme
Qui vit toujours en l'air.

Il trouve que la terre,
Où le pommier fleurit,
Où la femme, un mystère,
Divinement sourit;

Où le vin, douce flamme
Et rayon de soleil,
En vous réchauffant l'âme,
Vous fait le nez vermeil;

Où l'on chant, où l'on aime,
Où le coeur est vivant,
Où la vie est suprême,
Où l'on prie en buvant;

Où la nature est belle
De toutes les beautés,
Où le plus grand rebelle
Voit des sublimités;

Où Dieu ne fait point crime,
Aux oiseaux de tout bec,
De chanter une rime
Aux cordes d'un rebec;

Où celui qui rumine
Une même oraison,
Et s'assombrit la mine,
N'a pas toujours raison;

Où les saints véritables
Trouvent bien, sans les cieux,
Des objets délectables
Et des biens précieux,...

Est indigne d'un homme
Qui croit en Dieu, surtout
D'un puissant astronome
Qui veut connaître tout.

La terre, globe immonde,
Horrible et sans clarté,
N'est-elle pas un monde
Tristement avorté?

Les femmes, des Harpies,
N'y sentent pas très bon;
Les hommes, des impies,
Y mangent du jambon.

Elle-même, la rose,
Cette fleurs des rayons,
Est pâle, a la chlorose
Des filles en haillons.

Tout est laid sur la terre,
Petit, même au printemps,
Et l'homme au grand mystère
Y perd vraiment son temps.

Aussi notre astronome,
Petrus Renifle-en-L'air,
Car Petrus il se nomme,
Vit-il toujours en l'air.

Et ce savant nocturne,
Bonhomme singulier
Qui monte sans Saturne
Par un grand escalier,

A vu, la chose est sûre,
A vu de ses deux yeux,
A vu, je vous l'assure,
Ce qui se passe aux cieux.

Et c'est lui qui colporte
L'histoire que voici,
Mais que je vous rapporte
En vers et sans souci:


"Credo In Deum, VI" par Jean Gentil (Le Louisianais - 6 octobre 1877)

Je sais bien que des prêtres,
Cupides et menteurs,
Hypocrites et traîtres,
Faux et blasphémateurs,

Très peu saints en pratique,
Gens de péché mortel,
Font métier et boutique
Des choses à l'autel.

Ce n'est pas une histoire
De grande nouveauté,
Et le fait est notoire
De toute antiquité.

Le monde est vieux. Athènes,
La ville de Platon,
En avait des centaines,
Ou des milliers, dit-on.

Et Cicéron lui-même,
Qui fut Pontife aussi,
C'est-à-dire Suprême,
Les raillait sans merci.

O les bonnes figures
Qu'ils avaient en ces temps!
Quelles têtes d'augures,
Et quels nez éclatants!

Rome, sous les auspices
Du savant Carnifex,
Des graves aruspices
Et du gros Pontifex,

Prêtait sans doute à rire,
Et l'on comprend d'ailleurs
Le bienveillant sourire
Des Nasicas railleurs.

Qu'importe? l'hérésie
De certains vaniteux
Vaut bien l'hypocrisie
De quelques marmiteux.

Mais s'il en est dans l'ombre,
Dans le mal, d'odieux,
Il en est dans le nombre
De vraiment radieux.

Et si Basile et d'autres
Sont noirs dans leurs laideurs,
Il est de beaux âpotres
Tout vêtus de splendeurs,

Qui sont la foi suprême,
Le bien, la charité,
L'amour de Dieu lui-même,
Et la simplicité;

Qui vont chercher les âmes
Par les sombres chemins,
Et, doux comme des femmes,
Bénissent des deux mains.

Et si le mauvais prêtre
Ne me fait point douter,
L'élu du divin Maître
A Dieu sait m'emporter.

Sunday, August 14, 2016

"Credo in Deum, V" par Jean Gentil (Le Louisianais - 29 septembre 1877)

Mais au Dieu qui condamne
L'homme pour un faux pas,
Et très souvent le damne,
Prêtre, je ne crois pas.

Un Dieu comme nous sommes,
Ayant nos passions,
Lançant contre les hommes
Ses malédictions,

Et qui devait connaître,
Bien avant qu'il m'eut fait
Volontairement naître,
Mon crime ou mon forfait,

N'est que l'affreux blasphème
D'un fol ou talapoin:
Et Dieu qui veut qu'on l'aime,
Aime et ne maudit point.

Nous créer comme un père,
Nous nommer ses enfants,
Dire à son fils: Espère
Vers les cieux triomphants--

Et puis jeter nos âmes
D'hommes, d'enfants en pleurs,
De viellards et de femmes
Dans l'enfer des douleurs,--

Dans l'enfer sombre gouffre,
Effroyable tourment,
Où le fils maudit sourire,
Souffre, éternellement?...

Non, non! C'est là mensonge
De pécheur affolé,
Ou mieux l'horrible songe
D'un esprit désolé.

Il est la Loi bénie
Des mondes radieux,
La grandeur infinie,
Du Miséricordieux.

Si son nom est Puissance,
Amour doit l'être aussi;
Mais il est par essence
La Suprême Merci.

Quand le malheur rapporte
Le prodigue au vieux toit,
Le père ouvre sa porte
Et dit: Fils, assieds-toi.

Et si le Démon, gnome
Monstreux, que l'on dit
Souverain d'un royaume
Eternel et maudit,

Lui volait, comme un traitre,
Sa fille au front charmant
Et son fils qui doit être
Son fils au firmament

Dieu poursuivrait l'informe
Monstre dans sa forêt,
Et, sans procès en forme,
Dûment l'étranglerait.

"Credo In Deum, IV" (Aux jeunes vicaires) par J. Gentil (Le Louisianais - 22 septembre 1877)

Sans le secours d'oracles,
L'aide de colonels,
Il a fait des miracles
Qui seront éternels.

Et n'est-il pas lui-même,
Si vous ouvrez les yeux,
Le miracle suprême
De la terre et des cieux?

Qui me fait la science
Des docteurs en savoir?
L'homme a la conscience
Pour comprendre et pour voir.

Folles discours étranges
De tous vous écoliers
Que vous nommez des anges,
Sont discours singuliers.

Car la théologie,
Livre très précieux
Et d'amphibologie,
Ne vaut pas mes deux yeux,--

Les deux grands yeux qu'on ouvre
Au monde éblouissant,
Et par qui l'on découvre
Le nom du Tout-Puissant.

Car ce nom, ce nom suprême
Est visible en tous lieux,
Et dans la fleur qu'on aime,
Et dans le fond des cieux.

Il est dans le brin d'herbe
Que je foule en passant,
Dans le chêne superbe
Aux grands bois frémissant.

L'insecte le bourdonne
En bas, timidement,
Et l'oiseau le fredonne
En haut, joyeusement.

Les sphères, dans l'espace,
Disent son nom béni,
Et le rayon qui passe
Le chante à l'infini.

Il est le Dieu des ondes
Et de l'immensité;
Il est le Dieu des mondes
Et de l'éternité.

Il n'a ni fin, ni rive
Et ni commandement,
Et le vieux Temps arrive
A son commandement.

Et ce Temps, redoutable
Moissonneur de vivants,
Faucheur épouvantable
Qui fauche aux quatre vents,

Vieillard lugubre et blême
Qui plonge sans remord
Son oeil sombre au problème
De la vie à la mort,

S'incline devant l'Etre
Avec humilité,
Disant "Il est le Maître,
Il est l'éternité."

Une sphère s'efface
Un monde peut périr;
Mais moi, j'ai vu sa face,
Et Dieu ne peut mourir."

"Credo In Deum, III" par Jean Gentil (Le Louisianais - 15 septembre 1877)

Mais au nom du Dieu même,
Au nom du Dieu puissant,
Universel, suprême
Et tout resplendissant;

Au nom sacré du Maître
Unique et radieux,
Qui seul est, seul doit être,
Je repousse les Dieux.

Et les bons dieux de marbre,
De pierre, ou bien coupés,
Dans les branches d'un arbre,
Et qu'on a varlopés;

Et les bons dieux de plâtre,
De stuc ou de carton,
Qui dorment près de l'âtre,
Le doigt sous le menton;

Et les bons dieux superbes,
En or, très éclatants,
Barbus et même imberbes,
Selon l'âge et les temps;

Et les bons dieux d'argile
Cuite,-- combinaison
Moins chère et plus fragile,
Mais bonne à la maison,

Sont paganisme antique,
Immoral et menteur,
Ou l'arrière-boutique
D'un Olympe imposteur.

Dieu seul est, et les autres
Sont pure invention,
Lares de faux âpotres,
Ou superstition.

Ils redoutentla pluie,
La tempête et le vent,
Et sans un parapluie
Ils se mouillent souvent.

Le temps les défigure,
Les ronge, les pourrit,
Et, pareil à l'augure
Des temps païens, sourit.

Quand on brise l'informe
Sérapis, à Patras,
Il en sort une énorme
Quantité de gros rats.

Il n'est qu'un Dieu, le Maître
Eternel, infini,
Qui seul est, seul doit être,
Dont le nom est béni,

A qui l'on doit hommage,
Par qui l'homme est vivant,
Dont la sublime image
Brille au soleil levant,

Et qui se nomme, o prêtre,
Parcequ'il l'a voulu,
De ces trois noms: Le Maître,
L'Unique et l'Absolu.

"Le Ver" par Jean Gentil (Le Louisianais - 8 septembre 1877)

Comme le plus haut chêne
Du Quercy, noble et vert,
Chaque plante a sa haine
Et chaque fleur son ver.

Et ce ver rouge et tue
L'arbre si fier au vent,
Et ce ver prostitue
La fleur en y bavant.

Dieu lui-même, le Maître
Et le grand créateur,
A son ver, a son prêtre,
A son blasphémateur.

"Credo In Deum, II" par Jean Gentil (Le Louisianais - 8 septembre 1877)

Oui, je crois, car je pense;
Et je lève la main
Vers celui qui dispense
La vie au genre humain.

Il est. Son nom est l'Etre.
Je ne puis faire un pas
D'enfant, d'homme ou de prêtre,
Sans vivre où Dieu n'est pas.

Et la mort elle-même,
Terrible équation,
Est le côté suprême
De la création.

La mort est l'Inconnue
Invisible à nos yeux,
Qui traverse la nue
Et va frapper aux cieux.

Mourir c'est disparaître,
Passer et parcourir
L'ombre où je dois renaître:
Mourir n'est pas mourir.

Tout change, se transforme
Et paraît s'effacer;
Mais dans une autre forme
L'être saura passer.

Le néant est mensonge,
Et l'immortalité,
Plus j'y crois, plus j'y songe,
Est une verité.

Et Dieu seul est la vie
Sans interruption,
Sans fin, et poursuivie
Dans la création.

Et les hommes eux-mêmes
Auront toujours été
Les quotients suprêmes
De son éternité.

Or, je crois, brave femme,
Et mon pieux Credo
Est vrai, n'est point infâme,
Vaut celui du bedeau.

In Deum credo. Ma mère
Y croit, ma fille aussi,
Et c'est la foi primaire
Du Guèbre ou du Parsi.

C'est la foi proclamée
Dans les temps et partout,
Qu'un livre a résumée
Dans ces mots: Le grand tout.

Le puissant philosphe,
L'enfant aux blonds cheveux
Et le vieux théosophe
L'ont tous. Je l'ai comme eux.

Et les hauts Prométhées,
Audacieux lutteurs,
Ne sont point des athées,
Mais des adorateurs.

"Credo In Deum, I" par Jean Gentil (Le Louisianais - 1 septembre 1877)

Je crois en Dieu, je l'aime,
Et mon esprit porté
Vers l'éternel problème,
N'en a jamais douté.

J'ai même la pensée
Que j'irai quelque jour
Joindre la trépasse
Dans un autre séjour.

Car si Dieu vient nous prendre
Ici-bas nos enfants,
C'est qu'il veut nous les rendre
Au ciel et triomphants.

L'homme doute: Le père
Croit religeusement
Et dans les cieux espère
Le saint rapprochement.

Car nous avons une âme
Dans notre corps mortel,
Et cette âme est la flamme
Divine de l'autel.

Quand la mort imprévue,
Luce, a fermé tes yeux,
Tes doux yeux, je l'ai vue
Qui s'envolait aux cieux.

Et la mienne et la tienne
Verront même clarté,
Même splendeur chrétienne
Et même éternité.

Car c'est la loi suprême,
Qu'un père incosolé
Aille vers ceux qu'il aime
Et qui l'ont appelé.

Car vous pouvez entendre,
La nuit, quand vous dormez,
La voix suave et tendre
De ces anges aimés.

Souvent même ces anges,
Sur nos fronts inclinés,
Ont des appels étranges
Et nous disent: Venez.

Aussi, du fond de l'âme,
Et mon coeur le rêvant,
Je crois comme vous, femme,
Je crois au Dieu vivant.

Si sa grandeur condense
Toute l'éternité
Sa sublime évidence
Rayonne en sa bonté.

"Aux Moqueurs, V" par Jean Gentil (Le Louisianais - 25 aout 1877)

Mais si Pierre l'accuse
D'être un peu libertin,
Gaiement il s'en excuse
Et répond en latin.

Car il sait, mon bonhomme,
La langue de Maro,
Qu'il parle comme à Rome,
Et tanquam Cicero.

Puis il dit: Amo, j'aime:
Car l'amour est vraiment
Le divin, le suprême,
Le haut commandement.

Le reste est bagatelle
Mensonge ou vanité:
La Bible empêche-t-elle
De chanter Crescite?

Dois-je rayer son verbe
Multiplicamini,
Ou, caché dans l'adverbe,
Boire en catimini?

Saint Paul, le grand apôtre,
A dit aux Corinthiens,
Chapitre II, ou l'autre,
Mais pour de vrais chrétiens:

"Il vaut mieux prendre femme
Que brûler, quam uri;"
Et l'on sauve son âme
En devenant mari.

Vivre en célibataire
N'est pas toujours prudent:
Autour du solitaire
Satanas va rôdant.

Sans railler ni médire,
Car il ne le faut pas,
Antoine pourrait dire:
"J'ai fait quatre faux pas.

Si même la plus belle
Eut eu le nez mieux fait,
Aurais-je été rebelle,
Et chaste tout à fait?"

On accuse Hyacinthe
D'avoir contamine
Sa vie honnête et sainte,
Et de s'être damné.

Quel forfait hors nature
Cet homme a-t-il commis,
Et par quelle imposture
S'est-il donc compris?

Comme certains apôtres
Fort mauvais, il n'a point
Pris les femmes des autres:
Et c'est là le grand point.

Il pourra reconnaître
Ses enfants, s'il en a
Et comme moi peut-être
Chanter alléluia.

"Aux Moqueurs, IV" par Jean Gentil (Le Louisianais - 18 aout 1877)

Mais, c'est à l'heure aimée
Des fleurs dans les buissons,
Quand la voix parfumée
D'Avril dit ses chansons,

Quand le printemps provoque,
Par des appels vainqueurs,
La charmante équivoque
Des sexes et des coeurs,

Que notre joyeux drôle,
Arististe consommé,
Joue hardiment son rôle
De chanteur emplumé.

Je l'ai vu dans les branches,
Aux lilas, aux pêchers,
Par fêtes et dimanches
Et...Quels vilains péchés!

J'en rougis quand j'y pense:
Mais lui, vrai scélérat,
Prétend qu'il a dispense
Pour les Et Caetera.

Il dit que la pépie
Est une infirmité,
Mais qu'il n'est point impie
D'aimer la liberté.

Peu triste et pas morose,
Ce sage épicurien,
Affirme que la rose,
Ne fleurit pas pour rien.

Et quand il voit la fraise
Rougir discrètement,
Il la mange à son aise
Et savoureusement.

Le gueux fait une orgie
De chansons et de vers
A la grappe rougie
Qui pend aux pampres verts.

Et son nid sous la feuille,
Pas loin de ma maison,
Tout près d'un chèvrefeuille,
Murmure une oraison.

Car le bonheur suprême,
Et divin, parait-il,
Veut qu'on chante, qu'on aime
Et dise: Ainsi soit-il.

Et le bonheur, o Maitre
Des mondes radieux,
Ne saurait jamais être
Un forfait odieux.

"Aux Moqueurs, III" par Jean Gentil (Le Louisianais - 11 aout 1877)

Eux les Saints! continue-
Le Moqueur en raillant.
Oui, d'spèce cornue
Et de poil très brillant.

Saints de Papimanie!
On connait ces Saints-là,
Et c'est leur litanie
Qu'on dit en tra--la--la.

Tartufe est leur compère,
Basile est leur ami,
Et Molina, leur père,
Confesse en do, ré, mi.

Escobar, leur grand maître,
Ecrivit Summula,
Ce manuel du prêtre
Qu'on lit en clé de La.

Car ils sont sans faiblesse,
Splendides en vertu,
De très haute noblesse...
Et tu---re---lu---tu---tu!

Dans le vin de Bourgogne
Ils ne mettent pas d'eau,
Et chantent sans vergogne,
Do, ré, mi, fa, mi, do!

Les dindes excellentes
Que leur Babet trufia,
Sont vraiment succelentes.
Ut, ré, mi, fa, fa, fa!

Pinçant le nez de Lise,
Ou bien de dona Sol,
Ces bons messieurs d'église
Aiment en mi, fa, sol.

Et moi j'ai le délire
En les voyant ainsi,
Et j'accorde ma lyre
En ut, ré, mi, fa, si.

Et, sans raison ni crime,
Offenbach des buissons,
Je jette au vent ma rime,
Mon air et mes chansons.

"Aux Moqueurs, II" par Jean Gentil (Le Louisianais - 4 août 1877)

Voyez comme il marie
Ses chansons et ses vers,
Surtout comme il varie
Artistement ses airs!

Jamais il ne détonne,
Et son chant glorieux
N'a rien de monotone,
De fade et d'ennuyeux.

