Tuesday, June 2, 2015

"Miracles" par Jean Gentil (Le Louisianais - 2 Novembre 1872)

I.

Des coquilles au dos,--- coquilles de palourdes,
Un grand cierge à la main, les pèlerins de Lourdes
S'en vont pieusement, religieusement,
Par cinq cents, par milliers et catholiquement,
A la Grotte sacrée où Bernadette l'ange
Aperçut autrefois une Madonne étrange.
Ils y vont, croyons-nous, conduits par le Franclieu,
Prier la bonne Dame, adorer le bon Dieu,
Se guérir de la goutte, influencer l'oracle
Et cabaler un peu pour l'Enfant du Miracle;
Car Monsieur de Chambord est comme des Lourdaux.
Et d'autres pèlerins, coquillages au dos,
Puisque le coquillage entre dans leur toilette,
S'en vont également visiter la Salette.
C'est bon signe, et la fois des temps miraculeux
Nous revient à propos pour sauver les galeux.
Pour guérir les pécheurs, pour racheter le monde
Qui se mourait, hélas! de maladie immonde,

II.

Adonc, je vous le dis, et c'est la vérité,--
Puisque le Tribunal lança son Arrêté,--
A la Châtre-Langlin, canton de Saint-Benoit,
Département de l'Indre, un nommé Jean Benoit,
Un François Bâtardon, Maillochon et trois autres,
Plus trois commères du lieu, femmes de ces apôtres,
Tous paysans et tous bel et bien baptisés,
Se sont, comme des fous, l'autre jour avisés
D'interrompre la messe et la cérémonie,
De frapper du curé la personne bénie,
Et même d'insulter, sans la moindre raison,
La vieille Elizabeth, servante en sa maison
Et pourquoi, s'il vous plait? parcequ'un grand orage
Avait grêlé les champs à l'entour du village,
Et que Monsieur Gandon, le curé du hameau,
N'avait pas fait sonner la cloche à son bedeau,
Et promené la croix pour conjurer l'orage.
"Inde ira," fureur, épouvantable rage.
Quant au garde-champêtre, un peureux, un prudent,
Peut-être bien un libre-penseur impudent,
Il est resté chez lui, se nommant Vauzelade,
Et prétendant, -- c'est faux!--qu'il était très malade.
Mais maillochon, Benoit, Baudet et Limaçon
Ont été condamnés à trois mois de prison;
Ce qui leur prouvera qu'on peut croire aux oracles,
Mais qu'il ne faut jamais ordonner des miracles.

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