Wednesday, January 21, 2015

"Le paysan" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 décembre 1868)

J'avais quinze ou seize ans, j'étais à la campagne
Et rôdais vers le soir,
Innocent vagabond qu'une fée accompagne
Au sentier de l'espoir.
 
Allais-je à la maraude et cueillir des cerises
Dans la vigne à Mathieu?
Je ne sais, mais le ciel me caressait aux brises
Qui viennent du bon Dieu.
 
Tiens, c'est vrai, j'allais voir la petite Jeannette
Au corset tout naissant,
Et lui parler du bois où mûrit la noisette
Qui se cache au passant.
 
Un homme me croisa, grand de taille et robuste,
Fier, sifflant et joyeux,
Dont le travail ingrate n'a pas tordu le buste,
Comme il le tord aux vieux.
 
C'était un paysan, un vrai fils de la vigne
Qui mange pron, boit bien,
Fait l'amour à sa femme, et volontiers s'aligne
Comme un autre chrétien.
 
Il avait son chapeau rejeté sur la nuque,
En soldat-troubadour,
Et l'on voyait à nu qu'il portait la perruque
Qui pousse au jour le jour.
 
Son front était bombé, ses yeux étaient limpides,
Son nez se courbait droit;
Sa lèvre, vrai sourire aux caresses humides,
A Blanche eût donné froid.
 
Et des favoris noirs encadraient son visage.
Le Gaulois était beau
Et ne s'en doutait point, car chacun au village
Porte guétre et sabot.
 
Cependant un reine ou de France ou d'Espagne,
En voyant le Gaulois
Sourire, aurait battu noblement la campagne
A travers champs et lois.
 
Mais notre paysan, en réponse à la reine,
Aurait dit tout joyeux:
"Grand merci, j'ai Margot, la fille à Madeleine,
Plus fraiche et qui vaut mieux."

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