Tuesday, July 5, 2016

"C'est le printemps" de J. Gentil (Le Meschacébé - 7 avril 1888)

Poète, ouvre ta porte,
Ta fenêtre et ton coeur
A l'Avril qui t'apporte
Les chansons du moqueur.

L'Hirondelle est venu
Par un beau ciel béni,
Et je l'ai reconnue
Au bord de son vieux nid.

L'arbre vert a les feuilles
Du renouveau charmant,
Et les longs chèvrefeuilles
Grimpent en parfumant.

Le grand lilas que j'aime
Auprès de ma maison,
Que j'ai planté moi-même,
Est dans sa floraison.

Bonsoir, o laide prose
Des frimas de l'hiver!
Vois-tu, vois-tu la rose
Brisant son corset vert?

C'est le printemps lui-même,
Le printemps en humour,
Le printemps, doux poème
De jeunesse et d'amour.

Et le coeur de Marie,
Jusqu'alors calme et coi,
Seul en sa reverie,
Fait tic-tac... Et pourquoi?

Ce coeur, froid comme marbres
Jusqu'à ses dix-septs ans,
A-t-il vu dans les arbres
Des nids d'oiseaux chantants?

C'est que l'on peut entendre
Deux moqueurs rapprochés,
Se parler à voix tendre,
Sous les arbres cachés,

Un nid, c'est un deux rêve
Où l'un s'appelle Adam,
Où l'autre se nomme Eve,
Où l'amour est prudent.

Un nid, c'est un mystère
Sacré, délicieux,
Au-dessus de la terre,
Sous l'oeil bleu des grands cieux.

Ce qu'on y dit, Madame,
Côte à côte ou lié,
Vous ravit, dit-on, l'âme...
Pourquoi l'ai-je oublié?

O toi, printemps des roses
Et des parfums, redis
A mes vieux jours moroses
Tes chansons de jadis!

Printemps que j'apostrophe,
O printemps, ô printemps,
Redis-m'en une strophe,
La stophe et vingt ans!

Par où commençait-elle,
Par quel verbe divin
De la langue immortelle,
Mais que je cherche en vain?

Aide-moi donc, ma mie,
Aide-moi donc un peu;
Ma Muse est endormie,
Et trouver je ne peux.

Etait-ce difficile
Autrefois de chanter,
Quand la rime facile
Savait vous enchanter?

Mais amo, verbe tendre
Qui m'a longtemps ravi,
Ne se peut plus entendre
Et s'appelle amavi

Et philéo lui-même,
Mot grec, mot ravisant,
Doux mot que Phyllis aime,
Me soufflète en passant.

Le gai moqueur, ce drôle,
Ce chanteur enragé
Qui sait si bien son rôle
Se moque de J.G.

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