Friday, June 12, 2015

"Souvenirs" par J. Gringoire (Le Louisianais - 14 Juin 1873)

XI.

Oui, certes, la prière à l'église, en plein champ,
Dans sa chambre, partout, avec parole ou chant,
Religieux appel pour l'enfant et la femme,
Cri saint de notre amour et parfum de notre âme,
Est bonne, croyez-le. Sans honte et sans affront,
Tout homme devant Dieu peut incliner le front;
Et si nous ne craignons pas de casser nos bretelles,
De plier de genou devant des bagatelles,
Devant le roi d'un jour, la reine d'un moment,
Quelque prince butor et vilain garnement,
C'est-à-dire des gueux, des fous, des péronnelles,
Qui sont des avortons à poses solennelles,
Qui n'ont pas double nez et meurent comme nous,
Nous pouvons sans rougir, en courbant les genoux,
Nous adresser au Maître, implorer sa clémence,
Entreprendre avec lui la dialogue immense,
Et rapprocher ainsi notre terre des cieux.
Bah! notre dignité de cirons précieux
N'aura point à souffrir d'une gloire pareille,
Et vouloir qu'on nous tire au gros bout de l'oreille,
Pour un tel rendez-vous, pour un semblable honneur,
Simplement, après tout, pour notre vrai Bonheur,
C'est orgueil et folie. De tout temps, à toute heure,
Dans le temps païen ou la sainte demeure,
Sous la tente flottante ou bien dans la cité,
Aux jours de l'esclavage ou de la liberté,
Bien avant Mahomet, bien avant Prométhée,
Bien avant Adamos qui fut un jour athée,
Partout, jour comme nuit, universellement,
Les peuples ont prié le grand Maître clément.
La prière n'est point un appel de magie,
Un recueil de versets ou de théologie,
Mais bien la voix de l'âme à travers tous les temps,
Et la langue, divine aux tropes éclatants.
Elle est née avec l'homme à l'aurore des âges;
Elle a pruifié les lèvres des vrais sages;
Elle a fait le héros, le prêtre, le martyr;
Elle enseigne la foi comme le repentir;
Elle se nomme l'amour et parle d'espérance
A l'homme agenouillé devant toi, pauvre France!
Quand l'éternelle Rome et son Pontife saint,
En vertu d'un profond et solennel dessein,
Ne seront plus, hélas! qu'un souvenir de Pierre,
L'homme continuera l'éternelle prière;
Et tant qu'un frêle enfant, le dernier des humains,
Pourra lever son front et joindre ses deux mains,
On priera dans ce monde. Et c'est Dieu qui l'ordonne,
Dieu qui bénit toujours, Dieu qui toujours pardonne.
Veuillot lui-même prie à l'aspect de la mort,
Par majeure raison son le diable le mord;
Et si Satan, le sombre empereur des ténèbres,
Pouvait un seul instant, dans ses ombres funèbres,
Prier, il deviendrait de nouveau Lucifer,
Et reconquerrait Dieu, la vie et le grand air.
O prière, salut! Salut, philosophie!
A ton rayonnement l'âme se purifie.

  Ainsi parlait Jerome à ses bons paroissiens,
Approuvé des enfants, des femmes, des anciens,
De l'époux, de ses fils, des filles, de la mère,
Du notaire du dieu?, du sonneur et du maire,
Comme aussi de Gringoire, un cousin de Gentil,
Un vrai, cousin-germain, messieurs.   Ainsi soit-il.

  Mais Jerome aimait peu les longues patenôtres
Et les hommes qui font comme font tous les autres;
Il voulait qu'on priat du coeur, non en grimands
Qui s'en vont marmottant des mots et puis des mots.

No comments: