Tuesday, May 12, 2015

"BAH!" par Jean Gentil (Le Louisianais - 20 Mai 1871)

Ils sont, en vérité, superbes, ces bonshommes.
On dirait, à les voir, qu'ils sont nés gentilshommes,
Que leur père, un Rohan, nous avait pour vassaux,
Qu'ils ont trôné jadis à Blois, à Chenonceaux;
Au Versailles des rois, côte à côte des sires;
Qu'ils ont du sang de ducs, de princes, de messires;
Que leur vieux grand papa fut un grand paladin
Qui prit Constantinople et battit Saladin.
Comme c'est étrange! Oui, dans le bourg du vicomte,
Ils étaient les vils serfs qu'on parque dans la honte;
Ils avaient pour tout nom le sobriquet railleur
Qu'on donne au corvéable, au boeuf, au travailleur;
Avant d'appartenir à l'époux miserable,
Leur soeur appartenait au Seigneur execrable:
Troupeau de la mainmorte, vendables et vendus,
Aux fourches du château combien furent pendus!
On a vu leurs enfants,---moi, toi, vous, tristes hères,--
Porter le gros drogue des pauvres prolétaires,
Se serrer bien souvent le ventre après-midi,
Faire maigre dimanche aussi bien que jeudi,
Se coucher sur la paille en rêvant à la soie,
Et n'être point barons ou ducs, même en Savoie.
Bah! nobles parvenus, l'on peut bien sans grands frais
Se payer un habit et des gants beurre frais.
"Aunque se vista de seda", le macaque
Sera toujours un singe. Un hareng sent la caque,
Et jamais gentilâtre et manant ne feront
Qu'Adam et madame Eve aient crée des barons.

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