Wednesday, March 22, 2017

"L'abbé Mina" par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 Février 1868)

Les bouteilles alors se vendaient deux sous pièce,
Et c'était bon marché,
Car le dollar craintif devant Butler en liesse
Ne s'était point cache.

Nul ne parlait encore de guerre, de batailles,
D'impudents détrousseurs,
De généreaux à jeun, d'abondantes ripailles
Au foyer des planteurs.

Et moi je connaissais au voisin presbytère,
Pas bien loin de ce lieu,
Un apôtre italien qui vous offrait son verre,
Son pain blanc et son Dieu.

C'était un vieux chrétien, la générosité même,
Un prêtre séculier
Vidant sa maison pleine au malheureux qu'il aime,
De la cave au grenier.

Il se nommait Mina. Quoique bon catholique
Et romain, comme il faut,
Il lisait volontiers Horace le lyrique
Qu'il citait à propos.

Lorsque son gai docteur lui soufflait à l'oreille:
"Je connais un patient
Qui guérirait bien vite avec une bouteille
De Bordeaux excellent".....

Le prêtre du Seigneur, prenant un air maussade,
Commençant à pester,
Envoyait la douzaine en cachette au malade
Pour le ressuciter.

Et plus tard on vendait au vénérable prêtre,
Qui souriait tout bas,
Les bouteilles sans âme et creuses comme un hêtre
Du temps de Barrabas.

Et le malin curé les payait vingt centimes,
Bien plus cher qu'à Limoux,
Disant à son docteur ces paroles sublimes;
"J'y gagne encor deux sous."

Tuesday, March 21, 2017

"Ma Maitresse" par Jean Gentil (Le Louisianais - 15 Février 1868)

Je sais plus d'un bardon, vieillard sexagénaire,
Cadet Roussel à trois cheveux,
Qui se donne des airs de jeunesse et veut plaire
Ainsi qu'un galant amoureux.

Il a maitresse brune
De dix-huit à vingt ans,
Et croit que la fortune
Vous fait pousser les dents.

Il achète à la belle
Cachemire et bijoux,
Pensant que la dentelle
Fait aimer les vieux fous.

La brune est ravissante
Avec ses deux grands yeux,
Et le prouve à Dorante...
A la barbe du vieux.

Et souvent le Géroute
Lègue par testament,
En crainte de mort prompte,
Sa fortune à l'amant.

Telle est la destinée
Des bonshommes du jour:
Ils ornent Dulcinée
Pour un fripon d'Amour

Mais moi je la veux vieille ainsi que ma grand-mère,
Sans cachemire et sans bijou,
Pas trop courte, un peu maigre, et portant pour me plaire
La toile d'araignée au cou.

C'est la dive bouteille
Au corset gracieux,
Qui fait l'âme vermeille
Dans les splendeurs des cieux.

"La pluie, II." par J. Gentil (Le Louisianais - 8 Février 1868)

La pluie, encore la pluie,
De l'eau, toujours de l'eau!
Et mon gros chat s'essuie
Tristement le museau.

En vérité, que faire?
---Mais laisser tomber l'eau
Et verser dans son verre
Quatre doigts de Porto;

Se souvenir encore
Du vingtième printemps,
Bel âge où l'on adore
Par n'importe quell temps;

Quand t'asseyant près "d'elle,"
Au foyer réjouissant,
Elle était rose et belle
Toi jeune et rougissant;

Que la tendre coquette
Entrouvant un Recueil,
Lisait, baissait la tête
Pour s'endormir d'un oeil.

Alors tu pouvais voir rayonner à la flame
--Le bas, bien entendu--
Une jambe arrondie et qui parlait à l'âme
Du doux fruit défendu.

Oui, mais ni ni ...
Tout est fini ...
L'heure est passé, et bien passé;
L'âme est lassée, et bien lassée.
J'ai quarante ans
Et plus de dents.

Monday, March 20, 2017

"Prière" par J. Gentil (Le Louisianais - 25 Janvier 1868)

Je ne sais point prier le rite austere
Des beaux Saints d'autrefois,
Et rarement mon front se courbe jusqu'à terre,
Jésus, devant ta Croix.