Est-ce qu'il se répète,
Et, dans le fond des bois,
N'est-il pas la trompette,
Le tambour, le hautbois,

Le fifre, l'épinette,
Le luth du séraphim,
Clairon et clarinette,
Tout un orchestre enfin?

Et ce moqueur impie,
Etrange original,
Raille le pape Pie,
Le rouge cardinal,

L'évêque au carnail rose,
Souvent même, souvent,
L'abbé noir et morose
Qui nous prêche l'Avent.

Car ce drôle est infâme,
Tout au moins grand vaurien,
Et comme il a pris femme,
Il est épicurien.

Très librement il pense;
Il chante également
A son goût, sans dispense,
Et pour son agrément.

Entre nous, je l'accuse
D'aimer--Crime sans nom,
Et forfait sans excuse!--
Rabelais de Chinon.

Car les panurgeries,
Les mots de francs-gaultiers
Et les gauloiseries
Lui plaisent volontiers.

Il siffle d'abondance
Et merveilleusement,
Avec une impudence
De mauvais garnement,

Ceux de théologie,
Qu'on nomme mategots,
Et ceux d'astrologie,
Qu'il appelle cagots.

Le gueux! Il n'aime guere
Don Basile le saint,
Et même il fait la guerre
Au Père capucin.

--Ces grands saint, mon bonhomme,
Dit-il en vers railleurs,
Sont de grands saints à Rome,
Mais pas du tout ailleurs.

Je connais leur malice
Et leur dévotion,
Même l'eau de mélisse
De leur invention.

Eux des saints! Tu veux rire.
Ut, ré, mi, fa, sol, ut!
Laisse, Veuillot l'écrire,
En do, ré, mi, fa, Zut!

"Aux Moqueurs, I" par Jean Gentil (Le Louisianais - 28 Juillet 1877)

Malgré vos algarades
Et vos faits de pendus.
Moqueurs, mes camarades,
Je vous ai défendus.

Contre les chiens, les hommes,
Les juges, les serpents
Et les petits bonshommes,
Qui sont des sacripants,

J'ai plaidé votre cause
Et bravement lutté.
Excusez si j'en cause;
Mais c'est la vérité.

Le tout sans honoraire,
Et charitablement!
Sans fees on numérative!
Dumez pareillement.

Et sur ces entrefaites,
Grâce à notre souci,
Des lois ont été faites
Par les Solons d'ici.

Votre nid, près de l'homme
Et que la loi défend.
Est libre et sacré comme
Un doux berceau d'enfant.

Vous pouvez à votre aise
Aimer, pendre, railler,
Chanter la marseillaise
Et vous égosiller.

La cage est supprimée,
L'oiseleur confondu,
L'existence affirmée,
Et le chasseur pendu.

La liberté suprême
D'imagination,
De conscience et même,
D'association.

Triomphe enfin. C'est sage
Et juste, Toussenel
A, dans plus d'un passage
Vraiment rationnel,

Et beaucoup mieux qu'un prêtre,
Prouvé suffisamment
Que l'oiseau, petit être,
Est un être charmant,

Et qu'il possède une âme,
Une âme! Pourquoi non?
L'homme jure, sa femme
A des cris de guenon;

Mais l'oiseau dans ses branches,
Et ses arbres aimés,
A des allures franches
Et des chants parfumés.

Et j'aime mieux entendre
Le soir, dans les buissons,
La voix sauve et tendre,
Et les vraies chansons

Des oiseaux adorables,
Ces artistes sans art,
Que les airs misérables
Des filles d'Aleazar.

Quant au moqueur, ce maître
D'orgue et de clavecin,
Il chante mieux qu'un prêtre
Et meme un capucin.

Friday, August 12, 2016

"La Mort" par Jean Gentil (Le Louisianais - 21 Juillet 1877)

A la vigne tordue
Que mon oeil caressait
La grappe suspendue
Doucement mûrissait.

Car mon imprimerie
A, s'ouvrant au soleil,
La verte galerie
D'un pamper au fruit vermeil.

--Que les grappes sont belles!
M'écriais-je, et l'on peut
Bien en compter cent. Elles
Seront rouges sont peu.

Alors bonheur supreme
Et bonheur enfantin!
La marmaille que j'aime
Aura son grand festin.

O joyeuses vendanges
Pour les petits enfants!
Et comme mes cinq anges
Vont être triomphants!

Mais avant qu'on picore
Les raisins adoucis,
Il faut attendre encore
Au moins cinq jours ou six.

Cinq jours, o mes cinq anges,
Sont bien vite passés!
Nous aurons nos vendanges;
Mais soyez moins pressés.--

Moins pressés, pauvre père,
Moins pressés, as-tu dit!
L'homme croit, l'homme espère,
Et cet homme est maudit.

Car la mort, froide et sombre,
Me voyant triumphant,
A posé sa main d'ombre
Sur mon troisième enfant.


"L'empire" par Jean Gentil (Le Louisianais - 14 juillet 1877)

Comme héros de l'épée,
Du sabre, ou spandassin,
--Car il est l'épopée
D'un fleuret d'assassin--

Cassagnac de Gascogne
Crie, hurle, sacre et veut
Que le people se cogne
Pour le fils du neveu.

Il lui faudrait l'empire,
Le reste de Sedan,
Quelque chose de pire,
Si pire est cependant.

Empire, honte infinite
Abaissement profond,
Immense ignominie
Dont nul ne voit le fond!

Mais avant que la France
Rougisse à cet affront,
Pleure à cette souffrance
Et baisse ainsi le front,

Les hautes Pyrénées
Crouleront; l'on verra
Les Alpes étonées
Embrasser l'Ararat.

Ribauds, ribauderies!
Bazaine maréchal,
L'empire aux Tuileries,
Cassagnac senéchal!

Non, non, je vous l'assure:
Cet avilissement
Et cette flétrissure
Sont mensonges vraiment

Paris, la grande ville,
Des indignations,
Ecrasera la vile
Bande des scorpions.

"Saluons l'Empire et Bazaine" par Jean Gentil (Le Louisianais - 7 juin 1887)

C'est bien vrai, nobles maitres,
Et les républicains
Sont d'effroyables reitres
Et d'atroces coquins

Ces âmes scélérates
Sont âmes de maudits,
De forbans, de pirates,
De loups et de bandits.

Veuillot, le doux apotre,
Le dit en se signant,
Et Cassagnac, un autre,
Le jure en trépignant.

Oui, la chose est certaine,
Et ce sont fripouillards,
Communards par centaine,
Arsouilles et braillards.

Ce Thiers, vieillard sinister
Et bourgeois impudent,
Voudrait être minister
Et même président.

Grévy vaut moins peut-être,
Etant un vieux Gaulois
Qui ment et veut paraitre
Un défenseur des lois.

Littré, laid Prométhée
Assis sur un bouquin,
Est un affreux athée
Dans la peau d'un coquina

Pour Gambetta, pécore
Du Forum, basochien,
Il vaut bien moins encore
Et n'est qu'un vilain chien.

Et cet autre qu'on nomme
Hugo le charlatan,
Qui braille des vers comme
Un âne trompetant?

N'ayons que de la haine
Pour ces gueux insoumis;
Mais saluons Bazaine,
L'empire et ses amis.

"La Croix" par Jean Gentil (Le Louisianais - 30 Juin 1877)

Allons, conspire,
Pour l'empire;
T'auras, je crois,
La †

"In limine coeli" par Jean Gentil (Le Louisianais - 30 juin 1877)

Un homme est à la porte,
Pas mal ultramontain:
-- Qui donc ici t'apporte?
Dit saint Pierre en latin.

--La mort! lui répond l'autre
D'un ton d'autorité.
Mais la mort d'un apotre
Et d'une Sainteté.

--Très possible, bonhomme;
Mais si tu ne viens point
Directement de Rome,
Je suis un talapoin.

--J'en arrive à cette heure,
Et je suis fort content
D'entrer dans ta demeure:
Ouvre-moi ce battant.

Car, vieux portier de garde
Et leveur de crochet.
Je veux qu'on me regarde
Autrement qu'au guichet.

--Qu'as-tu fais sur la terre,
Et dis-nous promptement
Tes oeuvres, sans mystère
Et point arrogamment?

--Je t'ai fait une niche
En marbre précieux ,
Avec une corniche
Riment. Mais autrement?

Car je n'ai pas , mon maître,
Besoin absolument
D'une niche d'un mètre,
Ou d'un appartement.

Mais les pauvres, ces ombres
Tristes de la Cité,
Les as tu faits moins sombres
Avec la charité?

--Les pauvres, mon bonhomme,
M'ont donné tant et tant.
Des monts d'or, une somme
Merveilleuse.--Va-t'en!





"Loyal Soldat" par Jean Gentil (Le Louisianais - 23 juin 1877

La bande s'est groupée,
Comme un troupeau craintif,
Autour de son épée
De vieux soldat rétif.

Ils la disent loyale,
Ils le disent Bayard:
Elle est plutôt royale
Et lui plutôt soudard.

Car ils sont, ce me semble,
En toute vérité,
Ceux que la peur rassemble,
Et non la loyauté.

Car le pacte, qui lie
De Meaux, monsieur Fourtou
Et le duc de Broglie,
Est superbe et dit tout.

C'est le passé, la haine
Ne voulant pas finir,
Et le nuit souveraine,
Faite sur l'avenir.

C'est l'aristocratie
Des colombiers caducs,
Et qu'en démocratie
On appelle les ducs.

C'est encore l'empire
De Metz et de Sedan,
Ou même chose pire,
Pire cependant!

Enfin, c'est Rome sombre,
Niant la liberté
Et couvrant de son ombre
Le vieux monde hébété.

A coup sûr, ils sont bande
De sinistres menteurs,
Et gens de contrebande,
Et noirs conspirateurs.

Or si, ce gentilhomme,
Ce Bayard tant vanté,
Leur sourit, est leur homme,
Leur sabre de côté,

Sous peu l'on pourra dire,
Dans le conflit royal,
Ce que vaut, sans médire,
Le vieux soldat loyal.

"Cherchons les pauvres" par Jean Gentil (Le Louisianais - 16 juin 1877)

Buvez, mangez, mes maitres,
Etant riches, puissants,
Joyeux vivants, grand pretres
Et tout resplendissants.

Car la philosophie
N'exige aucunement,
Que l'on se mortitie
Et jeûne horriblement.

Une dinde bien grasse,
Tendre, truffée à point,
Ne nuit pas à la Grace
Et ne nous damne point.

Pour le vin, douce flame
Et douce ébriété,
Il nous réchauffé l'âme
Dans la joyeuseté.

Car le vin est suprême,
Et surtout le bon vin,
Et Rabelais lui-même
L'a déclaré divin.

Mais si vos jours de fêtes
Sont des jours glorieux,
Et si vraiment vous êtes
Des hommes très pieux,

Allez un peu dans l'ombre
Du pauvre, où le petit
Enfant a le front sombre
Et très grand appétit,

Où bien souvent la mère,
Voyant son sein tari,
Désespérée, amère,
En frissonnant sourit,

Où l'on souffre, où l'on pleure,
Où le temps douloureux
Parait allonger l'heure,
Au pauvre malheureux,

Où l'on maudit peut-être
Le riche, le puissant,
Le pontife, le maître
Et le resplendissant.

Car il faut, dans cette ombre
Et cette obscurité,
A des douleurs sans nombre
Porter la charité.



"Apparition" par Jean Gentil (Le Louisianais - 9 juin 1877)

C'était le soir, à l'heure
Où le bon paysan
Regagne se demeure
D'un pas lourd et pesant.

Et c'était en Vendée,
Au Bocage, je crois.
Où la route est bordée
De buissons et de croix.

Beau pays de miracles
Et de devotions,
De merles noirs, d'oracles
Et d'apparitions!

Or Margot, la filleule
Du fermier Jean Boitard,
Qui s'en revenait seule
A la ferme, un peu tard,

Vit--la chose est bien vraie,
Et j'en lève la main--
A deux pas de la haie
Qui longe le chemin,

Sur un grand poirier sombre
Par le vent balancé,
Comme une espèce d'ombre
Au jupon retroussé.

C'était, c'était peut-être....
Pourquoi pas? Pourquoi non?
L'ange, l'esprit ou l'être
Qui ne dit pas son nom.

--Ce ne sont point chimères,
Affirment sans façon
Les honnêtes commères,
Et Margot a raison!

Quant au vieux Rince-Verte,
Egalement bedeau,
Il dit d'un air sévère:
C'est itou mon credo.

--Cependant c'est étrange,
A grommelé Boitard,
Et je ne sais qui mange
Mes portes sur le tard.


"Il s'est reconnu!" par Jean Gentil (Le Louisianais - 26 mai 1877)

Ainsi, par badinage,
Sans chercher à viser
Tel ou tel personnage,
Mais pour nous amuser,

Et sans la moindre haine,
Tel était notre chant
Joyeux de la semaine,
Joyeux mais pas méchant.

Nous aimons la rimaille!
Et nous savons encor
Que ce n'est que limaille
De vieux fer et non d'or.

Mais cela nous amuse,
Et si nous n'avons pas
Une superbe Muse
Qui fait de nobles pas,

Nous adorons Musette,
Fille au rire charmant,
Qui connait l'amusette,
Mais honnête vraiment.

Adonc, quand ce brave homme
A l'esprit de travers,
A l'oeil tourné vers Rome,
A vu nos petits vers,

Il s'est gratté l'oreille,
A dit en ingénu:
Mais la tête est pareille!...
Il s'était reconnu.

"Nous croyons tous" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 mai 1877)

L'homme est libre, et chaque homme
A sa foi, son credo:
Ceux du Signor de Rome
Oa bien ceux du bedeau.

Mais nul n'a droit, je pense,
De railler son cousin,
Ou même, par dispense,
De manger son voisin.

Mais si la raillerie
Vous convient quelque peu,
Permettez que rie
Aussi comme je peux.

Et s'il faut qu'on se mange
Pour tricorne ou burnous,
Pour un mot qui démange
Et gratte, mangeons-nous.

Mais j'affirme que l'homme
A droit assurément
De chanter comme à Rome,
Voire meme autrement.

Prêche ou prône, ce semble,
Est une liberté:
Le lieu qui nous rassemble
Est un lieu respecté.

Et quand la cloche sonne,
Je puis vers elle aller;
Mais je crois que personne
N'a droit de me brûler.

Me brûler! Je crois même
Qu'un vieux libre-peuseur
Peut aimer comme il aime,
Et cela sans noirceur.

Nul homme n'est impie,
Et votre cécité
Ou votre myopie
N'est crime, en vérité.

Bienheureux le presbyte!
Voilà tout. Mais je dis
Que l'oeil dans son orbite
Ne fais pas les maudits.

Après tout, bien chers hommes,
Amis ou autrement,
Nous sommes qui nous sommes
Et pas différemment.

Et je dis que nul être,
Chrétien ou musulman,
Libre-penseur ou prêtre,
Ne nie imprudemment.

Dieu rayonne, est immense.
Est Dieu pour tous, n'a point,
D'ennemis en démence
Qui lui montrent le poing.

La splendeur éternelle,
Insensible aux affronts,
Frappe toute prunelle
Et courbe tous les fronts.

Le pâtre et le genie,
L'un grand et l'autre non,
Pour la même harmonie
Chantent le même non.

Et les hauts Prométhées
Chercheurs audacieux,
Ne sont pas des athées,
Seigneur, devant tes cieux.

Que si, dans la vallée,
Un pâtre de douze ans
A vu ta forme ailée,
O femme à jupons blancs,

Permettez que je voie
Un Dieu plus solennel,
Plus divin, dans la voie
Du Grand Maître éternel.




"Il Gallo" par Jean Gentil (12 mai 1877)

Ainsi donc ce brave homme,
Etant reconnaissant
Comme on doit l'être à Rome
Pour qui donne son sang

A la Rome des pretres,
A dit au lendemain
Du triompher des reîtres,
En langage romain:

"Le Gallo, coq sans crête,
Déplumé comme il faut,
D'allure plus discrète,
Chantera bien moins haut."

Merci, très vénérable
Et très reconnaissant
Roi, pour le misérable
Qui t'a donné son sang.

Merci. Cela doit être.
Et Pierre, en vérité,
A reconnu son Maitre,
Quand le coq a chanté.

Mais quand le coq, brave homme,
Il Gallo, chantera,
Sera-ce bien pour Rome,
Le pape et coetera?

Le Gaulois est trop sage,
Trop las des vieux rébus,
Pour chanter un passage
Sur l'air du Syllabus.

Et ton clairon, o France,
Sonnera bravement
Ton chant, ta délivrance
Et l'affranchement.

Et ce clairon superbe,
Au redoubtable écho,
Fera crouler dans l'herbe
Les murs de Jéricho.

"Il m'était connu" par Jean Gentil (Le Louisianais - 5 mai 1877)

A nous aussi, cher homme,
Et connu trait pour trait.
Sans qu'il nous faille à Rome
Aller voir son portrait.

A quoi bon? inutile.
Et ce type charmant,
En tout pays fertile,
Fleurit superbement.

On le trouve, ce semble,
Dans le moindre hameau,
Et plus d'un lui ressemble;
Qui n'est pas un grimaud.

Il a progéniture
Partout, dans chaque lieu,
Et pousse d'aventure
Hélas! en tout milieu.

Veuillot, le très saint homme
Dans la Grace endormi,
Le connait et le nomme
Tendrement son ami.

Il est--chose évidente--
Parfaitement connu,
Et je crois que le Dante
Jadis le vit tout nu.

Où donc?-- Parmi les autres,
Avec les indulgents,
Les saints, les bons apotres
Et les honnetes gens.

