Saturday, May 23, 2015

"Homo" par Jean Gentil (Le Louisianais - 22 Juin 1872)

-- Mais c'est un noir, un nègre, un sordide Africain,
Ou bien un Sang mêlé ridicule et faquin?
Ses frères l'ont vendu pour un peu d'eau-de-vie,
Pour un petit couteau qui leur faisait envie;
Il a brossé ma botte, étrillé mon cheval,
Porté mes vieux habits aux jours du carnaval,
De mes bouts de cigare embaumé sa maîtresse,
Et dansé Bamboula devant sa mulâtresse.
Je la soupçonne fort, et naturellement,
D'avoir pris à rebours certain Commandement
De Moise ou de Dieu. J'ai vu cette âme sombre
Accroupie à mes pieds, heureuse dans son ombre,
Ne faisant même pas, dans son indignité,
Le rêve généraux d'une âme en liberté.
Africain, il est laid, et sa face est vilaine.
Son nez tout écrasé, son front fuyant, sa laine,
Sa lèvre qui retombe et rit grossièrement,
Cela prouve que Dieu s'est trompé lourdement.
C'est une pauvre ébauche, une ébauche première
De doigt qui tâtonnait dans la nuit sans lumière;
Et ce n'est pas ainsi, quand l'oeuvre est arrêté,
Qu'un divin Créature résume la beauté.
Sang-mêlé, son front clair se redresse un peu, monte,
Sous un pâlé rayon lutte contre la honte,
Et rêve l'avenir; sa lèvre tristement
Sourit parfois encor sourit amèrement;
Mais cet être est toujours l'amerture, l'envie,
La vanité de ceux qui souffrent dans la vie;
Car, effrayant mystère! un être est ainsi fait,
Quand un vieux préjugé le déclare imparfait,
Qu'il frappe avec Bonheur de l'arme qui le blesse,
Comme pour se venger, sur une autre faiblesse.
--C'est vrai; mais soyons bons et miséricordieux,
Ayons la charité des esprits radieux;
Car cet Etre au front noir est Homme comme nous,
Et devant l'Eternel courbe ses deux genoux.

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