Wednesday, April 22, 2015

"Foi et Don" par Jean Gentil (Le Louisianais - 17 Decembre 1870)

Vraiment vous me semblez agréable, brave homme
Et profond catholique à la mode de Rome.
Pensez-vous bonnement que c'est par vanité
Que je ne veux point croire à votre vérité,
Que je ferme les yeux par esprit de systême,
Et que pour mon plaisir je cherche l'anathême?
Voudriez-vous , mon cher, que j'affiarme en tout point
Le jour que vous voyez et que je ne vois point,
Les dogmes d'une foi qui me semble fort belle,
Mais contre qui s'élève un sentiment rebelle?
Sans doute, sur le front nous avons tous les cieux;
Mais chacun de nous voit par son coeur et ses yeux,
Comme il pleut. Le myope au lointain voit de l'ombre,
Le presbyte prétend que tout près il fait sombre,
Le hibou nyctalope aime l'obscurité,
Et l'aveugle demande où Dieu mit la clarté.

Or, si le malheureux qui vit dans les ténèbres,
Dont les jours et les nuits sont à la fois funèbres,
Dit à son brave chien qu'un éblouissement
A rempli sa paupière inerte et morte, il ment.
Et c'est mentir, tromper, être un malhonnête homme,
Lorsque Rome n'est rien pour vous, d'adorer Rome.
C'est trafic et métier, lorsque cela n'est pas
Aveuglement d'esclave emboitant votre pas.

Mais, me répondrez-vous, qui donc sur cette terre
Ne doit pas s'incliner devant le haut mystère,
Abaisser sa raison et courber son front nu
Devant l'indéchiffrable et devant l'inconnu?
Je concède, monsieur; mais s'il est des mystères
Qui confondront toujours les esprits solitaires,
Si l'infini divin est si loin dans les cieux,
Si la grande lumière éblouit trop nos yeux,
Pourquoi donc élargir, par des incertitudes,
De nos esprits bornés les vagues solitudes?
Pourquoi donc l'inutile à l'utile absolu?
Notre premier problème est-il donc résolu?

Vous me direz encore: "Inclinez votre tête,
Abaissez votre orgueil, flagellez votre bête,
Amortissez la chair, montrez-vous repentant,
Soyez humble d'esprit, renoncez à Satan,
Priez avec ferveur et du fond de votre âme,
La grâce du Très-Haut est un puissant dictame;
Dieu n'est point sourd à l'homme, et Dieu vous bénitra,
Et la foi, doux rayon, en vous épanouira?

Croyez-vous donc, monsieur, que mon âme éplorée
N'a pas jeté les yeux vers la voûte sacrée,
Que je sois sans élan et sans amour du beau,
Que je voudrais mourir tout entier au tombeau,
Que je ne demande point au Maître qu'il m'accorde
Le pardon de sa bouche et sa miséricorde?
J'ai ployé mes genoux aux dalles du Saint Lieu,
Je n'ai jamais cessé de supplier mon Dieu,
J'ai souffert comme trois, j'ai pleuré, puis je pleure
En attendant le "Quid" de notre dernière heure.

Votre Foi, mon ami, c'est fort beau; mais pardon:
La Foi ne suffit pas, il faut encor le Don.

No comments: