Wednesday, May 27, 2015

"Calédonie" par Jean Gentil (Le Louisianais - 3 août 1872)

Même aux nouveaux pays tout est bien vieux, ce semble,
Et l'homme de Sussex du plus au moins ressemble
A l'homme d'Amérique. Où donc est le nouveau?
Quand un navigateur passe bravement l'eau,
Découvre une autre mer, trouve une ile inconnue,
Un Eden d'ignorance où la pudeur est nue,
L'ile chaste devient un faubourg de cité,
Et l'on voit Taïti, la pure nudité,
La reine des flots bleus et des brises joyeuses,
Couvrir d'un malakoff ses formes gracieuses.
Pomaré déguisée en robe de satin,
Portant la triple jupe et le corset hautain,
Marchandant au vieux Juif le fil et la dentelle,
Faite comme une dame ou bien sa demoiselle,
N'est-ce pas ravissant? Et Pritchard nous vendra
Les chapeaux de rebut que dédaigne un vieux Rat.
O sainte poesie! Où courir d'aventure
Pour trouver le nouveau, le naif, la nature,
Ce qui ne peut mentir et ne ressemble pas
Aux mensonges écrits dans chacun de vos pas?
L'art nous poursuit partout, grimaçant, ridicule,
Et devant ses progrès la nature recule:
L'homme civilisé devient l'homme butor,
Et l'Indien se pavane en chapeau de castor.

Mais la Calédonie?..Oui, vraiment: l'on rapporte
Que la femme Kanak pour tout vêtement porte
Un bracelet de cuivre, un collier rouge et long,
Puis une jarretière au dessus du talon.
C'est simple, en vérité: mais en Calédonie,
Terre autrefois sauvage et maintenant bénie,
Les Maristes chrétiens et d'affreux communards
Y portent le progrès, la culotte et les arts.

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