Wednesday, January 7, 2015

"Souvenir" par Jean Gentil (Le Louisianais - 10 aoùt 1867)

Moi j'aimais cet enfant. Il faut aimer l'enfance
Aux cheveux blonds ou noits;
Elle est l'aube du jour, une aube d'innocence,
Rayonnant dans nos soirs

Il s'appelait Albin, Albin comme son père,
Et son grand oeil pensif
Reflétait les clartés de l'oeil pur de sa mère,
Avec un ton plus vif.

Quand mon front penchait sur son intelligence,
Grave, interrogateur,
J'y lisais la bonté, j'y lisais la puissance:
La force et la douceur.

J'étais son Magister, mercenaire, pauvre homme
Lisant, feuillets ouverts,
La langue de Racine et la langue de Rome
Quelquefois de travers.

Mais nous étions amis, bons camarades, frères,
Comprenant à mi-mot,
Moi l'effort de L'Enfant, lui les leçons austères,
Moi vieillard, lui marmot

Et c'est toujours ainsi. Toujours l'enfance entraine
L'homme dans son amour,
Ne lui permettant pas de livrer à la haine
Un coeur fait pour le jour.

L'élève enseigne au maître, et le maître médite,
Ecoliers tous les deux;
L'écolier se grandit, le maître ressuscite,
Egaux, jeunes, heureux.

Mais il faut se quitter pour une autre espérance
Et pour un nouveau ciel.
Albin partit un jour pour bien loin, pour la France,
Cette ruche de miel.

Cette terre bénie entre toutes les terres,
Ce coin au Paradis,
Ce lieu trois fois sacré que nos glorieux pères,
Ont surnommé Paris.

Et c'est là qu'il est mort lorsqu'il touchait à peine
Au quinzième printemps;
Et c'est là qu'il est mort, doux ange, âme sercine
Pour les cieux triomphants.

Et moi qui dois mourir un jour, demain peut-être,
Peut-être en un instant,
Reverrai-je la France où l'on se sent renaître,
Albin, même en mourant?




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