S'il est connu!.. Sa mine
Benoite à la façon
Saint dont il rumine
Son étrange chanson,

Comme aussi le mélange
Etonnant, singulier,
De vierge, d'homme et d'ange,
Qu'à ce particulier,

Disent assez, je pense,
Ses vertus de renom,
Pour que l'on se dispense
De demander son nom,

Et de voir, par les oeuvres,
Si ses nobles desseins
Ont connu les épreuves
Qui font les nombles saints.

Il est la temperance,
Il est la chastété,
Il n'a pas l'odeur rance
Du lard, en vérité.

Il sent bon, ce brave homme:
Il sent l'oeillet, le thym,
Le lis, la myrrhe et Rome,
Et parle bien latin.

Il connait la science
A fond, est un lettré
De grande sapience:
Il enfonce Littré.

Hugo n'est pas son maître,
Et cet horrible Hugo
Pour lui ne saurait être
Qu'un vilain Ostrogoth.

Quant à l'affreux Voltaire,
Par les siens tant maudit,
En horreur à la terre,
Il l'appelle bandit.

Mais il donne une note
Excellente à Lefranc,
A son cousin Nonotte,
Qu'il met au premier rang.

S'il est connu!... Molière,
Un Gaulois très malin,
A mis dans sa volière
Cet oiseau papalin,

Ce Tartufe adorable,
Si doux, si gracieux,
En tous points admirable
Et créé pour les cieux.


Saturday, August 6, 2016

"Plus de Rimes." par Jean Gentil (Le Mechacébé - 23 juin 1888)

Non, non, non, plus de rimes!
Et j'en ai trop commis
De forfaits et de crimes
En rimant, mes amis.

Depuis cinquante années,
Commençant à douze ans,
Que j'en ai donc sonnées
De sottises aux vents!

Mais les vents de la terre,
Emportant, Dieu merci,
Dans leur vol salutaire,
Rime et rimeur aussi,

Un vers, fût-il sublime,
Fût-il un jet puissant,
N'ayant rien de la lime
Qui grince en polissant,

Peut-il, o Madeleine,
Eu sa sublimité,
Valoir le bas de laine
Que tu m'as tricoté?

Et le plus beau poème,
En trois ou quatre chants,
Vaut-il ton grain qu'on sème,
Maïs d'or, en nos champs?

Une ode mirifique
Au vers très bien file
Veut-elle un magnifique
Chou cuit dans du salé?

Des vers, quelle sottise,
Quel triste amusement,
Quelle fainéantiste,
Et quel désoeuvrement!

Vraiment l'on devrait pendre
Les paresseux qui font
Le métier de dépendre
Les rimes du plafond.

Par mesure publique
Platon interdisait
Les vers de la République,
Et Platon bien faisait.

Or, amis bénévoles,
Plus de vers, plus de chant,
Plus de rimes frivoles!
L'herbe envahit mon champ.

"Esperance et Souvenir" par Jean Gentil (Le Louisianais - 28 avril 1877)

Est-ce que le printemps, Rose,
      Le printemps qui sourit,
      Qui chante et qui fleurit,
Le printemps qui sent la rose,
      Qui sème ses chansons
      Et ses fleurs aux buissons,
Le printemps des chèvrefeuilles,
      Des lilas embaumés
      Et des oiseaux aimés
Qui font leurs nids dans les feuilles,
      Ne te dit rien? Mais il
      Est charmant comme Avril
Ou Mai, dont les fleurs sont blanches.
      Et l'on entend par ci,
      Par là, partout ici,
De doux baisers dans les branches.
      Et les chuchotements,
      Et les gazouillements,
Et les tant joyeux murmures
      D'un petit monde ailé,
      Bruyant, ensorcelé,
Qui se poursuit aux ramures!
      Pourquoi ce remnement
      Et ce frissonnement?
Quel éveil! C'est que la terre
      Rajeunie et les cieux,
      Dans l'amour radieux,
Accomplissent un mystère.
-----:o:-----
Rose, belle d'ignorance,
      M'a répondu: J'entends
      Les chansons du printemps,
Et mon coeur dit Espérance

----II---
Et toi, bonne et douce aieule,
      Grand'mère, aux cheveux blancs,
      Qui causes toute seule,
      Et dont les par temblants

Ont besoin du bras de Rose,
      Est-ce que le printemps
      N'a qu'un vieil air morose
      Pour tes longs soixante ans?

Grand'mère, par ta fenetre
      Ouverte sur les champs,
      Il vient, du ciel peut-être,
      Des rayons et des chants.

Et, certes, tu dois entendre
      Tout près, aux lilas verts,
      Une voix douce et tendre
      Qui gazouille des vers.

Et Rose, Rose elle-meme,
      Auprès des églantiers
      En fleurs, rêve qu'on l'aime,
      Et le croit volontiers.

Bien plus, bonne et douce aieule,
      J'entends comme des pas,
      Et Rose n'est plus seule...
      Mais ne le disons pas.

----:o:----
Et la vieille grand'mère,
      Sans me laisser finir,
      M'a répondu: Chimère,
      Ou plutôt Souvenir.

Monday, July 11, 2016

"L'avenir de la langue française en Louisiane" (26 juillet 1879)

"L'avenir de la langue française en Louisiane" est une article qui était publié dans "Le Pionnier de l'Assomption" le 26 Juillet 1879 à Napoléonville.  L'auteur, François Tujague, est né en France en 1836, mais il a déménagé en Louisiane à l'age de 5 ans. Il est devenu le préident de l'Union Française et le vice-président de l'Athéné Louisianais.


Grâce aux récentes ordonnances adoptées par la Convention, l'avenir de la langue française en Louisiane est désormais entre les mains de ses amis.

Pour nous franco-louisianais, la question se pose nettement: Voulions-nous faire revivre parmi nous, voulons-nous faire enseigner à nos enfants cette langue que nous tenons à nos pères? Voulons-nous enrayer le mouvement qui l'enlevait graduellement de nos foyers, de nos mœurs, de nos habitudes, et qui l'emportait vers les oubliettes du passé?

Voilà la question. L'occassion est propice. Nous avions déjà, pour plaider notre cause, la tradition, un long usage, le nombre imposant des habitants de langue française.... Nous aurons désormais plus que cela: nous aurons le droit écrit, la loi inscrite dans la Constitution de l'Etat.

Mais ce droit, cette loi resteront lettres mortes si, le moment venu, nous n'en reclamons pas l'exécution.

Et qu'on ne suppose point que nous mettions en doute le bon vouloir de nos autorités. Nous saisisons même avec empressement, avec joie, cette occassion d'offrir à nos concitoyens de langue anglaise qui font partie de la Convention, l'expression de notre vive reconnaissance. Ils ont, dans le cours des débats , montré pour notre langue une bienveillance, nous dirons plus, un respect qui est pour nous une consolation et un espoir.

Mais, ne l'oublions pas, la Convention n'impose point aux autorités de l'Etat l'exécution des mesures adoptées en feveur de la langue française: elle autorise simplement les futures législatures à les mettre en pratique.

"Les études pourront, dit-elle, avoir lieu, sans autre frais, en langue française..."... "La législature pourra pouvoir à la publication des lois en français..." C'est une tolérance, ce n'est point un ordre. C'est à nous de faire d'une promesse une réalité. Le voudrons-nous? Assurément! Mais il faut le vouloir résolument, absolument, unanimement; il faut le vouloir et, quand l'heure aura sonné, agir avec énergie.

La population créole, cette population si richement douée, après une éclipse produite par une série de désastres, reprend, dans la direction, des affaires publiques, le rang qui lui appartient doublement, et par droit de naissance et par droit de conquête. Nous voyons à la Convention des juristes de distinction et des orateurs écoutés qui portent des noms français, nous en verrons, sans nul doute, à la prochaine législature.

Voilà nos mandataires et nos défenseurs; voilà les avocats de notre cause que nous appellerons sacrée, parce qu'elle touche à tout ce que nous aimons, à tout ce que nous respectons,--à la mémoire de nos aïeux, aux joies de la famille, au bien-être future de nos enfants, --au passé, au present et à l'avenir.

Mais tout madataire, fidèle à sa mission, s'inspire de la pensée de ceux qu'il représente. S'il n'adopte pas sans réserve le mandat impératif qui ne laisse à son jugement aucune initiative, il s'attache néanmoins à refléter, dans ses paroles et dans ses actes, les vues de ceux qui, en lui accordant leurs suffrages, lui imposés cette promesse explicite ou tout au moins, sous entendue. Il en est qui l'oublient.

C'est donc à nous d'exprimer hautement notre volonté; c'est à nous de tracer à nos représentants la ligne à suivre, de leur faire, de leure faire entendre qu'ils aient à réclamer, au nom de leurs constituants, l'application de la loi.

Mais les Louisianais, si nous en croyons certains esprits chagrins, ne seraient peut-être pas unanimes à demander l'exécution des nouvelles ordonnances.

C'est là certainement une erreur.

On aura pris pour de l'apathie le découragement qui s'était emparé, sous l'oppresion radicale, des vieilles populations louisianaises. Nous croyons que leur indifférence n'était, au fond, que de la resignation.

