Friday, March 20, 2015

"Métamorphose" par Jean Gentil (Le Louisianais - 26 Mars 1870)

Le vrai républicain n'est pas la creature
Qui se plait dans l'égoùt, aime la pourriture
Et méconnait l'honneur.
Il veut la liberté qui parle en souveraine;
Mais son front est serein, mais son âme est sereine,
Mais il est la splendeur.
 
Vous ne le verrez point, sans honte et laid d'envie,
Blasphémer la vertu, prostitner sa vie
A toute volupté;
Il ne se vendra pas pour de l'argent qui souille,
Il ne mendira point les faveurs de l'arsouille;
Il est la pauvreté.
 
Héroîque est sa foi. Donc, quand passe cet homme,
Cet apôtre songeur qui fait penser à Rome,
Il ne faut pas raillery.
Ce serait ridicule et sot, la raillerie,
Et l'esprit des goujats est une vieillerie,
Qui consiste à gouailler.
 
Mais quand on voit un gars sans vertu, sans croyance,
Sans pudeur, sans esprit, sans coeur et sans vaillance,
Invoquer hautement
Le titre qui convient aux âmes généreuses,
Le nom qui se flétrit aux natures véreuses,
On dit: le drôle ment.
 
Dans ce pays d'audace, où l'aventure est reine,
Où le menteur est roi, la foi républicaine
A des adorateurs;
Mais nous les connaissons comme on connait les reitres,
Comme on connait les gueux, comme on connait les traîtres,
Et les vils imposteurs.
 
Hier leur botte faisait la grimace à la boue,
Et leur vieux pantalon montrait un quart de joue
Par deux vilains accrocs.
Ils ne travaillaient point,---cela n'est plus de mode,
Et trouvaient bien plus simple et tout à fait commode
De vivre en carencros.
 
Un pays est charogne à toute bête immode
Et fauve. Ce pays fut leur part, fut leur monde,
La curée au charnier;
Et nous les revoyons gros, gras, joyeux, beaux hommes,
Bien bottés, bien gantés, vêtus en gentilshommes,
Suivis d'un palfrenier.
 
En vérité, messieurs, cette metamorphose
Est trop subite. Il doit se trouver quelque chose,
Un mystère en cela.
Mais qui donc ne sait point que la chenille informe
A rampé tout d'abord, puis a change de forme,
Enfin qu'elle vola?

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