Friday, May 1, 2015

"LUI" par Jean Gentil (Le Louisianais - 25 Février 1871)

Celui qu'on ne peut pas nommer, car il se nomme
D'un saint nom sans lequel fléchirait tout grand homme,
Est venu parmi nous. Modestement vêtu,
N'ayant pour ornement que sa seule vertu,
Et beau de la douceur que Raphaël lui-même
N'a jamais pu fixer avec son art suprême.
Il s'est à plus d'un seuil assis, mais sans frapper.
Les chiens de Monseigneur mordent bien sans japper,
Le portier du baron n'a pas le coeur très tendre,
Le commis du bourgeois ne veut point vous entendre,
Et le pauvre qui passe est toujours mal venu.
Comment dire son nom désormais inconnu?
A qui dire, ô mon Dieu, ton surnom adorable
Sans éveiller chez tous le rire miserable?
Les petits sont amers, les puissants endurcis,
Et nul ne sait aimer par nos jours obscurcis.

Et cependant la nuit d'hiver était venue,
Volupté par les uns, misère froide et nue
Pour beaucoup d'entre nous. Et le pauvre étranger
Avait besoin hélas! de boire, de manger,
De reposer sa tête en un coin et dans l'ombre.
Or, comme il entrevoit une cabane sombre,
Miserable et petite, il s'arrête en ce lieu
Et demande de l'eau, du pain, au nom de Dieu.
--Asseyez-vous, lui dit le pauvre, un vieux brave homme,
Qui travaillait le jour comme bête de somme,
Ne se plaignait jamais et partageait le soir
Avec ses trois enfants un morceau de pain noir.
Le voyageur s'assit, but, mangea, comme un autre;
Et puis, le lendemain, comme Pierre, l'apôtre,
S'étonnait qu'il n'eût point enrichi noblement
Son vieil hôte, Jésus répondit simplement:
"Pauvre homme, il fait le bien, a le Coeur secourable;
Mais riche, il deviendrait hautain et misérable."

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