Monday, June 8, 2015

"Visions" par Gringoire (Le Louisianais - 8 Mars 1873)

Notre siècle est vraiment un siècle bien étrange,
Un siècle où l'esprit sombre et le doux esprit d'ange
Se rencontrent partout, comme si la raison,
Affolée à plaisir, déplaçait l'horizon,
Comme si la foi sainte et le doute terrible
Devaient, à certains jours, s'accoupler dans l'horrible.
Oui, ce siècle est étrange et l'on ne sait vraiment
Si le croyant croit bien et si le docteur ment;
Car ils sont tous les deux,--bizarre myopie!
L'infidèle croyant et le croyant impie.
Celui-ci n'admet rien, mais cet autre admet tout;
Si je ne vois pas Dieu, l'autre le voit partout,
Et nous avons chacun, voyants ou douteurs sombres,
Des éblouissements ou des profendeurs d'ombres
Dans l'esprit. Nous ne nous possédons pas. Marcher
Dans la vague ou l'obscur, hélas! c'est trébucher;
Et nous trébuchons tous, que nous soyons l'athée
Maudissant le bourreau qu'a maudit Prométhée,
Que nous soyons la foi d'une vierge mystique
Qui voit dans un brouillard une Ombre fantastique,
Ou bien encore étant, devant l'affreux blaspheme
Ou le rêve azuré, l'indifférence même.

Mais cependant qui sait? Les rêveurs sont heureux,
Et les fantômes blancs, roses, bleus, vaporeux,
Des bons Pères Joseph, des Madones, des Vierges,
Des Madames qui brillent aux lueurs des grands cierges,
A Lourdes, la Sallette, en Alsace, à Neufbois,
Dans le creux d'une roche ou l'épaisseur des bois,
Avec la Bernadette ou toute autre bergère,
Quand l'impiété grogne ainsi qu'une mégère,
Sont divins et charmants, Toutefois, ô chrétiens,
Ces apparitions, aux temps des vieux païens,
Lorsque les Louis Veuillot de la Grèce embaumée,
En l'honneur d'Elensis fesaient de la fumée,
Etaient Junon, Phoebé, Vénus, et le Dieu Pan
Riait dans son Buisson comme un vrai sacripant.

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