L'on comprend, d'ailleurs, qu'en presence d'un pouvoir hostile, mais légale, les Créoles aient cru devoir se renfermer dans une réserve, dans un silence, qui ne manqueaient pas de dignité. Mais aujourd'hui qui le droit écrit s'ajoute à l'équité de leur cause, aujourd'hui que leur voix, dans une certaine mesure, a reconquis son ancienne influence, nous ler verrons certainement revendiquer pour leurs enfants un privilège dont l'importance ne saurait leur échapper.

Un Américain de beaucoup d'intelligence, M. Sutherlin, disait récemment à la Convention "que loin de vouloir proscrire le français en Louisiane, il voudrait s'y encourager, l'y répandre; qu'il donnerait tout au monde pour le parler et l'écrire..." Et cette declaration, prononcée avec chaleur, a trouvé parmi nos concitoyens de langue anglaise, des échos sympathiques.

Quoi d'étonnant, d'ailleurs, à cela?

Tout homme intelligent, un peu au fait des choses, désire connaître le français; il désire se familiariser avec la langue d'un pays qui tient, -- qui a toujours tenu, -- dans le mouvement scientifiqu, littéraire, politique, -- dans la marche de la civilisation moderne, en un mot, une place considérable.

Et que cet homme, soit littérateur, magistrat, négociant, ou simple ouvrier,-- cet homme, s'il a les facultés tant soit peu développées, sent l'utilité dans toutes les carrières de cet idiome si répandu ici et si recherché dans tout pays où on lit, où l'on pense, où l'on entre pour quelque chose dans le courant industriel. commercial ou intellectuel.

Cet homme, enfin, s'il ne connaît qu'une langue, -- fut-ce l'anglais,-- sait qu'il est, scientifiquement et commercialement, l'inférieur de celui qui en possède deux, et il doit désirer faire disparaître cette cause d'infériorité.

En Louisiane, la génération nouvelle, celle qui a grandi pendant la période radicale, s'est, jusqu'à certain point, déshabituée du français. C'est regrettable, mais le mal n'est pas sans remède.

La langue française, exilée par ses ennemis des écoles graduites de l'Etat, n'a plus été à la portée des bourses appauvries, sinon vidées, par la guerre civile et ses désastreuses conséquences. Les enfants à qui l'on n'enseignait que l'anglais, se sont habitués à ne parler que cette langue, et cette habitude contractée à l'école, ils l'ont conservée dans leur relations entre eux et même sous le toit paternel. Les parents, eux-mêmes, dans bon nombre en cas, ont cédé au mouvement, et c'est ainsi que dans certaines familles françaises par le nom l'origine, l'anglais est devenu la langue du foyer.

Eh! bien, nous croyons le moment venu de réagir contre cette tendance à délaisser comme une étrangère une langue que nous avons appris à bégayer sur les genoux de nos mères. Nous croyons l'heure venue de lui rendre au foyer, dans nos coeurs et dans l'instruction de nos enfants, la place qui lui revient légitimement.

Pour ceux d'entre nous qui habitent les régions de l'Etat où domine l'élément franco-louisianais, il n'y aura plus désormais, nous ne disons pas de raison, mais même de prétexte, pour négliger de faire enseigner à leurs enfants le français.

Et le père, pénétré de l'excellence et de l'utilité de cet idiome, pourra tenir à son fils ce langage;

-- Grâce à la loi nouvelle, mes ressources, quoique très limitées, ne m'empecheront plus de te faire apprendre, en même temps que l'anglais, cette langue que nous avons tous, de père en fils, parlé avec amour... Maintenant, cela ne me coûtera pas dadvantage.

Il te sera, d'ailleurs, toujours très utile de connaître le français.

Si tu es appelé à voyager, si tu dois aller à Paris, où tu iras certainement si tu visite l'Europe, car Paris est l'objectif séduisant, l'aimant qui attire à lui irrésistiblement les voyageurs instruits des deux mondes, si tu dois aller à Paris, dis-je, il serait tout simplement ridicule que, portant un nom français, élevé dans une ancienne colonie française, la langue française te fut inconnue.

Tandis, qu'en te familiarisant avec cette langue, et te penetrant de ses secrets, de ses beautés, tu pourras peut-être, à l'example de beaucoup de Louisianais, faire à Paris ton chemin et même, qui sais-je! figurer, comme certains de tes compatriotes, parmi les esprits distingués, parmi les écrivains populaires de la grande capitale.

Mais dusses-tu ne jamais quitter ton pays, l'utilité du français serait encore incontestable.

Ici, où l'on parvient à tout, tu peux devenir professeur, médecin, avocat et même juge.

Juge, tu pourras, comme on l'a dit avec raison, éclairer ta conscience, en allant puiser à la source la vérité sur le droit public en Louisiane, car c'est du Code Napoléon qu'il nous vient.

Avocat, tu saisiras mieux le sens des lois en les étudiant dans le texte, et tu les interprèteras avec plus de science et d'autorité.

Médecin, ta connaisance du français te vaudra la préférence des malades qui, ne pratiquant que cette langue, veulent avant tout comprendre leur médecin et être compris de lui; et cette considération n'est pas de moins importantes, lorsqu'on réfléchit au nombre très grands de résidents de la Louisiane, qui ne parlent point, ou qui ne parlent qu'imparfaitement l'anglais.

Professeur, tu auras sur tes confrères anglo-saxons l'avantage de pouvoir enseigner les deux langues du pays, avantage désormais précieux et qui, grâce à la loi nouvelle, ouvrira à ceux qui le possèderont des horizons nouveaux, des perspectives sérieuses de succès.

Mais peut-être seras-tu homme de loisir et d'étude; ce que je te souhaite, et dans ce cas, je ne dois pas dérober à ta vie le plaisir le plus doux peut-être, mais à coup sûr le plus intelligent, celui de pouvoir lire sans interprète et savourer à tes heures les chefs-d'oeuvre de cette littérature française qui jette dans le monde un si grand rayonnement.

Mais si mes rêves de prospérité pour toi ne doivent point se réaliser, si tu dois rester humble ouvrier ou simple employé de commerce, si tu dois demander à l'âpre labeur de chaque jour le pain de ta famille, alors mon devoir de père me fait une loi de te mettre en mesure de gagner ta vie, d'enrichir ton bagage de tous les éléments de réussite qui rentrent dans mes moyens, de t'armer, en un mot, de toutes pièces, pour la lutte du prolétaire.

Or, en Louisiane, où le français est la langue maternelle d'un tiers de la population, cet idiome, pour le travailleur qui a besoin de tout le monde, me parait d'une utilité indiscutable. L'expérience de tous les jours nous le démontre, l'observation la plus superficielle le rend palpable.

Le patron, dans ses rapports avec l'ouvrier qu'il emploie, aime à se servir de son idiome habituel; il ne s'impose qu'à regret la contrainte d'une autre langue.

Le négociant, en quête de commis, donne la preférénce à celui qui, touts choses égales d'ailleurs, peut, en parlant la langue des acheteurs, conquérir leurs bonnes grâces et développer les transactions.

En passant en revue nos plus grands magasins, ceux où l'employé est le plus largement rétribué, ceux où il touche parfois un traitement de ministre, on remarque que la majeure partie des vendeurs se compose de jeunes gens parlant avec une égale facilité l'anglais et le français; et en cherchant la raison de ce fait, je découvre que c'est précisément à leur connaissance des deux langues que ces jeunes gens doivent leur bonne fortune.

Ceci n'est-il point concluant?

En résumé, l'usage du français peut être utile, comme tu le vois, dans toutes les carrières et dans toutes les situations de fortune. Je ne dois pas t'en priver, puisque désormais ma pauvreté ne sera plus un obstacle...

-- Le père, disons-nous, dois tenir ce langage à ces fils.... et agir en conséquence.
Et nous éloignerons ainsi le jour où nos enfants ne saurons plus lire aux cimitières les inscriptions françaises gravées sur les tombes de leurs aieux.




Thursday, July 7, 2016

"Regret et espérance" de Théophile Dutreix (Le Meschacébé - 5 octobre 1861)

Je t'aime, o Liberté, vierge sainte et féconde,
Et de mon coeur ardent qui pourrait t'arracher!
Toi qui dans l'avenir promets la paix du monde,
A toi, toujours à toi je saurai m'attacher!

Ah! qu'il était joyeux, ton genie, Amérique,
Il répandait sur toi le progrès, ses trésors;
Les tyrans enviaient la grande république;
Le travail sur son sein produisait sans efforts.

Les peuples étrangers volaient vers sa lumière;
Ses généreuses mains leur offraient ses secours.
Qui jamais suprès d'elle eut connu la misère,
Et quelle mère aux siens prodigua plus d'amours!

Auprès de toi que fut cette Lacédémone?
Une ville orgueilleuse, au peuple de soldats.
Chez nous, o Liberté, pour sauver ta couronne,
Combien de Termopyles, de Leonidas!

Un nom, un nom chéri vit dans notre mémoire;
Dieu lui fit dépasser et César et Caton.
O genie immortel, toi dont la pure gloire
Brille dans l'Union, salut o Washington!

