Friday, August 12, 2016

"Nous croyons tous" par Jean Gentil (Le Louisianais - 19 mai 1877)

L'homme est libre, et chaque homme
A sa foi, son credo:
Ceux du Signor de Rome
Oa bien ceux du bedeau.

Mais nul n'a droit, je pense,
De railler son cousin,
Ou même, par dispense,
De manger son voisin.

Mais si la raillerie
Vous convient quelque peu,
Permettez que rie
Aussi comme je peux.

Et s'il faut qu'on se mange
Pour tricorne ou burnous,
Pour un mot qui démange
Et gratte, mangeons-nous.

Mais j'affirme que l'homme
A droit assurément
De chanter comme à Rome,
Voire meme autrement.

Prêche ou prône, ce semble,
Est une liberté:
Le lieu qui nous rassemble
Est un lieu respecté.

Et quand la cloche sonne,
Je puis vers elle aller;
Mais je crois que personne
N'a droit de me brûler.

Me brûler! Je crois même
Qu'un vieux libre-peuseur
Peut aimer comme il aime,
Et cela sans noirceur.

Nul homme n'est impie,
Et votre cécité
Ou votre myopie
N'est crime, en vérité.

Bienheureux le presbyte!
Voilà tout. Mais je dis
Que l'oeil dans son orbite
Ne fais pas les maudits.

Après tout, bien chers hommes,
Amis ou autrement,
Nous sommes qui nous sommes
Et pas différemment.

Et je dis que nul être,
Chrétien ou musulman,
Libre-penseur ou prêtre,
Ne nie imprudemment.

Dieu rayonne, est immense.
Est Dieu pour tous, n'a point,
D'ennemis en démence
Qui lui montrent le poing.

La splendeur éternelle,
Insensible aux affronts,
Frappe toute prunelle
Et courbe tous les fronts.

Le pâtre et le genie,
L'un grand et l'autre non,
Pour la même harmonie
Chantent le même non.

Et les hauts Prométhées
Chercheurs audacieux,
Ne sont pas des athées,
Seigneur, devant tes cieux.

Que si, dans la vallée,
Un pâtre de douze ans
A vu ta forme ailée,
O femme à jupons blancs,

Permettez que je voie
Un Dieu plus solennel,
Plus divin, dans la voie
Du Grand Maître éternel.




No comments: