Saturday, March 7, 2015

"Regarde et montre" par Jean Gentil (Le Louisianais - 13 Novembre 1869)

Oui, je suis un Gaulois de la vieille patrie,
De celle qu'on nomma toujours une Matrie;
Mon père est un guêtré, Jacques sont mes aîeux,
Et leurs sabots pointus, aussi nobles que vieux,
Ont tracé le sillon des libertés humaines,
Je me crois paysan, et je sens dans mes veines
Circuler librement le vin des coteaux verts,
Le souffle des Français, le lyrisme des vers.
La France est ma patrie, une patrie immense
Qui fait le jour au monde, par laquelle commence
Et finit l'idéal, et sans laquelle Dieu
N'aurait plus de rayons, n'ayant plus de Saint Lieu.
A l'âge des enfants je la servis en homme,
Et le brun vigneron sait comment on me nomme,
Lui qui but avec moi, dans les jours glorieux,
A la liberté sainte, au soleil radieux,
A l'affranchissement des nations entières,
Aux esclaves levés par légions altières,
A notre humanité resaissant ses droits,
Au chemin de l'exil par où fuyaient les rois.
Ce fut un rêve, un rien, une lueur qui passe;
Et nous fumes vaincus, et nous eumes l'espace
Pour arbiter nos fronts. Vaincus mais non domptés.
Nous protestons encore, et nous sommes comptés.
Quand sans souliers, sans pain, sans abri, misérables,
Isolés parmi tous, et toujours exécurables,
Nous sommes morts dans l'ombre, avez-vous entendu
La plainte, le regret d'un seul proscrit rendu?
 
Pour moi, restant Gaulois, j'aime la république,
Et j'inscrivis mon nom sur la liste publique
De mes frères d'ici. Ce pays est le mien;
L'homme est chez lui partout, étant partout chrétien.
Que m'importent les lieux? Le point est d'être libre,
Citoyen, travailleur, à Londres, sur le Tibre,
En Suisse où les glaciers ont la virginité,
Au sommet où l'on meurt l'oeil rempli de clarté.
 
Vieillard bientôt aveugle, usé, riche en souffrance,
          Ai-je trahi quelqu'un?
Je vénère mon Dieu mes aîeux et la France,
          Ma France sans Tarquin.
 
Et lorsque je mourrai sur la terre adoptive,
          Bientôt, dans un moment,
Ma fille chantera le chant de la captive,
          Doucement, tristement.
 
Mes enfants, tous d'ici, mon infirme elle-même,
           Pleureront au depart,
Innocents qui diront: Puisque Papa nous aime,
            Pourquoi donc Papa part?
 
O noble aventurier, toi qui ris d'un air drôle,
Montre-nous, maintenant ton coeur et ton épaule.

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