Thursday, February 16, 2017

"Judas" par J.G. (Le Louisianais - 24 aout 1867)

Si le Christ aujourd'hui revenait sur la terre,
Pauvre, ouvrier, pieds-nus,
Malgré son oeil divin rayonnant de lumière,
Qui connaitrait Jésus?

Qui donc voudrait le suivre au sommet du Calvaire
Et pleurer dans ses pas?
Madeleine, peut-être, ou sans doute sa mère;
Mais les hommes? ... Judas! ...

Saturday, February 11, 2017

"L'Hôpital" par J.G. (Le Louisianais - 19 Octobre 1867)

Dans ce libre pays j'ai connu trois poètes,
Non pas trois rimailleurs,
Car ils portaient bien haut leurs rayonnantes têtes
Dans le ciel des splendeurs.

Ils venaient tous les trois de la France lyrique
Où l'on s'allaite au vin,
Où l'on croit à la gloire et non à la boutique,
Où l'âme a son refrain,

--Refrain de Marseillaise aux notes solennelles,
Dont les vibrations
Portent le mot de ronde aux fières sentinelles
Des révolutions.

L'un deux,-- Barde est son nom, -- demeure aux Avoyelles,
Vrai hibou dans son creux,
Accouplant chaque jour la consonne aux voyelles
Pour quelqu'enfant morveux.

Barde ne chante plus. La grammaire écoeurante,
--Un grimoire internal,
Aurait-elle étranglé sa strophe bondissante,
O Barde de Chapsal?

Le second est Cauvet, poete de génie
Et chantre des mineurs,
Scandant des vers plus beaux que la Californie
Où l'or fait les voleurs.

Hugo pourrait signer sans se méprendre
"Floréal" gracieux,
Le "Tombeau du mineur," "Lily" gentille et tendre,
"Vesper" montant aux cieux.

Mais Pierre a disparu là bas, vers les Antilles.
Pierre roule, est parti
Et ne pourra trouver que de vilaines filles
Aux mornes d'Haiti.

Le dernier de ces fils de la muse Harmonie
S'appelait Lordereau.
Il a connu l'amour, les rêves, l'agonie
D'Hegesippe Moreau.

Raca sur Orléans! Cette ville de fange,
Dont le souffle est fatal,
Pour celui qui chantait une note d'archange
N'eut qu'un lit d'hôpital.

Sunday, February 5, 2017

"A perpétuité" par J.G. (Le Louisianais - 12 Octobre 1867)

Je vois qu'on a "ferré" pour le bagne et les hontes
L'assassin polonais,
Et comme tôt ou tard le juge rend ses comptes,
Muet, je m'inclinais.

Je disais: "O Seigneur, il est logique et juste,
Au monde d'ici bas,
Qu'on frappe avec le fer quiconque frappe Auguste
Et ne réussit pas."

On aurait pu le prendre ou lui couper la tête,
Et les heureux badauds
Se seraient coudoyés par la hideuse fête
D'un homme en deux morceaux.

Mais comme il n'avait point versé le sang d'un Russe,
On l'a presque acquitté.
Le bonnet vert sera la dégradante aumusse....
"A perpétuité."

A perpétuité !... Comment s'appelle l'homme
Qui parle de "toujours"?
Auguste a son Paris et le César sa Rome
Rarement pour deux jours.

"Demain n'est à personne!" Ainsi dit le poète
Des "Contemplations"
Et chaque Imperator abandonne sa tête
Aux révolutions.

L'Empire est un hasard, un fait, une aventure,
Quelquefois un chenil,
Et Dieu ne permet pas que l'habile imposture
Devienne l'infini

Les maitres de la terre aux plumets magnifiques
Sont des individus:
Ils connaissent la faim, la soif et les coliques,
Comme simples pendus.

"Un Lock" par Jean Gentil (Le Louisianais - 5 Octobre 1867)

Et mon âme était triste ainsi qu'une élégie
De poète incompris,
Triste comme un bouquin où ta théologie
Endort les grands esprits.

Chaque homme a de ces jours, de ces quarts d'heures sombres
Où l'on voudrait finir,
Où l'on éprouve en soi l'envahissement d'ombres
De ceux qui vont mourir.

Le coeur ne dit plus rien, l'amour est une chose
Sans la moindre saveur,
Et vous prisez autant le chardon que la rose,
Le beau que la laideur.

Une femme, une vierge, une beauté suprême
Arriverait des cieux,
Vous ouvrirait ses bras, murmurerait: "je t'aime"...
Vous fermeriez les yeux,

Vous tourneriez le dos, comme une vielle bête,
Au bonjeur des élus,
Sans comprendre que Dieu vous préparait la fête
Des plaisirs absolus.

Vous êtes un crétin!... Et tous tant que nous sommes,
Nous avons de ces jours,
Où,poètes, savants, femmes et gentilshommes
Ont leurs coeurs trois fois gourds.

Or donc, mon cher confrère,
J'ai bu du vin clairet
Comme on n'en trouve guère
Au fond d'un cabaret.

J'en ai bu jusqu'aux lèvres,
Pentant tout un grand jour:
Ca m'a chassé le fièvres
Et ramené l'amour.

C'était un Bourgogne,
Du pays de Dumez,
Qui vous rougit la trogne
Et qu'on aime ... à jamais.