Et cependant j'implore
Ta sublime bonté,
Et cependant j'adore
Ta grande majesté

O maître, je demande une bien simple chose
A quiconque est tout bon:
Ce n'est point la richesse ou la gloire, et je n'ose
Espérer un pardon.

Il m'importe fort peu de mourir un dimanche,
Puisqu'il me faut mourir;
Il m'importe encor moins d'avoir la robe blanche
Du prêtre ou du martyr;

Mais il est sur la terre
Un coin deux fois béni,
Où la France et ma mère
Sont tout mon infini.

Et je voudrais mourir en France, près de celle
Dont l'amour est si beau,
Dans la chambre où notre âme avec foi se rappelle
Les rêves du berceau.

Et je voudrais encore
Dormir sous le pommier,
Dans la vigne que dore
Un soleil familier.

Je verrais au printemps la fleur blanche et légère
Neiger, neiger sur moi;
Et la grappe d'automne, avant de rire au verre,
Me dirait: lève-toi.

"Orphée, IV" par J; Gentil (Le Louisianais - 18 Janvier 1868)

Voilà donc Orphéus mort et content, fort aise
De descendre aux Enfers;
Il y veut embrasser Eurydice à son aise,
En prose et puis en vers.

Lorsque le vieux Charon aperçut le poëte
Aux membres mutilés,
Il eut presque un sourire et secoua la tête
Comme aux écervelés.

En effet Orpheus trouva son Eurydice....
Amis, devinez où?
.... Dans les bras de Pluton qui buvait comme un Suisse
Et riait comme un fou.

Par le Styx! Que faire? .... Il était impossible
De mourir à nouveau;
Orphéus le comprit et s'en alla, paisible,
Se laver au ruisseau.

Esculape, un docteur de la Faculté sombre,
Rafistola son col,
Pommada ses sourcils, en fit la plus belle Ombre
Du pays d'entre-sol.

Et comme Proserpine était jeune et déesse,
Le poëte vainqueur
Sut lui conter fleurette,en faire sa maîtresse
En tout bien tout honneur.

"Orphée, III" par J. Gentil (Le Louisianais - 11 Janvier 1868)

Cependant Orpheus était un bien bel homme;
Possédant de grands yeux;
C'était un citoyen, mesdemoiselles, comme
Il en faut en tous lieux.

Etant veuf, étant jeune, il ne devait pas faire
Le mort ou moribund,
Et vivre comme un ours, hermite et solitaire,
Pleurnicheur et barbon.

Dans le riant pays des Nymphes demi-nues,
Sous les lauriers en fleurs,
Il faut courir après les Grâces ingénues,
Non se morfondre en pleurs.

Passant de l'une à l'autre avec un gai sourire
Et des refrains joyeux,
Il faut batifoler, chanter, mettre sa lyre
Au doux accord des cieux.

Mais Orphée était fol, car il était fidèle:
Car il fuyait aux bois ....
Non pour y folatrer avec sa toute belle,
Mais pour jouer du hautbois.

Aussi, par un beau jour, après vaines oeillades,
Les filles de l'endroit
Découpèrent Orphée en milliers de grillades:
Et c'était bien leur droit.

L'Hèbre reçut, dit-on, les débris du poëte
Et sa lyre en morceaux;
Le flot intelligent porta sa noble tête
Aux vierges de Lesbos.

"Naïf" par J. Gentil (Le Louisianais - 4 Janvier 1868)

Parmi les belles choses
Il faut compter les roses
Et les filles aussi:
Mais par Vénus la blonde!
Il n'est rien qui réponde
Au tableau que voici:

"Gros, ronde comme une boule,
L'enfant joue et se roule
Aux seins de sa maman,
Et parmi toutes choses
Montre ses fesses roses ...
Oh! très innocemment."

Sunday, March 19, 2017

"Orphée, II" par J. Gentil (Le Louisianais - 28 décembre 1867)

Plus malheureux que Loth, car Loth pouvait encore
Admirer à loisir
Une femme de sel immobile, inodore,
Peu sujette à moisir,

Orphée eut mal au Coeur. Le Styx infranchissable,
Infernal, ténébreux
Ne lui permettait pas le bonheur délectable
De faire "un avant-deux."

