Saturday, March 14, 2015

"Les Riflards." par Jean Gentil (Le Louisianais - 12 Février 1870)

Braves gens et gens bons, hauts bourgeois magnifiques
Allez, nous connaissons vos grands airs mirifiques,
Vos principes d'honneur, vos vertus, vos bonnets,
Votre goût pour la paix et les petits sonnets,
Jusqu'aux breloques d'or battant au ventre énorme.
Vous êtes les ventrus, donc vous aimez la forme.
Etant riches et gras, et quelquefois crétins,
Vous combattez pour "l'ordre" et nommez libertins
Les jeunes, les croyants, les beaux d'enthousiasme.
La République effraie et vos coeurs et votre asthme
Messieurs, n'est-elle pas la revolution?
Rappellez-vous Marat à la Convention,
Danton aux Cordéliers, les Jacobines immondes,
Et tous les scélérats bavés sur les deux mondes.
Laissez-nous vivre en paix dans nos bonnes maisons,
Avec notre fianelle et nos chauds caleçons,
Pas de bruit dans la rue! Et que vous Rochefort,
Ce gueux, cet aboyeur, ce chien qui hurle fort?
Napoléon est grand, la police parfaite;
Le beurre se vend bien, la France est satisfaite;
L'Empire est une gloire, Ollivier dit le Daim
Promène aux caveaux d'or sa lampe d'Aladin.
Que nous font, s'il vous plait, et Décembre et Brumaire?
Les morts ne disent rien; c'est vieux comme grandmère.
L'empereur nous dorlotte et parfois sur nos coeurs
Il attache un ruban qu'on attache aux vainqueurs.
Cela fait bien, ça brille, et chaque factionnaire,
Devant nous porte l'arme. On peut être actionnaire
De L'Ordre des héros, n'étant que bonnetiers.
Que nous faut-il de plus? Les rois sont les rentiers.
Nous avons lu Voltaire et Paul de Kock le sale;
C'est dire que la bonne est notre humble vassale,
Que nous ne croyons point au Dieu des vieux cargots.
Mais il est de bon ton d'imiter les bigots,
D'aller doucettement à la messe. Ca pose,
On vous remarque, et puis encore je suppose
Qu'il est de frais minois à petits coeurs tremblants,
Qu'il est de blancs genoux baissant les marbres blancs,
Que la grâce est charmante. Pour le salut peut-être
Il faut que l'empereur s'accorde avec le prêtre.
Il n'est point sans autels d'ordre et de royauté.
Et voilà comme on doit aimer la liberté.
 
Oui, le bourgeois est doux, et cependant atroce.
Quand il a peur, mordioux! comme il devient féroce!
 
Et cependant l'on sait que ce bon publicain.
Avant d'être un monsieur, fut un républicain.
 

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