Je t'aime, o Liberté, vierge sainte et féconde,
Et de mon coeur ardent qui pourrait t'arracher!
Toi qui dans l'avenir promets la paix du monde,
A toi, toujours à toi je saurai m'attacher!
..........................................................................

Mais quell est donc ce bruit et ce timbre sonore?
Le tambour, le canon retentiraient encore!
..........................................................................

Qu'ai-je entendu? Le tocsin sonne,
Les peuples tremblent de fureur.
Le tambour bat, le canon tonne,
Je suis saisi d'effroi, d'horreur .
Partout, partout, des cris d'alarmes,
Chacun s'élance et prend les armes;
Loin de nous s'envole la paix.
Comme la vague mugissante,
Le bruit redouble, ou s'épouvante...
Courons, volons, mort aux Anglais!

Dans les cités, dans la campagnes,
A genoux, nos chères compagnes
Invoquent le nom du Seigneur.
Grand Dieu! ces apprêts formidables,
Ce fer, ces canons redoutables,
Ne sont pas contre l'étranger!
Non! l'homme armé de son tonnerre,
L'oeil en courroux, cherche son frère,
Et tous les deux vont s'égorger!

Pleure, pleure, vierge immortelle,
Pour nous ton règne va finir.
En proie à la guerre cruelle
Hélas! qu'allons-nous devenir?
La mort sera notre partage;
Le vol, le meurtre et le pillage
Hurlent partout au premier rang.
Une soldatesque effrénée,
Et dans le crime prosternée,
Se relève, rouge de sang!

....................................................

Quand au souffle du Nord la bruyante rafale
Du sapin séculaire ébranle les rameaux,
Et quand les monts géants la brise glaciale
Renverse les tombeaux;

Quand les nuages noirs en masses s'amoncellent,
Quand les vents en fureur sifflent à l'horizon,
Quand la foudre au loin gronde et l'éclair étincellent,
Quand brulé la moisson;

Ainsi par le fléau de la guerre est ternie
La sainte Liberté; tout tombe sans remord,
On entend bourdonner une étrange harmonie,
Musique de la mort.
...............................................................

O mortels insensés,
Qui cachiez vos pensers
Sous des voix de Stentor,
Honte sur vous! Avides,
Vous n'eutes d'autres guides
Que l'appât d'un peu d'or.

Ah! que dans la mémoire,
Dans l'immortelle histoire,
Vos noms soient marqués là
D'une tache livide,
Duumvirat cupide
De Néron, de Sylla!
...................................................................

Voici que la nuit sombre a déployé ses voiles.
Quel est cet inconnu révérant nos étoiles?
Il souleva la terre et le marbre, dit-on,
Et l'on vit, o terreur! une ombre palpitante
Tressaillir de douleur, de crainte et d'épouvante,
L'ombre de Washington

Mais le tambour battait
Et l'inconnu pleurait...

L'aigle reprit son vol, ouvrit sa large serre,
Et du nord au Midi dans le sang de son frère
Il marqua son chemin.
Le coeur noirci, d'orgueil, il perdit la mémoire
Et pour quelques dollars déchira son histoire,
Un mousquet à la main.

Sous son souffle empesté, partout le fer moissonne,
Impitoyable sort! Et l'airain qui résonne
Sème, sème le deuil.
Les corps couvrent  les corps, le sang rougit la plaine,
Le râle des mourants au bruit du fer s'enchaine,
O le triste coup d'oeil.
........................................................................

Mais le tambour battait
Et l'inconnu pleurait....

Et puis, toujours pleurant, il déploya ses ailes
Et monta dans l'espace, et loin de nos querelles
Eteignit son flambeau.
"Rive, o peuple insensé, ta despotique chain!"
Il dit, et tristement la liberté romaine,
Descendit au tombeau.

Il volait, il volait, et sans laisser sa trace,
Quand un corps éthéré vint à travers l'espace,
Et le ciel s'entr'ouvrit.
Génie, incline-toi! La voix harmonieuse
Retentit dans les airs, grande, majestueuse ,
Elle parle, elle dit:
....................................................................

................................Et puis tout fait silence!
Un parfum d'ambroisie en un nuage immense
Sé répand en ce lieu.
Et le front rayonnant, le fantôme se lève,
S'envole et vient planer sur le Sud et l'élève
Par les orders de Dieu.

O pays adore, que crains-tu? La tempête
S'éloignera bientôt . Vois déjà sur ta tête
Resplendir la clarté.
Déjà tes ennemis proclament ta victoire,
L'avenir est à nous, car sur toi veillent Gloire,
Génie et Liberté!

Je t'aime, o Liberté, vierge sainte et féconde,
Et de mon coeur ardent qui pourrait t'arracher?
Toi qui dans l'avenir promets la paix du monde,
A toi, toujours à toi, je saurai m'attacher!









"Sur La Mort De Monseigneur Janssens" de G. Gay (La Sentinelle de Thibodaux - 26 juin 1897)

Ils sont en deuil, les catholiques;
Les églises sonnent des glas:
De noir, on tente les portique,
De qui pleure-t-on le trépas?

Cet archevêque remarquable
Que toute notre ville aimait,
L'affreuse mort impitoyable
Hélas! l'autre jour le fauchait!

Il s'en allait plein d'espérance
Revoir son cher pays natal
Ayant peut-être l'assurance
Qu'il y guérirait de son mal.

Il revint entouré de glace,
Les membres raidis par la mort,
Conservant encore sur la face
Ce doux air qui plaisait si fort.

Son éloge n'est pas à faire;
Chacun le connut comme moi,
Pour tous, il fut toujours un père;
Car la bonté, c'était sa loi.

Sa mort à sa vie est semblable;
Elles sont belles toutes deux.
Aussi, ce pasteur charitable
Là-haut doit être bien heureux!

C'est dans sa seconde patrie
Que pour toujours il dormira,
Et sa mémoire tant chérie,
Ici, longtemps, se gardera.

Tuesday, July 5, 2016

"Zola" par Jean Gentil (Le Meschacébé - 16 juin 1888)

Zola, j'ai lu ton livre,
Et j'ai cru, le lisant,
Que tu devrais être ivre
Ou soûl en le faisant.

Je te savais grand maître
En fait de saleté,
Ayant pour façon d'être
Toute malpropreté...

Notre siècle défie,
Du reste, la pudeur,
Et la pornographie
Lui semble une splendeur.

Mais la sale Nature
Où, Zola, des deux mains,
Tu prends la pourriture
Des documents humains,

Est donc inépuisable
Dans ses infections,
Puante et méprisable
Dans ses creations?...

Et, ténébreux archange,
N'aurais-tu donc des yeux
D'amour que pour le fange
Rayonnant sous les cieux?

Au parfum de rose
Qu'un baiser sait ouvrir
Tu préfères la prose
Que le chat sait couvrir.

N'aurais-tu donc, o Maître,
O merveilleux Zola!
Par goût ou façon d'être,
Du nez que pour cela?

Et crois-tu qu'il soit sage,
Dans tes romans punais,
De mettre à tout passage
Ton nom que je connais?

Au demeurant, ta prose,
Bien que ne sentant point
Les parfums de la rose,
S'embrène au plus haut point.

Car ta Nana pourrie,
Dont les chiens ont dégoût
Malgré leur gueuserie,
N'est pas un fond d'égout.

Et Terre, boue infâme
Où la nature n'a
Point de coeur et point d'âme,
A fait rougir Nana.


"La Femme" par Jean Gentil (Le Meschacébé - 9 juin 1888)

Je crois bien, sur mon âme!
Que la Bible a raison...
Et quiconque déclame
Contre elle est un oison.

Car si, d'un peu de terre,
Après avoir songé,
Dieu créa l'homme aptère,
L'homme a bien peu change.

Bien peu! Pourtant la boue,
Dans un sol trop mouillé,
Change la terre en boue,
O vieil Adam souillé!

Quoi qu'il en soit, le Maître,
Après avoir pétri,
L'homme, le nouvel être,
Cet animal qui rit,

Le Maître eut un beau rêve
Et le réalisa
Dans la blancheur d'une Eve
Qu'il emparadisa.

Et ce fut de la côte
D'Adam que Dieu tira
La femme un peu moins haute
Que l'homme, et caetera.

Aussi, tout fils d'Espagne,
Etant bon hildago,
Appelle sa compagne
Su costa, Sic ego.

Mais si l'homme lui-même,
Singulier animal,
Est un obscure problème
A vous donner du mal,

Que dire de la femme,
O Mulier! et comment
Analyser ton âme
Au moins passablement?

Car un savant Concile,
Sur le cas anima,
-- Un cas très difficile --
A Clarmont, s'exprima.

Et l'âme suspectée,
Mise en doute un instant,
Fut bel et bien votée
En latin, ça s'entend.

Et c'est juste, madame.
Pourtant Salerne a dit:
"Mulier est en fait d'âme
Quod"... Propos bien hardi!

Pour moi, je n'en veux dire
Que le bien que j'en sais,
Et je laisse médire
Quiconque est peu Français.