C'est alors que notre homme, avec sa triste lyre
Et son grand désespoir,
S'enfonça dans les bois pour y montrer à lire,
Hélas! ... à l'ourson noir.

Il y chantait des airs attendrissants et sombres,
Ne buvant que de l'eau,
Ne mangeant que des glands, se couchant dans les ombres
Du chêne au lourd manteau.

Il ne se rasait plus!... A quoi bon la toilette,
Le menton rose et neuf.
Le sourire joyeux, la mine guillerette,
L'amour ... quand on est veuf?

"Eurydice, Eurydice, Eurydice, Eurydice!" ...
Elle était aux Enfers,
Et le bonhomme Orphée était assez Jocrisse
Pour la pleurer en vers.

Il ne comprenait pas qu'une légitime
Est un pesant fardeau,
Que Baccus est un Dieu que l'on commet un crime
En s'empoisonnant d'eau.

"Orphée" par J. Gentil (Le Louisianais - 21 décembre 1867)

Les poëtes sont fous! Eh! seraient-ils poëtes
S'ils n'étaient pas de fous?
Lorsque souffle le vent ne faut-il pas des têtes
Pivotant sur des cous?

Et cependant il est d'étonnantes folies
Qu'on ne peut pardonner,
De ces stupidités, de ces anomalies
Qui font trois fois damner.

Voyez plutôt:-- Orphée avait pour légitime
Eurydice à l'oeil noir.
Il l'aimait, elle aussi; là n'était pas le crime
Et cela peut se voir

Mais où le crime est grand, trois fois abominable,
C'est dans ce dénouement:
Eurydice un beau jour rendit son âme au diable
Et mourut bonnement.

Orphée, ainsi qu'un veau qui perdit sa nourrice,
Descendit aux Enfers,
Beugla, pleura, geignit, réclamant Eurydice
En prose et puis en vers.

Pluton qui connaissait les misères humaines
Lui dit: "ma foi, mon vieux,
Je ne comprends pas trop tes larmes et tes peines
Mais pusique tu le veux...

Retourne sur la terre, et ta femme Eurydice,
Te suivant pas à pas,
Sortira des Enfers, pourvu qu'on obéisse
A mes ordres d'en bas"

Et l'ordre de Pluton, vous devez le connaître:
"Marche droit, en avant,
Sans broncher, ou sinon tu verras disparaître
Sa jupe blanche au vent."

Et le vieux fol, un pieds dans le domaine sombre,
Se tourna par ... bonheur;
Et la belle au lointain s'effaça comme une ombre
En criant: quelle horreur!"

"Idéal" par J. Gentil (Le Louisianais - 7 décembre 1867)

De Paris à Seville,
De Seville à Corbeil,
Jamais plus belle fille
N'a dû luire au soleil.

Elle est resplendissante
Comme un pur idéal,
Comme une douce amante,
Aux jours de Floréal.

Son front incline et penche
Sous un divin penser.
Et sa peau fine et blanche
Devient rose au baiser.

Son oeil, profond mystère,
Est un coin du Ciel bleu
Où le poête espère
Lire au celeste aveu.

Sa bouche est tout un monde
De sourires charmants,
Où le Dieu de Golconde
A mis des diamants.

Sa chevelure noire,
Brisait le blanc réseau,
Pour un beau corps d'ivoire
Serait royal manteau

Oui, nulle Eve sur terre
Ne fit paradis jaloux:
Mais cette Eve digère
Hélas! ainsi que nous.


Saturday, March 18, 2017

"Un métier" par J. Gentil (Le Louisianais - 30 novembre 1867)

Il était sans amis, sans crédit, sans ressource;
Il avait moins de coeur que d'argent dans la bourse;
Les chiens se détournaient de lui.
Car les chiens n'aiment pas les choses dégoûtantes,
Car il faut éviter les natures puantes,
Car la laideur donne l'ennui.

Que fit-on de cet homme à l'âme gangrénée?
Un porteur de tinette, un laquais à l'armée,
Un croupier, un sale écureur...?
Sauf celui de croupier, ces métiers sont honnêtes.
Aucun métier n'est sot, mais il est de sottes bêtes.
On en fit un législateur.

