Monday, July 4, 2016

"La Xme Muse" de J. Gentil (Le Meschacébé - 3 aout 1901)

Que cette Grèce antique,
Avec ses dieux, ses cieux,
Sa fable poétique
Et son nom gracieux,

Fut belle!... Et que nous autres,
Saxons, Germains, Anglais,
Dans les temps qui sont nôtres,
Hélas! nous sommes laids!

La Grèce incomparable
Créa dans la beauté
Tout le groupe admirable,
Tout le groupe enchanté

Des neuf Muses. Car elles
Furent neuf, toutes soeurs,
Aussi nobles que belles
Malgré nos professeurs.

Ces maîtres, d'habitude,
Ont le talent parfait
D'enlaidir par l'étude,
Ce que la grâce a fait!

Ils sont des gens d'école,
De vieux cuistres, tous ceux
Qu'un college racole
Parmi les plus caresseux!

Qu'importe!.... La première,
Qui se nommait Clio,
Portait une lumière,
L'Histoire, à son front haut.

Thalie, un peu hardie,
Mais non pas sans esprit,
Jouait la comédie,
Qui fait rire et qui rit.

Tragique, Melpomene
Prenait un fier accent
De passion humaine,
Qui ne craint pas le sang.

Tendre sans énergie,
Erato quelquefois
Pleurait dans l'élégie
Ses amours d'autres fois.

Calliope, elle-même,
Homère à son côté,
Chantait son grand poème
D'éternelle beauté.

Inspirée et lyrique,
Polymnie animait
La lyre pindarique,
O Grecs, qui vous charmait.

Sur la place d'Athènes,
Elle inspirait encor
L'éloquant Démosthènes
Par son puissant secord.

Car cette Muse antique
Avait aussi l'accent
Grec et patriotique
De l'orateur puissant.

Etoilée, Uranie,
De l'azur plein les yeux,
Admirait l'harmonie
Des astres radieux.

La souple Terpsichore,
Seins fermes et mi-nus,
Dansait et danse encore,
Plus fraiche que Vénus.

Euterpe, la neuvième,
Qui plait bien, modulait
Cette langue supreme
Que la Grèce parlait.

Elle était le genie
Des sons délicieux,
La musique infinie
Qui joint la terre aux cieux.

Comme elles étaient belles,
Belles, en vérité,
Et résumaient en elles
La Grèce et sa beauté.

Ces Muses dont le Maître,
Apolon, n'osait pas
Lui-même se permettre,
D'effleurer les appas!..

Car ces Muses de Grèce,
De grâce et de clarté,
Même dans l'allégresse
Et dans la volupté,

Même dans le délire
Où quelquefois l'accord
Fait trop vibrer la lyre,
Gardaient, gardaient encor

Toute la poésie
Que, dans l'envirement
De son aphrodisie,
Vénus ivrait gaîment.

Ces Muses sont restées,...
Comment dire cela
En phrases veloutées?..
La Grèce les voila.

La Grèce fut splendide,
Splendide en tout, et n'eut
Jamais rien de sordide
En sa splendeur de nu.

......................................
......................................

Mais nous autres qui sommes
Superbes en ces temps,
C'est-à-dire des hommes
Aux progrès éclatants,

Des hommes d'honorable
Imagination
Et de très admirable
Civilization,

Nous en avons fait Une
De hautre qualité.
Moderne, peu commune
Et d'étrange beauté.

C'est la Presse!... Une reine
Qui voit tout, qui dit tout,
Qui fait tout, souveraine
Ici, là-bas, partout!

Elle est universelle,
Avec des millions
De cris et de voix. Elle
Commande aux nations.

C'est la Muse dixième,
Ou pour exprimer mieux,
La seule et la suprême,
En nos temps glorieux.

Car les neuf interlopes
De la Grèce ont été
De très laides salopes
Près d'elle, en vérité.

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