La femme a damné l'homme,
Je n'en disconviens pas,
Pour une simple pomme
A leur frugal repas.

Mais ils l'ont partagée,
Et, dans ce grand malheur,
La morale outragée
A connu le bonheur.




"L'Homme" par Jean Gentil (Le Meschacébé - 2 juin 1888)

Qu'est-ce que c'est que l'Homme,
L'Anthropos grec, l'Homo
Des Latins, et qu'on nomme
Quelquefois un marmot?...

Le marmot, chère dame,
Est un singe, très laid,
Très gros, n'ayant point, d'âme,
Candatus et complet.

Littré le philologue,
Et le penseur hardi,
Avant son épilogue,
Le crut et nous l'a dit.

Mais oui, qu'est-ce que l'Homme,
Et qui donc, l'ayant pris
Dans le Deutéronome
Ou Platon, l'a compris?...

Qui donc, voyant sur terre
Ce singulier museau,
Ce singulier mystère,
Ne s'est dit: Quel oiseau!

Se comprend-il lui-même,
Et, depuis vingt mille ans,
N'est-il pas un problème
D'ombre pour les savants?

Pourtant ce n'est pas faute
De l'avoir défini
Avec sa mine haute
Et son front dégarni.

Car le poète Ovide
Ainsi s'est exprimé
Dans son grand vers très vide
Et creux: On sublime...

Un autre le proclame,
Sans hésitation,
Roi par corps et par âme
De la creation.

Plus modeste, un troisième
Définit en deux mots,
Sa magesté supreme;
"Le Roi des animaux?"

Et ce titre est peut-être
Un titre mérité,
Car l'on ne devient maître
Que par méchanceté.

Mais si l'Homme d'Athènes,
Par Platon mal nommé,
N'est point un Démosthènes,
Mais un "coq déplumé"

S'il a, dans son bas âge,
Quatre piends, à midi
Deux, et trois quand il est sage,
Comme le Sphinx l'a dit;

Comment ce drôle d'Homme,
Qui n'a ni feu ni lieu,
Peut-il bien, selon Rome,
Etre le fils de Dieu?

Mais cela fait trop rire!
Talis pater, qualis...
Non, j'aime mieux sourire,
Aimant les gens polis.

Quoi qu'il en soit, un autre
Definitor à faux,
Qui n'est point un apôtre
Comme d'Aquin--s'en faut--

Prétend, affirme même,
Car il voit, car il sent,
Que l'Homme a le système
D'un "animal pensant."

Et le chien et la femme,
Avec ou sans vertu,
Mais embellis d'une âme,
Pour qui donc les prends-tu?

Voltaire, lui, sans être
Aussi prétentieux,
Et sans vouloir connaître
Le grand secret des cieux,

Disait simplement: L'Homme
Sauf l'Académicien,
Sauf aussi l'astronome
Et le vieux musician,

De la bête diffère
Simplement en ceci:
"Boire sans soif et faire
L'amour l'hiver aussi."

Et les vieux?... Mais Madame
De Stael, qui connut
Talleyrand, un vieil infâme,
Et qui le vit à nu,

Disait de lui: "Cet Homme
Est du fimus en bas
De soie, et qu'on nomme
En se parlant tout bas."

Sachant ce que nous sommes ,
Corinne a dit aussi:
"Since I know you, les hommes,
J'aime les chiens." Merci.

L'Homme? Qu'est-ce que L'Homme?
Le dirai-je. Volo.
C'est la chose que nomme
Cambronne à Waterloo.





"Le Clou" de Jean Gentil (Le Meschacébé - 28 avril 1888)

En vérité, moi j'aime,
Poète des buissons,
Le vert printemps qui sème
Les flours et les chansons.

Et lorsque la nature
Fleurit en mai chantant,
Ma pauvre creature
De vieux en fait autant.

Je sens la poésie
Me revenir au cour,
Et j'ai la fantaisie
Du chant, comme un moqueur.

Et puis je me rappelle
L'âge heureux et charmant
Oh la jeunesse épèle
L'amour innocemment;

Où l'on cueillait ensemble,
Ne cueillant que cela,
La fraise qui ressemble...
A quoi donc?... Halte-là!

Mais le doux printemps rose,
Vert et bleu, parfumé,
Cette année est morose
Pour moi. Quel triste mai!...

Rond comme un oeuf de cane,
--Et je le sens pousser--
Un gros clou me chicane
Au dos, qu'il faut percer.

Cependant, o comtesse,
Malgré tout mon malheur,
Et toute ma tristesse,
C'est encor du bonheur.

Car le Printemps que j'aime,
Le printemps rose et beau,
Aurait bien pu lui-même
Me le planter moins haut.



"Rara Avis" de J. Gentil (Le Meschacébé - 21 avril 1888)

Que Dieu te soit en aide!
Tu l'as prise, dis-tu,
"Assez bête, un peu laide
Et de grande vertu?"

Ces qualités, sans doute,
Ont du poids et du prix
Pour celui qui redoute
Et qui craint d'être pris.

Mais, crois-moi, la bêtise
De la femme se rit
Fort bien de la sottise
De l'homme ou du mari.

Nulle femme n'est bête
Quand le diable lui met
Certain désir en tête
Par avril ou par mai.

Quant au savant Végèce,
Dans re militari,
Dit-il que la sagesse
Sera laide, o mari?

Mais, par chef ou par tête!
Part sort!... je suis d'avis
Que rare est l'épithète
A la famille avis

Cependant, ô vieux Maître,
Juvénal positif,
Veux-tu bien me permettre
Le vrai superlatif.

Car rare, mon bonhomme,
Est chose de tantôt
A Paris comme à Rome,
Rarissima, plutôt!

"Le Crapaud" de J. Gentil (Le Meschacébé - 14 avril 1888)

Les moqueurs que rassemble
L'amour du mot-à-mot
Veut conjuguer ensemble
Le verbe amo

Et c'est, presque à voix haute,
L'indicatif présent
Qu'ils conjuguent sans faute,
En s'amusant.

-- Amo, Mademoiselle,
Amo, dit le moqueur...
-- Amo, répond l'oiselle
De tout mon coeur...

Et l'on entend leurs ailes,
Dessous les arbres verts
Qui leur servent d'ombrelles
Rimer des vers.

Ces vers, dont l'harmonie
S'apprend en doux leçons
Et sans cérémonie,
Sont des chansons.

Mais un crapaud de terre,
Sous le lilas tapi,
Tout noir et solitaire,
En a dépit.

"C'est le printemps" de J. Gentil (Le Meschacébé - 7 avril 1888)

Poète, ouvre ta porte,
Ta fenêtre et ton coeur
A l'Avril qui t'apporte
Les chansons du moqueur.

L'Hirondelle est venu
Par un beau ciel béni,
Et je l'ai reconnue
Au bord de son vieux nid.

L'arbre vert a les feuilles
Du renouveau charmant,
Et les longs chèvrefeuilles
Grimpent en parfumant.

Le grand lilas que j'aime
Auprès de ma maison,
Que j'ai planté moi-même,
Est dans sa floraison.

Bonsoir, o laide prose
Des frimas de l'hiver!
Vois-tu, vois-tu la rose
Brisant son corset vert?

C'est le printemps lui-même,
Le printemps en humour,
Le printemps, doux poème
De jeunesse et d'amour.

Et le coeur de Marie,
Jusqu'alors calme et coi,
Seul en sa reverie,
Fait tic-tac... Et pourquoi?

Ce coeur, froid comme marbres
Jusqu'à ses dix-septs ans,
A-t-il vu dans les arbres
Des nids d'oiseaux chantants?

C'est que l'on peut entendre
Deux moqueurs rapprochés,
Se parler à voix tendre,
Sous les arbres cachés,

Un nid, c'est un deux rêve
Où l'un s'appelle Adam,
Où l'autre se nomme Eve,
Où l'amour est prudent.

Un nid, c'est un mystère
Sacré, délicieux,
Au-dessus de la terre,
Sous l'oeil bleu des grands cieux.

Ce qu'on y dit, Madame,
Côte à côte ou lié,
Vous ravit, dit-on, l'âme...
Pourquoi l'ai-je oublié?

O toi, printemps des roses
Et des parfums, redis
A mes vieux jours moroses
Tes chansons de jadis!

Printemps que j'apostrophe,
O printemps, ô printemps,
Redis-m'en une strophe,
La stophe et vingt ans!

Par où commençait-elle,
Par quel verbe divin
De la langue immortelle,
Mais que je cherche en vain?

Aide-moi donc, ma mie,
Aide-moi donc un peu;
Ma Muse est endormie,
Et trouver je ne peux.

Etait-ce difficile
Autrefois de chanter,
Quand la rime facile
Savait vous enchanter?

Mais amo, verbe tendre
Qui m'a longtemps ravi,
Ne se peut plus entendre
Et s'appelle amavi

Et philéo lui-même,
Mot grec, mot ravisant,
Doux mot que Phyllis aime,
Me soufflète en passant.

Le gai moqueur, ce drôle,
Ce chanteur enragé
Qui sait si bien son rôle
Se moque de J.G.