"Garibaldi" par J.G. (Le Louisianais - 16 Novembre 1867)

Quand il prenait Palerme ou bien quelqu'autre ville,
Avec ses Camisards,
Il était acclamé par un Victor servile
Et des Chauvins braillards.

Personne n'eût osé lui faire la grimace,
Le chanter à demi;
Napoléon lui-même exaltait son audace
Et l'appelait "ami"

Et sa rouge chemise était noble bannière
Flottant au ciel romain;
Et la France disait qu'elle était deux fois fière
De lui tendre la main

Les rois voyaient en lui le lutteur héroique
Qui les sert au besoin;
Car les rois savent faire un général épique
Avec un vieux marsouin

Quant aux peuples émus, ils l'admirent sans crainte,
Comme étant batailleur,
Comme sachant offrir à la liberté sainte
Sa poitrine et son coeur

Alors il rayonnait dans la double auréole
D'un Bayard et d'un Preux;
Mais maintenant vaincu, prisonnier sur parole,
Qu'est-il? -- Un chien lépreux.

"La Toussaint" par J. Gentil (Le Louisianais - 2 novembre 1867)

La Toussaint est la fête
Où la tombe a des fleurs,
Où l'on baisse la tête
Pour répandre des pleurs.

Et le fils et la mère
Vont prier à genoux
Sur la fosse où le père
Attend le rendez-vous.

Quant à la jeune fille,
Elle y vient à son tour
Verser d'un oeil qui brille
Une larme d'amour

Il faut prier, mes frères,
Pour tous les trépassés,
Afin qu'en leurs prières
Nous soyons exaucés.

Mais, Seigneur de la terre
Et du bleu firmament,
Pourquoi prendre à la mère
Son seul, son seul enfant?

Dans les tristes semaines
De deux mois malfaisants,
Oh! pourquoi par centaines
Nous voler nos enfants?

C'est au ciel, pauvre femme,
il faut pour la Toussaint
Que chaque ange,-- douce âme, --
Se transfigure en Saint.

"Charité" par J. Gentil (Le Louisianais - 26 octobre 1867)

Père, lorsque je pense à la Samaritaine,
Au bon Samaritain,
Je ne suis plus railleur et je n'ai point de haine
Pour un Ultramontain,

L'Evangile me semble un livre de lumière,
Le seul livre divin,
Où l'on trouve la foi, l'amour et la prière
Qu'ailleurs on cherche en vain.

"Jai soif" disait le Christ à la Samaritaine;
Et pendant qu'il buvait,
La femme tressaillit dans la lueur sereine,
--Ame qui revivait.

Et c'est encor le Christ, le Christ de Marie,
Qui penche sous sa main
Le voyageur qui passe aux bourgs de Samarie,
Et l'arrête en chemin.

Et le Seigneur et l'homme ont la même pensée
De tendre charité,
Tous les deux ils relèvent une âme délaissée
Par la fatalité.

Aussi, que nous soyons petits, grands de la terre,
Prêtres saints ou pécheurs,
Il faut nous entr'aimer comme un frère son frère,
Comme une soeur sa soeur

Si quelqu'un d'entre nous a faim, qu'on lui donne
La moitié de son pain:
S'il a soif, oh! portez à sa lèvre l'aumône
D'une goutte de vin.

Procurez un asile au voyageur qui pleure
Sur le bord du chemin;
Inanimé s'il tombe au seuil de ta demeure,
Frère, tends lui la main.

Lorsque l'un d'entre nous se penche sur sa couche,
Peut-être pour la mort,
Approche-toi de lui, car ta bonté le touche
Et ton amour l'endort.

Faut-il l'ensevelir dans son dernier suaire?
Ensevelis-le bien.
Faut-il à son convoi murmurer la prière?
Homme, prie en chrétien.

Accompagnons toujours sa dépouille mortelle
Par le sentier de Dieu,
Afin qu'on accompagne, ô sagesse éternelle!
Nos corps au même lieu,

Afin que les élus de la grande justice
Se rappellent un jour,
Quand sonnera pour nous l'heure du sacrifice,
Notre pieux amour.

Thursday, February 16, 2017

"Judas" par J.G. (Le Louisianais - 24 aout 1867)

Si le Christ aujourd'hui revenait sur la terre,
Pauvre, ouvrier, pieds-nus,
Malgré son oeil divin rayonnant de lumière,
Qui connaitrait Jésus?

Qui donc voudrait le suivre au sommet du Calvaire
Et pleurer dans ses pas?
Madeleine, peut-être, ou sans doute sa mère;
Mais les hommes? ... Judas! ...

Saturday, February 11, 2017

"L'Hôpital" par J.G. (Le Louisianais - 19 Octobre 1867)

Dans ce libre pays j'ai connu trois poètes,
Non pas trois rimailleurs,
Car ils portaient bien haut leurs rayonnantes têtes
Dans le ciel des splendeurs.

Ils venaient tous les trois de la France lyrique
Où l'on s'allaite au vin,
Où l'on croit à la gloire et non à la boutique,
Où l'âme a son refrain,

--Refrain de Marseillaise aux notes solennelles,
Dont les vibrations
Portent le mot de ronde aux fières sentinelles
Des révolutions.

L'un deux,-- Barde est son nom, -- demeure aux Avoyelles,
Vrai hibou dans son creux,
Accouplant chaque jour la consonne aux voyelles
Pour quelqu'enfant morveux.

Barde ne chante plus. La grammaire écoeurante,
--Un grimoire internal,
Aurait-elle étranglé sa strophe bondissante,
O Barde de Chapsal?

Le second est Cauvet, poete de génie
Et chantre des mineurs,
Scandant des vers plus beaux que la Californie
Où l'or fait les voleurs.

Hugo pourrait signer sans se méprendre
"Floréal" gracieux,
Le "Tombeau du mineur," "Lily" gentille et tendre,
"Vesper" montant aux cieux.

Mais Pierre a disparu là bas, vers les Antilles.
Pierre roule, est parti
Et ne pourra trouver que de vilaines filles
Aux mornes d'Haiti.

Le dernier de ces fils de la muse Harmonie
S'appelait Lordereau.
Il a connu l'amour, les rêves, l'agonie
D'Hegesippe Moreau.

Raca sur Orléans! Cette ville de fange,
Dont le souffle est fatal,
Pour celui qui chantait une note d'archange
N'eut qu'un lit d'hôpital.

Sunday, February 5, 2017

"A perpétuité" par J.G. (Le Louisianais - 12 Octobre 1867)

Je vois qu'on a "ferré" pour le bagne et les hontes
L'assassin polonais,
Et comme tôt ou tard le juge rend ses comptes,
Muet, je m'inclinais.

Je disais: "O Seigneur, il est logique et juste,
Au monde d'ici bas,
Qu'on frappe avec le fer quiconque frappe Auguste
Et ne réussit pas."

On aurait pu le prendre ou lui couper la tête,
Et les heureux badauds
Se seraient coudoyés par la hideuse fête
D'un homme en deux morceaux.

Mais comme il n'avait point versé le sang d'un Russe,
On l'a presque acquitté.
Le bonnet vert sera la dégradante aumusse....
"A perpétuité."

A perpétuité !... Comment s'appelle l'homme
Qui parle de "toujours"?
Auguste a son Paris et le César sa Rome
Rarement pour deux jours.

"Demain n'est à personne!" Ainsi dit le poète
Des "Contemplations"
Et chaque Imperator abandonne sa tête
Aux révolutions.

L'Empire est un hasard, un fait, une aventure,
Quelquefois un chenil,
Et Dieu ne permet pas que l'habile imposture
Devienne l'infini

Les maitres de la terre aux plumets magnifiques
Sont des individus:
Ils connaissent la faim, la soif et les coliques,
Comme simples pendus.

"Un Lock" par Jean Gentil (Le Louisianais - 5 Octobre 1867)

Et mon âme était triste ainsi qu'une élégie
De poète incompris,
Triste comme un bouquin où ta théologie
Endort les grands esprits.

Chaque homme a de ces jours, de ces quarts d'heures sombres
Où l'on voudrait finir,
Où l'on éprouve en soi l'envahissement d'ombres
De ceux qui vont mourir.

Le coeur ne dit plus rien, l'amour est une chose
Sans la moindre saveur,
Et vous prisez autant le chardon que la rose,
Le beau que la laideur.

Une femme, une vierge, une beauté suprême
Arriverait des cieux,
Vous ouvrirait ses bras, murmurerait: "je t'aime"...
Vous fermeriez les yeux,

Vous tourneriez le dos, comme une vielle bête,
Au bonjeur des élus,
Sans comprendre que Dieu vous préparait la fête
Des plaisirs absolus.

Vous êtes un crétin!... Et tous tant que nous sommes,
Nous avons de ces jours,
Où,poètes, savants, femmes et gentilshommes
Ont leurs coeurs trois fois gourds.

Or donc, mon cher confrère,
J'ai bu du vin clairet
Comme on n'en trouve guère
Au fond d'un cabaret.

J'en ai bu jusqu'aux lèvres,
Pentant tout un grand jour:
Ca m'a chassé le fièvres
Et ramené l'amour.

C'était un Bourgogne,
Du pays de Dumez,
Qui vous rougit la trogne
Et qu'on aime ... à jamais.

Monday, January 2, 2017

"Souvenir" par Cetudo (The Lafayette Advertiser - 27 juillet 1889)

Je révais qu'habitant, dans un pays nouveau,
Pays charmant, rieur, où tout me semblait beau
Je voyait tout à coup sortir d'un nuage
Un ange, une beauté avec un doux visage.
Le rève fut trop court, la verité revint
Je me trouvais tout seul, en pleurant de chagrin.

Je partis en voyage, voyage de plaisir
Vers un pays joyeux où tout vous semble rire
J'y vis du Tout-Puissant la si belle nature
Qui change la tempête en un charmant murmure
Et j'y vis la forêt aux accents mystérieux
Avec ces bruits étranges et ces oiseaux des cieux.

Je songeais tristement à la misière humaine
Lorsque le souvenir d'une vision lointaine
Revint à mon esprit: C'est l'ange de mon songe
Qui venait me troubler par un divin mensonge
Et Rallumer soudain un souvenir parti
Il m'obscédait encore et ne s'est point enfui...

Je quittais en émoi ce rivage enchanté
Chassant le souvenir de ce visage aimé,
Quand! o joie, o bonheur! je vis devant mes yeux
La douce et belle vision, c'était l'ange des cieux,
Alors je bénis Dieu de mon songe passé
Et me livrai soudain au doux plaisir d'aimer

Helas! est-ce un crime d'aimer ici-bas
Qui donc peut s'en defendre et dire: Je n'aime pas.

Lafayette, le 21 Juillet, 1889.

"Deui' s d'automne" par J.L (Le Meschacebe - 25 novembre 2017)

Les belles frondaisons jaunies
S'éparpillent dans les sillons;
Des voix manquent aux symphonies
En pleins champs des oisillons.

Le soir, dans les parcs solitaires
Ne clignotent plus les quinquets
Des vers-luisants qui des parterres
Eclairaient les sports des criquets.

Et dans leur brume diaphane
Les nuits n'ont plus ni voix ni chants,
Comme en juillet, lorsque l'on fane
Et revient par couples des champs.

Les boeufs, dédaignant la pâture,
Meuglent tout le jour bêtement,
Le nez posé sur la clôture
Et l'oeil mi-clos béatement.

Oh! cette tristesse d'automne,
Ces bois qui pleurent dans les eaux,
Et cette plainte monotone
Dont nous poursuivent les troupeaux;

Ce silence de nécropole
Dont nous sommes comme en vahis,
Ce peuple d'oiseaux qui s'envole
Loin, loin, vers d'autres pays;

La presque nuit de nos demeures
Qui nous font les jours incertains
Ajoutant à l'ennui des heures
Devant des feux sans cesse éteints;

Et ce lointain parfum des roses
Que nous conservons de l'été,
Et cet écho mourant de choses
Qui parlaient amour et beauté,

N'assombrissent-ils pas tout être
A qui vivre fut savoureux?
Ou n'attristeraient-ils, peut-être
Que les poètes douloureux?

Ainsi, pleurez, pauvres poètes,
Eternels mécontents du sort;
Parmi les natures muettes,
Pleurez seuls lorsque tout est mort.